Fille de Tunis, par Olivia Elkaim

Lectures de Jean-Pierre Allali - Fille de Tunis, par Olivia Elkaim

 

 

Dans ce roman fortement autobiographique, l’auteure, à la recherche de ses racines familiales, reconstitue avec opiniâtreté l’écheveau particulièrement dense de ses ancêtres et surtout de sa grand-mère, Arlette Santucci dite Lélette, Alouette, Scarlett, Starlette, Mistinguette, Henriette, Germaine. « Arlette m’habite comme un dibbouk. Elle veut continuer à vivre ses aventures à travers moi ». Une recherche qui fait revivre le monde aujourd’hui complètement disparu, des Italiens, des Siciliens et des Corses qui vivaient jadis en Tunisie. Il était une fois les Lacrouts et les Ravalli. « Marcelle Lacrouts, née Gherardi, dite "la maman" et Albert Lacrouts, de qui sont nés Lucette, ma grand-mère Arlette, les jumeaux Perline et Henri. Emmanuella Ravalli, née Belassaï dite "la nonna", et Rosario Ravalli, de qui sont nés Sauveur, ses cinq frères et ses cinq sœurs. Arlette Ravalli, née Lacrouts, et Sauveur Ravalli, de qui sont nés Rosie et Lola. Les enfants de Lola, mon frère, moi… ». Olivia Elkaim, dite Zitouna est, elle, née le 6 mai 1976 dans une clinique de la Seine-Saint-Denis, bien loin de la rue du Miel à Tunis, des plages ensoleillées de La Goulette et de Gammarth, du Bou Kornine, mais elle aurait, finalement, bien aimé être, elle aussi, une « Tune ». Madabya, disaient les vieux, « J’aurais bien aimé ». Par son père, Olivia est aussi un peu juive. Elle raconte : Rosie, sa mère, a dix-huit ans : « Elle vient de rencontrer mon père. Elle va se marier, effacer le nom de Ravalli, devenir pour toujours une Elkaim, adopter la culture et la religion juive ».

Arlette, personnage central de cette épopée, n’en rate pas une : elle trompe ouvertement son mari avec le beau Jojo et se ruine littéralement aux courses de chevaux, dilapidant sans vergogne l’argent du foyer et empruntant sans cesse auprès de voyous de la pègre marseillaise, les fameux Guérini. Née le 8 mai 1933 à Carthage, Arlette est morte à Marseille le 17 février 2009.

Au fil des pages, c’est toute l’histoire récente de la Tunisie qui nous est contée : Habib Bourguiba, le Néo-Destour, l’assassinat du leader Farhat Hached, la Main Rouge, l’affaire de Bizerte, les résidents généraux de France : Gorse, Voizard, Boegner, Hautecloque, Mendès-France, l’autonomie interne, l’indépendance, la tunisification, la valise ou le cercueil pour les rapatriés

Il y a beaucoup d’animaux dans ce récit original : le cheval Azrak qu’Albert possédait et faisait courir à l’hippodrome de Kassar Saïd, les chiens Hamed, Ronsard et Lamartine, Villon et Mallarmé et même un singe macaque de Barbarie.

Ma perchè non ti fai i cazzi tuoi ? Loin de ne se mêler que de ses fesses, Olivia Elkaim fouille avec délectation dans le passé de ses ancêtres, pour le meilleur et pour le pire. Cosi la vita… Come una casseruola… Una volta sporca, una volta pulita. Ainsi va la vie. Telle une marmite. Parfois sale, parfois propre. Pace è salute ! Une lecture croustillante.

 

Jean-Pierre Allali

 

(*) Éditions Stock, août 2023, 342 pages, 21,50 €.

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