CHURCHILL, LES JUIFS ET ISRAEL

CHURCHILL, LES JUIFS ET ISRAEL

 

Une nouvelle exposition permanente met en lumière le soutien sans faille et souvent resté privé du Premier ministre britannique pour la création d’un État juif, même sous la pression de son gouvernement

LONDRES – En dessous du la rue principale de Londres, se trouvent les salles du Cabinet de guerre. Depuis ce bunker, entouré de militaires et de civils que n’ont que trop peu vu la lumière du jour pendant les 5 ans qu’aura duré la Seconde Guerre mondiale, Winston Churchill a dirigé les efforts de guerre du Royaume Uni.

Devenu musée en hommage au sauveur du pays, le mois de novembre marque l’ouverture d’une nouvelle exposition permanente sur la relation entre Churchill et le Moyen Orient.

Soutenu par le comité du Balfour 100, il propose un retour sur le rôle-clef qu’a joué Churchill pour honorer les promesses faites par le Royaume-Uni en 1917 pour aider à la création d’un foyer national juif en Palestine. Une copie du pamphlet de Chaim Weizmann « Qu’est-ce que le sionisme ? », datant de 1918, illustre la relation entre Churchill et le premier président israélien. L’exposition indique, à juste titre, que Churchill était un sioniste inavoué, mais suggère qu’en raison « de considérations politiques plus larges », il n’a pas manifesté de soutien constant dans son soutien, ce qui est quelque peu troublant.

Singulièrement, l’exposition n’a pas réussi à capturer les origines du sionisme de Churchill. En tant que secrétaire actuel des Affaires étrangères au Royaume-Uni, Boris Johnson a écrit dans sa biographie sur son ancien collègue, en 2014, que Churchill « admirait les caractéristiques juives qu’il partageait en abondance : l’énergie, l’indépendance, l’attachement au travail, la vie de famille ».

Le philosémitisme de Churchill a été ancré dans l’Histoire et dans la philosophie.

« La pensée, l’inspiration et la culture des Juifs », écrivait-il en 1950, « a été l’une des dominantes vitales de l’histoire du monde. Il n’existe ni art ni science qui n’a pas été enrichie par des accomplissements juifs ».

C’était en effet un thème récurrent. « Les deux villes qui ont le plus compté dans l’Histoire de l’humanité sont Athènes et Jérusalem. Leurs messages en religion, en philosophie et en art ont été les principales lumières conductrices de la foi et de la culture modernes », a argumenté Churchill dans ses mémoires.

Durant les premières années de sa carrière politique, Churchill a noué des liens étroits avec les Juifs britanniques ; dans sa circonscription de Manchester North-West, son électorat était constitué de Juifs à hauteur d’un tiers.

Au Parlement, il s’est battu contre le projet de loi destiné à freiner l’immigration juive au Royaume-Uni, et étant scandalisé par les pogroms en Russie tsariste, il s’est voué à la cause sioniste. Lors d’un rassemblement à Manchester contre les massacres, Churchill a rencontré Weizmann pour la première fois. Peu après, il a écrit dans une lettre : « Je reconnais l’attraction suprême d’un peuple dispersé et persécuté pour un foyer sur et installé sous la bannière de la tolérance et de la liberté ».

En dépit du soutien de son électorat juif, Churchill a perdu son siège de Manchester en 1908, et a ensuite été réélu dans une circonscription écossaise. Mais l’absence de circonscription juive ne lui a pas couté leur sympathie. Comme l’a suggéré Martin Gilbert dans « Churchill et les Juifs », Churchill « avait une haute estime de l’éthique religieuse juive et de l’idéal sioniste ».

Bien que Churchill n’ait pas pris part aux discussions qui ont mené à la Déclaration Balfour, il n’en reste pas moins qu’il en a été un partisan enthousiaste.

En 1920, alors que le sionisme est un « mouvement inspirant », le fils de Churchill s’est souvenu que son père décrivait Weizmann comme « un prophète de l’Ancien Testament », il affirmait, « Si, comme il est possible, que de notre vivant, un état juif est créé sur les rives du Jourdain, sous la protection de la Couronne britannique, qui pourrait mettre en péril 3 ou 4 millions de Juifs, un évènement se sera produit dans l’Histoire du monde qui sera, à tous points de vue, bénéfique. »

Comme le souligne très justement l’exposition, en tant que Secrétaire d’État aux Colonies au début des années 1920, Churchill aura « joué un rôle clef dans la traduction [de la Déclaration Balfour] en une stratégie ».

