Ces Juifs tunisiens qui ont marqué l’histoire de leur pays - Georges Adda, infatigable héraut des opprimés

Ces Juifs tunisiens qui ont marqué l’histoire de leur pays - Georges Adda, infatigable héraut des opprimés

Issu de la communauté juive tunisienne, dirigeant du Parti communiste dans son pays, ce défenseur des droits de l’homme, décédé en 2008, laisse le souvenir d’un grand patriote. Ses paroles de soutien au peuple palestinien n’ont rien perdu de leur actualité.

    Frida Dahmani - à Tunis

CES JUIFS TUNISIENS QUI ONT MARQUÉ L’HISTOIRE DE LEUR PAYS 3/4 – Citoyen exemplaire, patriote et défenseur des libertés, il aurait pu prétendre à tous les honneurs. « Ma mère a eu des difficultés à ma naissance parce qu’en me mettant au monde, elle a accouché en même temps de la liberté, ma sœur siamoise », racontait avec humour celui qui était Tunisien, envers et contre tout.

Originaire du quartier Sidi Bahri, à Tunis, et, donc, orphelin de mère à sa naissance, Georges Adda, né en 1916, fut élevé par sa tante, au sein de la petite bourgeoisie juive tunisienne. Esprit rebelle, il quitta un lycée trop étriqué pour lui, et mit un point d’honneur à compenser par la lecture et un esprit curieux des études raccourcies.

Petit de taille, ce fumeur de pipe invétéré savait s’attirer des amitiés indéfectibles, y compris lorsqu’il s’engageait avec ses interlocuteurs dans des discussions sans fin, voire dans des controverses. Il avait le don de l’amitié. Bien peu savent que cet amateur de musique classique était un proche du grand violoniste Yehudi Menuhin, avec qui il échangea une abondante correspondance.

Quand Georges Adda disparut brutalement, en 2008, certains ne crurent pas qu’un tel cœur pouvait cesser de battre. Ils perpétuent toujours le souvenir de celui qui avait rejoint le Parti communiste tunisien (PCT) dès sa création, en 1934. Il n’avait que 18 ans, et s’était engagé dans la lutte clandestine après les arrestations de camarades et de destouriens.

Il fut arrêté à son tour, en 1935. Dès lors, et jusqu’en 1954, alternèrent les périodes de liberté et de détention. Au camp de Remada, en 1952, il rencontra Habib Bourguiba et d’autres figures destouriennes, dont Mongi Slim, Hédi Chaker, Hédi Nouira, Ferjani Bel Hadj Amor, Habib Cheikhrouhou.

La solidarité entre militants n’empêcha pas Habib Bourguiba d’interdire le PCT, en 1963. Georges Adda, qui avait été son plus jeune secrétaire général adjoint, chargé des Jeunesses communistes, écrivit alors : « Je viens de loin. Les Berbères, mes ancêtres ont connu les Phéniciens, les Romains, les Vandales, les Arabes, les Normands, les Turcs et les Français, qui ont successivement occupé mon pays. Ainsi, la Tunisie est mon pays, et le peuple tunisien est mon peuple. Toutes les femmes et tous les hommes qui subissent les injustices politiques et sociales sont mes sœurs et frères. Pour la libération de mon pays, j’ai connu prisons, camps de concentration et déportation des colonialistes français. Aujourd’hui, je me dois d’apporter mon soutien au peuple palestinien martyr ».

Un texte toujours d’actualité, que le militant rédigea d’abord au crayon, selon son habitude, avant de le remanier jusqu’à sa version finale. Sa capacité de concentration et son souci du détail lui furent des atouts précieux car il était chargé de l’imprimerie et des publications du PCT, dont L’Avenir de la Tunisie, un hebdomadaire en langue française, qu’il dirigeait.

Un engagement total et admirable, auquel Georges Adda ne dérogea jamais et dont les jeunes générations ignorent tout. « Cet homme était exceptionnel. Il connaissait son monde, décryptait les motivations des uns et des autres, et a toujours su s’en tenir à ses principes », a souligné l’un des participants lors de l’hommage organisé en 2016, à l’occasion du centenaire de sa naissance, à la Bibliothèque nationale de Tunisie. Tous ceux qui ont témoigné ce jour-là ont souligné combien l’homme était vrai, sincère et juste.

« C’est ça, le peuple tunisien », disait Georges Adda en se souvenant de ces trois prisonniers qui étaient allés au peloton d’exécution en entonnant l’hymne national, repris par toute la prison, « dont les murs épais [vibraient] sous la ferveur et la fureur qui accompagnait ce chant patriotique ». Ce moment était resté gravé dans son cœur.

Au cours de son parcours, notamment en 1940, après avoir été expulsé de France, où il avait séjourné deux ans, Georges Adda s’était forgé un caractère bien trempé et intransigeant. Cela ne l’avait pas empêché de développer une curiosité qui le poussait toujours à aller au fond des choses. Il se passionnait pour la question sociale et le droit du travail, car ces connaissances lui permettaient d’intervenir de manière pertinente dans les luttes syndicales comme dans les combats en faveur des droits de l’homme.

Avec Gladys, son épouse, ils étaient unis par un même sens de la justice et se soutenaient mutuellement. À l’origine de la création de l’Union des femmes de Tunisie (UFT), Gladys fut une égérie du mouvement féministe. Georges, lui, était proche de la Ligue tunisienne de défense des droits de l’homme (LTDH) et de tous ceux – en particulier les journalistes – qui prenaient des risques au nom des libertés. Le militant « n’a jamais revendiqué [autre chose] que sa fraternité avec les faibles et les opprimés, cultivant une persévérance obstinée contre les sirènes du nationalisme, et pour un internationalisme ciblé en faveur des peuples algérien, espagnol, vietnamien, chilien, palestinien ».

Lettre à Zine el-Abidine Ben Ali

Il ne se contentait pas de ces prises de position, il osait. En 1989, il se présenta, de sa propre initiative, à l’ambassade de Chine pour protester contre la répression qui s’abattait sur les militants de la place Tiananmen. Il fut aussi la seule figure nationale à demander au président Zine el-Abidine Ben Ali que Habib Bourguiba, placé en résidence surveillée, recouvre sa liberté de mouvement. Ce plaidoyer tout en dignité et en finesse, prononcé le 4 novembre 1997, a fait date, même le raïs n’y répondit jamais.

Plus de quinze années après la disparition de Georges Adda, sa voix résonne encore, avec un à-propos troublant : « Je me dois d’apporter mon soutien au peuple palestinien martyr. S’agissant de la Palestine, il faut d’abord s’entendre sur la signification de certaines expressions telles que “communauté internationale”, “légalité internationale”, “droit international”, etc. Ainsi, en novembre 1947, la résolution de l’ONU par laquelle les Palestiniens ont été dépouillés de leur pays devient, entre les mains des deux superpuissances et des sionistes, “légalité internationale” et “droit international”. Alors qu’en réalité les Palestiniens ont été victimes de la “communauté internationale” ». Des propos quasi prémonitoires, qui prennent tout leur sens aujourd’hui.

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