"Sheket medoume", calme trompeur

"Sheket médoumé", calme trompeur (011008/18) [Analyse]

Par Jean Tsadik © Metula News Agency

 

Avec Ilan Tsadik à Sdérot

 

Il semble que la flambée de violence dans le sud-ouest d’Israël et dans la bande de Gaza soit désormais terminée. Jeudi soir, vers 21h15, l’Alerte rouge a à nouveau retenti dans les territoires des Conseils régionaux d’Eshkol, de la Plage d’Ashkalon et de Shaar Ha-Neguev, dans le pourtour de Gaza. Quelques minutes plus tard, deux Qassam ont explosé dans un terrain vague.

 

En milieu d’après-midi d’hier, une roquette était tombée à proximité de la capitale du désert, Beersheva, à 40km de l’enclave côtière, sans provoquer le moindre dégât. Il a cependant été brièvement question de reporter le match de Coupe d’Europe de football entre Hapoël Beersheva et Apoël Nicosie, mais l’UEFA, en concertation avec les autorités compétentes israéliennes, a maintenu la rencontre, qui s’est conclue sur un décevant 2 à 2 avant le match retour à Chypre, la semaine prochaine. Les joueurs d’Apoël ont toutefois dû se réfugier dans les abris pendant l’alerte et certains ont paru choqués par cette expérience.

 

Depuis 23 heures, heure de l’entrée en vigueur d’un cessez-le-feu obtenu par l’Egypte, un calme précaire règne. Vers midi, ce vendredi, la Défense Civile a déclaré le "retour à la normale" pour les habitants du pourtour de Gaza. Cette tempête de deux jours, si l’on en reste là, aura vu 200 roquettes tirées sur Israël par les miliciens islamistes de Gaza, et Tsahal répondre par 150 raids.

 

Lors des dernières opérations de l’Armée israélienne, les militaires hébreux ont commencé à détruire des bâtiments à plusieurs étages qui abritaient des installations des milices [voir la photographie].

 

Cela a sans doute persuadé les djihadistes qu’il était préférable de mettre un terme à l’escalade avant que Tsahal se départisse de sa retenue. A Jérusalem, il était aussi de plus en plus question d’une opération terrestre si les factions continuaient à lancer leurs projectiles.

 

Ceci dit, le problème reste entier et il a même tendance à se compliquer. D’abord, la Ména est en mesure de confirmer les révélations de Sami el Soudi d’il y a une semaine, et de révéler que le Hamas tronc central n’est pour rien dans cette flambée de violence. Les tirs sur les agglomérations israéliennes ont été initiés par les factions dissidentes, qui ont tenté de faire trébucher le processus de fin des hostilités actuellement négocié avec le Caire et Jérusalem.

 

D’ailleurs, en plein milieu des combats, un officiel du Hamas tronc central a annoncé que les discussions au Caire en vue d’un accord de cessation de belligérance se poursuivaient et progressaient.

 

La quinzaine de groupes n’obéissant pas au tronc central dispose actuellement de largement plus de miliciens que le Hamas traditionnel. Même si l’été dernier tous ces "combattants" étaient encore des membres obéissants de l’organisation. Certains dissidents revendiquent également être les représentants légitimes du Hamas, prétendant que les dirigeants du canal traditionnel ont perdu la voie et la foi, et qu’ils ne représentent plus personne.

 

Le nombre élevé de roquettes tirées s’explique pas le fait que les entrepôts dissimulés dans toute la Bande en regorgent. Sami el Soudi, repris depuis jeudi dernier par la plupart des media occidentaux, l’avait aussi écrit.