Chaim Weizmann (assis au milieu, à gaucher) rencontre les dirigeants arabes au King David Hotel, à Jérusalem, le 8 avril 1933. (Crédit : Wikimédia)

Toute incohérence dans son approche aura donc émané du dilemme auquel faisait face le gouvernement britannique pendant toute la durée du mandat résoudre le problème insoluble des promesses qu’avait fait Balfour pour établir en Palestine, « un foyer juif pour le peuple juif », tout en maintenant « les droits civils et religieux des communautés non-juives existantes ».

Mais, au gouvernement et en dehors, Churchill en a fait beaucoup plus que de nombreux politiciens pour concilier ces deux objectifs.

Comme résoudre l’insoluble équation Juifs-Palestiniens

Le défi auquel Churchill a fait face est illustrée par une copie de la carte du territoire qu’il avait commandée. Ce territoire, dans le contexte de la Première Guerre mondiale, était désormais administré par le Royaume-Uni.

Sur une note qui accompagnait la carte, un fonctionnaire avait glissé un avertissement à l’intention du nouveau Secrétaire aux Colonies : les frontières tracées étaient « très approximatives… disputées… une ébauche ».

La carte en main, Churchill avait pris la direction du Moyen Orient en mars 1921. Lors d’une conférence au Caire, il avait posé les fondations d’un foyer national juif en séparant la Transjordanie et la Palestine. Sa proposition avait déçu Weizmann, mais a été perçue plus tard comme crucial. Comme l’a écrit James de Rothschild dans une lettre en 1955, « sans cette vision prophétique très discutée, il se pourrait qu’il n’y ait pas d’Israël aujourd’hui ».

À Jérusalem, Churchill a catégoriquement refusé les revendications des Arabes, qui demandaient que le Royaume-Uni mette fin à l’immigration juive et abandonne son engagement envers un foyer national juif.

« Ce n’est pas en mon pouvoir de faire cela », avait-il répondu, « et quand bien même j’en aurais eu le pouvoir, je n’en ai pas le souhait ». Il a ensuite déclaré à sa délégation que la promesse était « manifestement juste ».

En rencontrant une délégation juive à Jérusalem, il avait clamé : « vous devez me donner les moyens… de répondre à toutes les critiques des adversaires. J’aimerais être en mesure de dire qu’il se passe de grandes choses ici… sans blesser ni être injuste envers qui que ce soit ».

Lors d’une cérémonie de plantation d’arbre sur le site de la future université hébraïque de Jérusalem au mont Scopus, Churchill avait déclaré : « À titre personnel, mon cœur est empli de sympathie à l’égard du sionisme ».

L’établissement d’un foyer national juif en Palestine serait « une bénédiction pour le monde entier, une bénédiction pour la race juive dispersée dans le monde entier, et une bénédiction pour le Royaume-Uni ».

Mais, il a rappelé à son auditoire que la promesse du Royaume-Uni était duale. D’une part, nous avons promis notre aide au sionisme, et d’autre part, nous avons assuré aux habitants non-juifs qu’ils n’en subiraient pas les conséquences. Chaque mesure que vous prenez doit être dirigée vers le bénéfice moral et matériel des Palestiniens ».

Churchill était convaincu que c’était possible.

De retour à Londres, il a raconté au Parlement sa visite des « colonies juives » à Rishon LeZion où d’une terre inhospitalière, entourée d’aridité et d’une culture pauvre, j’ai été conduit vers un pays fertile et florissant, où le sol maigre a laissé place à de belles récoltes et à des cultures, à des vignes, et enfin, à la plus magnifique des orangeraies. Tout cela a été créé en 20 ou 30 ans par les efforts de la communauté juive qui y vit. »

L’immigration juive serait « méticuleusement surveillée et contrôlée », a soutenu Churchill, sur la base de « l’augmentation des richesses et du développement des ressources du pays », mais il a néanmoins été inflexible dans ses conclusions qu’elle serait bénéfique pour tous.

Winston Churchill à Downing Street faisant son fameux ‘V’ de la victoire, en 1943 (Crédit : Imperial War Museums/Domaine public)

« Je défie quiconque, après avoir vu un tel travail, accompli grâce à tant d’effort et de talent, de dire que le gouvernement britannique, ayant adopté la position qu’il a adoptée, pourrait tout abandonner et la laisser être grossièrement et brutalement retournée par l’incursion d’une attaque fanatique par la population arabe de l’extérieur », a-t-il dit.

Deux mois plus tard, à Londres, soumis à la pression des Arabes palestiniens pour mettre fin à toute immigration juive, Churchill a été condescendant. Il a affirmé à ses visiteurs que les Juifs « étaient en Palestine depuis des centaines d’années. Ils ont toujours tenté d’y être. Ils en ont fait énormément pour le pays. Ils ont commencé des colonies prospères et ils sont nombreux à souhaiter y vivre. Pour eux, c’est un lieu sacré. »

Churchill n’ignorait pas les conséquences des actions du Royaume-Uni, lorsqu’il a déclaré au Premier ministre canadien en 1921 que si, « après de nombreuses années », les Juifs « sont devenus une majorité dans le pays, ils prendront naturellement le dessus ».

