Calculs politiques, conservatisme social... Bien que des tabous aient été brisés en Tunisie depuis la révolution de 2011, des militants se disent "frustrés" par la lenteur des réformes en matière de libertés individuelles.
Bien sûr, "le débat avance, il n'y a plus de questions taboues et la société civile et les médias ont pris à bras le corps" la question des droits fondamentaux, admet-elle. Mais les mesures annoncées par les autorités "ne sont pas suffisantes" et "il y a encore énormément de résistances", chez les politiques comme dans la population.
Depuis le soulèvement populaire qui a balayé la dictature, le changement est évident: des dizaines de partis politiques ont vu le jour, une multitude d'associations sont nées et les Tunisiens, longtemps muselés, connaissent enfin la liberté d'expression.
Mais des dispositions "liberticides" ou "rétrogrades" --selon les termes de plusieurs militants-- subsistent dans l'arsenal législatif, bien que la nouvelle Constitution de 2014 garantisse liberté de conscience, protection de la vie privée et égalité entre hommes et femmes.
L'homosexualité est toujours punissable de trois ans de prison ferme et le président Béji Caïd Essebsi a catégoriquement refusé sa dépénalisation.
En vertu de la "loi 52" sur les stupéfiants, qui prévoit une peine minimale d'un an de prison, des milliers de jeunes ont été emprisonnés ces dernières années pour un joint.
- 'Marchandages politiques' -
Par ailleurs, même si la Tunisie est considérée comme pionnière des droits des femmes dans la région, ces dernières restent discriminées, notamment en matière d'héritage.
En décembre, après une polémique, le gouvernement a dit vouloir un amendement rapide de l'article 227 bis du code pénal, qui prévoit l'abandon des poursuites contre l'auteur d'un acte sexuel avec une mineure de moins de 15 ans s'il se marie avec sa victime.
Mais la concrétisation se fait attendre au Parlement, où est embourbée une loi dite "intégrale" contre les violences faites aux femmes.
Ces questions font l'objet de "marchandages politiques", déplore Ghazi Mrabet. Cet avocat qui milite contre la loi 52 regrette aussi "le conservatisme présent dans tous les partis, et pas que chez les islamistes".
Le président Essebsi s'était pourtant présenté pendant sa campagne en 2014 comme un garant de la modernité, accusant les islamistes d'Ennahdha de vouloir "ramener le pays en arrière".
Mais ces réformes touchent à "l'idée qu'a la société tunisienne d'elle-même", une image lisse et uniforme de "+tous Tunisiens, tous musulmans+", juge Walid Larbi, de l'association Beity.
Or la loi sur les violences faites aux femmes par exemple, si elle n'est pas rabotée par le ministère de tutelle et les élus, devrait "tout chambouler", explique Wahid Ferchichi, de l'Association de défense des libertés individuelles (Adli).
"Elle ne se limitera pas à des aspects techniques" mais "concernera des aspects fondamentaux et devra aboutir à la réforme du Code pénal, du Code du statut personnel, du Code du travail". D'où la frilosité des politiques qui ont "tout simplement peur de ne pas gagner les prochaines élections", selon lui.
- Progrès -
Récemment, des progrès ont tout de même été faits.
Une loi qui empêchait les femmes de quitter le territoire avec leurs enfants sans l'autorisation préalable du père a été amendée, et M. Essebsi a pris des mesures pour limiter les cas d'emprisonnement de consommateurs de cannabis.
Mais "faire évoluer les esprits (...) sera une autre paire de manches", prévient Amna Guellali.
Malgré les frustrations, la société civile rappelle le chemin parcouru.
"Nous sommes en train de lancer des débats dans l'espace public et ça, c'est extraordinaire. Avant on ne parlait pas d'homosexualité, ni du mariage d'une Tunisienne avec un non-musulman", relève Hajer El Kéfi, d'Euromed Rights. "Avant, on ne pouvait même pas dire le mot +zatla+ (cannabis) à la télévision", renchérit Me Mrabet.
Parmi les dernières offensives de la société civile, une plainte auprès du Tribunal administratif pour annuler une circulaire de 1973 empêchant le mariage des Tunisiennes musulmanes avec des non-musulmans.
"On va être attaqués, mais on va continuer", promet Mme El Kéfi.
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AFP