 

Il est également possible d’expliquer la raison pour laquelle toutes les roquettes ont été lancées sur le voisinage immédiat de Gaza (celle qui a parcouru le plus long trajet est celle de Beersheva) et non sur Tel-Aviv ; c’est simplement que les terroristes ont compris que le Dôme de fer est moins efficace lorsqu’un projectile reste en vol pendant 5 secondes que pendant 20 minutes. Or 5 à 7 secondes, c’est le temps que met un Qassam pour parcourir le kilomètre et demi qui sépare la Bande de Sdérot, par exemple. En un si court laps de temps, le Dôme doit remarquer et situer le départ du tir, calculer son trajet ainsi qu’un point d’interception, et en voyer un missile afin de l’abattre, mais suffisamment loin des habitations pour ne pas faire plus de dégâts que la roquette. Bref, c’est physiquement quasi impossible, même si 20% de ces tirs ont été interceptés ces trois derniers jours. On compte en effet un peu moins de 40 Qassam détruits en vol, le plus grand nombre des autres explosant dans des zones inhabitées. En comparaison, aucun Qassam gazaoui n’a jamais touché Tel-Aviv ni Jérusalem, et le nombre de ceux qui ont explosé à Beersheva est minime.

 

Tout ceci posé, l’observation de la situation rend pratiquement inutile de conclure un accord avec le Hamas tronc central, surtout si l’on est amené à faire des concessions, car il est clair, après ces trois jours d’affrontements auxquels le Hamas avait décidé de ne pas participer, qu’il n’est pas capable de respecter les engagements qu’ils s’apprête à prendre.

 

Cela n’arrange pas les affaires de Binyamin Netanyahu, qui voit la cote de popularité de son gouvernement dévisser en chute libre depuis mercredi. Il faut dire qu’il nage en pleine ineptie stratégique. Son obsession à garder le Hamas vivant l’a conduit à faire face à trois hypothèses dont aucune n’est satisfaisante : 1. Se contenter de frappes aériennes light, tout en laissant des factions islamiques lancer deux cents projectiles sur la huitième puissance du Globe. 2. Réoccuper la bande de Gaza, au risque de voir des dizaines de soldats et des milliers de Gazaouis se faire tuer. Et ensuite avoir la responsabilité d’1.6 millions d’habitants qui haïssent Israël sans pouvoir s’en débarrasser. 3. Signer un accord de non-belligérance avec une milice islamiste finie, dont il sait qu’elle ne pourra satisfaire aucun des engagements sécuritaires qu’elle aura pris.

 

Dans les trois cas, la population israélienne ne va pas apprécier du tout, et c’est autrement plus significatif que les sondages qui montent et qui descendent. A témoin cette lettre à M. Netanyahu, signée ce vendredi matin par tous les présidents des conseils régionaux du pourtour de Gaza. Elle parle de "bousha", de honte, et de "sheket médoumé", de calme trompeur. Elle rappelle que ce gouvernement a abandonné l’initiative aux milices islamistes de Gaza, qui décident, à la place du gouvernement israélien, de la guerre ou de la trêve.

 

Tous ces responsables locaux et les habitants des agglomérations du pourtour de Gaza sont écœurés ; tous affirment qu’ils sont près à endurer les désagréments d’une guerre, comme c’est déjà le cas à intervalles réguliers depuis mars dernier, pour donner à Tsahal le temps de mettre le Hamas définitivement hors de combat.

 

"Le cessez-le-feu conclu cette nuit grâce à la médiation égyptienne n’en est pas un", me dit-on dans le Sud et parmi les officiers supérieurs d’active et de réserve de Tsahal. "La preuve", me demande-t-on ? – ce vendredi, les factions islamistes et le tronc central du Hamas ont à nouveau appelé la population de Gaza à se presser le long de la barrière de sécurité et à envoyer des cerfs-volants et des ballons incendiaires cette après-midi. L’appel est même plus appuyé que les semaines précédentes.

 

Nous avons perdu un soldat, nous en avons un autre grièvement blessé et l’ennemi détient toujours des civils israéliens prisonniers et des dépouilles de militaires, à quoi nous sert cette trêve ? A qui profite-t-elle exclusivement sinon aux factions islamistes de Gaza ? 200 roquettes plus tard, onze blessés plus tard, dont une femme entre la vie et la mort, qu’est-ce qui a changé ?