Churchill à Weizmann : « des jours meilleurs viendront »

Jeté dans la jungle de la politique dans les années 1930, Churchill a néanmoins conservé sa sympathie à l’égard des sionistes, comme l’illustre la copie d’une lettre qu’il a reçue de Frederick Peel, en juillet 1936, alors que la révolte arabe battait son plein.

Peel, officier de l’armée britannique qui commandait la Légion arabe (l’armée transjordanienne), avait assisté à la conférence du Caire en 1921, et était resté en contact avec Churchill.

Peel avait écrit à Churchill pour le mettre en garde contre les dangers auxquels faisaient face les Britanniques s’ils continuaient à cautionner l’immigration juive. Mais Churchill ne s’est pas laissé convaincre. Comme l’a expliqué Gilbert dans sa déposition secrète lors de la Commission Peel en 1937, Churchill avait fait valoir que « l’intention de la Déclaration Balfour était que la Palestine puisse, au fil des ans, devenir ‘un état juif de taille’ ».

Quand, en 1939, le Royaume-Uni a commencé à freiner l’immigration juive en Palestine, Churchill s’est opposé au gouvernement au Parlement.

En évoquant la Déclaration Balfour, il a rappelé devant la Chambre des Communes que le Royaume-Uni avait non seulement bénéficié d’une « aide considérable pendant la guerre », mais également obtenu le mandat. Il a qualifié le Livre Blanc de MacDonald de « manquement flagrant à une obligation formelle ».

Enfonçant davantage le couteau dans la plaie, il a accusé le Premier ministre Neville Chamberlain de céder face à « une agitation alimentée par des fonds étrangers et inlassablement attisée par la propagande nazie et fasciste ».

Une caricature de Sir Frederick Peel par Sir Leslie Ward. Cette aquarelle a été publiée dans Vanity Fair en décembre 1903. (Domaine public)

Il a conclu en rappelant le soutien du Premier ministre Neville Chamberlain à Balfour, et son appel, vingt ans auparavant, qui encourageait les sionistes à « créer une nouvelle prospérité et une nouvelle civilisation dans l’ancienne Palestine, si longtemps négligée et plongée dans l’anarchie ».

« Ils ont répondu à l’appel », a clamé Churchill. « Ils ont rempli ses espoirs ? Comment peut-il avoir l’audace de leur asséner un coup mortel ? »

Mais, en dépit de l’opposition de Churchill, du parti travailliste et des députés de son propre parti, le gouvernement Chamberlain a obtenu ce qu’il voulait.

Un an plus tard, Churchill entrait à Downing Street. Le télégramme qu’il a envoyé à Weizmann à l’occasion du vingt-cinquième anniversaire de la Déclaration Balfour est assez poignant.

« Mes pensées sont avec vous, en ce jour anniversaire. Des jours meilleurs sont à venir pour votre peuple qui souffre, et pour la grande cause pour laquelle vous vous êtes si bravement battus », a-t-il écrit.

En dessous du message de Churchill, on trouve l’instruction du Bureau des Affaires étrangères à son ambassade à Washington : « vous devriez vous assurer qu’il est clair que ce message n’est pas [destiné] à la publication ».

Rude bataille : « État juif » ou « Palestine occidentale » ?

Durant la guerre, le Premier ministre a géré un cabinet qui ne partageait pas sa vision du sionisme. Sa tentative pour abroger le Livre Blanc s’est rapidement essoufflée.

Churchill cependant, est resté fidèle à sa position, et a régulièrement rencontré Weizmann pour s’assurer que leurs façons de penser était à « 99 % identique ».

En 1941, il a écrit au Cabinet de guerre pour exprimer son espoir pour qu’après la guerre, soit créé « l’État juif de Palestine occidentale », qui permettrait « l’expansion des régions du désert vers le sud, qu’ils récupèreront progressivement ».

Il a fait pression sur Franklin Roosevelt, pour lui rappeler qu’il était « très attaché à la politique sioniste, dont je suis l’un des auteurs ».

Il a également déclaré à ses ministres qu’en cas de victoire des Alliés, « la création d’un grand état juif en Palestine sera inévitablement l’un des sujets négociés à la Conférence de Paix ».

Il est vrai que l’assassinat du très proche ami de Churchill, le Haut-Commissaire Lord Moyne par le Lehi (groupe sioniste radical), en 1944, a atterré le Premier ministre.

