Réalignement stratégique en gestation, par David Bensoussan

Réalignement stratégique en gestation, par David Bensoussan

Plusieurs observateurs se sont demandé si la reprise des relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie saoudite sous les auspices de la Chine constituait un tournant géopolitique majeur. Mis à part le fait que les négociations entre l’Iran et l’Arabie saoudite ont été initiées par l’Irak avant d’être chapeautées dans leur dernière phase par la Chine, c’est loin d’être le cas.

L’Iran

Pour le gouvernement des mullahs iraniens, toute initiative qui viserait à donner des coups de bélier à l’hégémonie américaine est bénie. La propagande anti saoudienne continue de plus belle et les organes de communication des Gardiens de la révolution continuent de traiter les Saoudiens d’apostats (car sunnites et non pas chiites), voire d’être d’origine juive.

Les relations diplomatiques entre l’Iran et l’Arabie avaient été interrompues à la suite du saccage de l’ambassade saoudienne à Téhéran en 2016. Leur renouvellement en 2023 ne s’est pas accompagné d’accords sur des sujets de prime importance : l’aide apportée par l’Iran aux Houtis du Yémen depuis le début de la guerre civile en 2014, dont des missiles balistiques qui ont été tirés en direction de l’Arabie depuis 2021, de même que l’enrichissement de l’uranium à 84% en Iran et l’expansion militaire iranienne en Irak, en Syrie et au Liban qui inquiètent l’ensemble des pays du Proche-Orient.

La Chine

La stabilité de la région est d’ordre primordial pour la Chine dont 30 % des importations de pétrole proviennent des pays du Golfe. Chaque année, près de 2400 pétroliers empruntent le passage du détroit d’Ormuz. La Chine est consciente qu’elle est la seule qui peut faire jouer un effet de levier économique sur l’Iran : les États-Unis ont joué la carte des sanctions contre l’Iran et les Européens ont suivi de peur d’être frappés également de sanctions secondaires.

La Chine fait miroiter à l’Iran des investissements de l’ordre de 400 milliards de dollars. Toutefois, cet accord tarde à être entériné. Par ailleurs, les investissements chinois de la nouvelle route de la soie BRI (Belt and Road Initiative) dans les six pays qui font partie du Conseil de coopération du Golfe sont les deuxièmes en importance au monde

L’Arabie

Pour l’Arabie, l’accalmie relative qui accompagne cet accord est bienvenue. La solidité des liens avec les États-Unis a été ébranlée plus d’une fois : le président Obama s’est discrédité lorsqu’il n’a pas été fidèle à sa promesse d’agir contre le régime syrien si des armes chimiques venaient à être utilisées.

La Russie a installé une base militaire importante en Syrie. Sous la présidence de Trump, les Kurdes qui ont bravement lutté contre l’État islamique ont été quasiment abandonnés à leur sort. Les États-Unis n’ont pas réagi lorsque des installations pétrolifères saoudiennes ont été attaquées en 2019 ni même lorsqu’un drone de surveillance américain a été abattu.

Aussi l’Arabie s’est distancée des États-Unis et fixe les prix du pétrole avec la Russie. Néanmoins, les liens qui unissent l’Arabie saoudite aux États-Unis sont encore très puissants.

Peu après l’accord, l’Arabie saoudite, les États-Unis et Israël ont effectué des exercices militaires conjoints en mer Rouge. Des exercices militaires ont été également tenus dans le Golfe entre des forces navales iraniennes, russes et chinoises. La livraison à l’Iran d’avions russes avancés Soukhoï Su-35 (initialement construits pour l’Égypte), enhardit l’Iran qui, en toute probabilité, se montrera plus agressif à moyen terme.

Réalignements en gestation

À long terme, l’Iran, la Russie et la Chine aimeraient former un bloc uni pour s’opposer à l’hégémonie américaine et à la toute-puissance du dollar américain dans les échanges internationaux. Cela dit, la raison d’être d’une telle coalition est d’un ordre quasi théologique pour le régime des mullahs et d’un ordre géopolitique pour la Russie et la Chine, sinon que pour ce dernier pays, les investissements en Occident sont trop importants pour être ignorés.

Dans cette nouvelle configuration d’alliances, le poids géopolitique d’Israël devient encore plus grand, car c’est la seule puissance qui soit fiable au Proche-Orient. Le président turc Erdogan est une girouette géopolitique qui continue d’antagoniser alliés et adversaires.

C’est pourquoi le président Biden a insisté pour que le premier ministre israélien mette fin rapidement à la crise de réforme judiciaire qui a secoué le pays.

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