 

Demain, ou même peut-être ce soir, le Hamas tronc principal, ou une des factions rivales, quand ils auront le moindre intérêt politique pour le faire, se remettront à lancer des centaines de roquettes sur Israël, ils en possèdent des milliers. Et la population, pacifique et laborieuse du Néguev, courra à nouveau dans les abris et interrompra, pour la énième fois, le cours normal de sa vie. Les enfants, plutôt que jouer au football sur le gazon, s’enterreront à nouveau dans la hantise d’une explosion plus forte que les autres, dans l’attente incertaine de pouvoir redevenir des enfants pendant quelques jours. Au gré des miliciens.

 

Leurs parents compteront les hectares de champs cultivés que les "voisins" auront incendiés ainsi que les récoltes perdues, à la fois dans les flammes et parce qu’ils ont été forcés d’interrompre leur entretien.

 

Le ministère de l’Agriculture les a informés hier que s’ils poursuivent leur travail en dépit de l’ordre de rester dans les abris, ils le font à leurs risques et périls. L’un d’entre eux m’a dit que le même ministère leur a communiqué qu’ils ne pourront pas disposer des réserves d’eau existantes pour compenser les jours chômés [par plus de 40 degrés à l’ombre. Ndlr.], au prétexte que "les autres régions ont également besoin d’eau". Cet interlocuteur a ensuite précisé que beaucoup d’habitations situées à 7km de la frontière ne disposent pas d’abri.

 

"Andralamoussia", le bordel, c’est le mot qui revient le plus souvent dans la bouche des sinistrés. "La situation ressemble à s’y méprendre à celle qui prévalait dans le Nord avant la Seconde Guerre du Liban : on les laisse tirer sur nos soldats et nos civils, kidnapper des citoyens, sans prendre les mesures qui s’imposent".

 

La totalité des gens à qui je me suis adressé sont opposés au projet d’accord de non-belligérance discuté actuellement dans la capitale égyptienne. Même s’il contient des éléments propices au Plan Trump, il faudra laisser entrer dans la Bande des matériaux servant à construire des bunkers et des tunnels, et s’engager à s’abstenir d’intervenir militairement à Gaza. Il en résultera que les milices pourront reconstituer leur arsenal et elles ne se priveront pas de le faire. Cette réflexion est d’autant plus juste, que le Hamas n’a pas les moyens d’empêcher ni les émeutes, ni les cerfs-volants, ni les roquettes, en supposant que c’est son intention. Lorsque l’on signe un armistice avec un ennemi en pleine décomposition, on y perd sur tous les tableaux. Et il n’est pas indispensable d’inventer chaque fois la poudre à éternuer pour en être conscient, il suffit de consulter l’histoire, d’écouter les stratèges, et de ne pas prendre ses rêves pour la réalité.

 

L’analyse sereine de la situation indique qu’il faut, d’un strict point de vue stratégique, mettre ces barbares hors d’état de nuire. Le gouvernement de Binyamin Netanyahu tourne en rond autour des trois "mauvaises solutions" que j’ai évoquées précédemment. Ce, malgré l’opposition de plusieurs ministres, qui préconisent la réoccupation permanente de l’enclave palestinienne.

 

A mon humble avis, et celui de nombreux amis officiers de réserve, ils se trompent tous. Il existe une autre solution et j’en ai souvent parlé dans ces colonnes : réinvestir complètement la Bande, arrêter les miliciens et leurs chefs, démanteler le Hamas et, pendant deux ou trois mois, vider leurs arsenaux et détruire leur infrastructure guerrière. Ensuite, se retirer là où nous nous trouvons aujourd’hui, laissant derrière nous des milices décapitées et des arcs et des flèches.

 

Nous pourrons toujours et sans difficultés intervenir ponctuellement en cas de problèmes ou, à moindre coût, si nécessaire, réitérer l’opération. C’est en tout cas ce qu’ordonnerait de faire un exécutif qui comprendrait la gravité stratégique de la situation et qui saisirait qu’Israël doit impérativement reprendre l’initiative. Et vite.

 

Un dernier point : si d’aucuns entendent m’imputer des arrière-pensées politiques, ou s’ils pensent que j’exagère en quoi que ce soit, qu’ils aillent parler avec les habitants de Sdérot, de Nétivot ou de Shaar Ha Neguev. Et qu’ensuite, ils n’oublient pas de me présenter leurs excuses.

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