« Si nos rêves de sionisme se finissent dans la fumée des pistolets d’assassins, et que nos efforts pour son futur génère un nouveau groupe de gangsters comparables à l’Allemagne nazie », a-t-il dit à la Chambre des Communes – un discours qu’il n’aurait pas tenu aujourd’hui – « nous serions nombreux à repenser la position que nous avons maintenu avec tant de constance par le passé ».

« S’il y a un espoir pour un futur pacifique et fructueux pour le sionisme, ces activités vicieuses doivent cesser, le mal doit être coupé à la racine », a-t-il dit.

Cependant, l’exposition affirme qu’après le meurtre de Lord Moyne, le soutien de Churchill au sionisme n’a pas « failli ».

Un « conflit sordide » avec la communauté sioniste

Durant les derniers mois de guerre, Churchill a vainement tenté de persuader les dirigeants arabes, principalement Ibn Saud de l’importance d’un « foyer national juif en Palestine », et a appelé à un « accord définitif et durable » entre Juifs et Arabes.

Cependant, en quelques semaines, le parti travailliste anglais s’est retiré de la coalition que Churchill avait dirigée pendant la guerre, et lors d’une élection générale en juin 1945, les Conservateurs ont essuyé une lourde défaite.

Le nouveau gouvernement du parti travailliste est rapidement revenu sur sa promesse de création d’un « état juif heureux, libre et prospère en Palestine », comme il l’avait lui-même décrit durant la conférence de 1945.

Mais au sein du parti conservateur au Parlement, le soutien que Churchill offrait au sionisme était clairement minoritaire. En dépit de cela, et même lors des moments les plus difficiles, Churchill est resté fidèle à sa position.

Lors du bombardement de l’hôtel King David, il a rappelé au gouvernement les « discours et les déclarations prosionistes intenses » qu’avait fait le parti travailliste avant d’arriver au pouvoir.

Il avait indiqué que ces déclarations avaient éveillé « toutes sortes d’espoirs » auprès des Juifs de Palestine ; la trahison du gouvernement avait causé « un ressentiment profond et amer ».

« Si j’avais eu l’opportunité de guider les évènements après la victoire de la guerre, il y a un an », a poursuivi Churchill, « je me serais fidèlement attelé à la cause sioniste telle que je l’ai définie, et à ce jour, je n’ai pas renoncé ».

Si le Royaume-Uni n’était pas capable « de mettre en œuvre correctement et honnêtement la politique sioniste », qui était la condition même du mandat, il devrait s’en retirer, avait-il dit.

Weizmann avait répondu à Churchill : « J’aurais en effet aimé que le destin vous permette de gérer notre problème, il aurait été réglé, et nous aurions tous pu éviter beaucoup de misère ».

La perception qu’avait Churchill de cette misère est devenue évidente quand son gendre, Christopher Soames lui a suggéré que l’opinion publique britannique était en faveur des Juifs, et anti-arabe.

Christopher Soames et sa femme, avec les généraux Aharon Yariv et Zvi Zami en visite en Israël en janvier 1966. (Domaine public)

« C’est insensé », avait répliqué l’ancien Premier ministre. « Je pourrais plaider en faveur des Juifs en dix minutes. Je ne pardonnerais jamais les terroristes de l’Irgoun. Mais nous n’aurions jamais dû limiter l’immigration avant la guerre. »

Plus tard, Churchill réprimandera le gouvernement pour « l’horrible et sordide conflit avec la communauté sioniste » qu’il menait en Palestine.

Selon une copie des notes qu’il avait préparé pour un discours prononcé 10 ans après la déclaration de l’État d’Israël, Churchill croyait fermement que le Royaume-Uni aurait dû « faire appliquer une partition équitable de la Palestine au lendemain de notre victoire ».

Mais ce report n’a « rien fait gagner [d’autre] que la haine des deux parties, Juifs et Arabes confondus ».

Le parti travailliste britannique allait commettre un dernier acte vindicatif, en retardant sa reconnaissance d’Israël. Churchill avait exhorté le gouvernement à reconsidérer cette démarche : la naissance d’un État juif, avait-il dit à la Chambre des Communes, « est un évènement de l’histoire du monde qui doivent être regardés avec une perspective décennale ou centenaire, mais avec une perspective millénaire, bimillénaire, voire trimillénaire ».

Trois ans plus tard, à l’âge de 76 ans, le Premier ministre Churchill est devenu Premier ministre pour la seconde fois. Weizmann, devenu président d’Israël, lui a adressé ses félicitations.

Depuis Downing Street, Churchill avait répondu : « les efforts extraordinaires que fournit Israël dans ces temps difficiles sont réconfortantes pour le vieux sioniste que je suis ».

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