Tunis Années 50 – Une petite fille raconte: Apprends à tes mains et garde-les, un jour elles te serviront, de Maguy Boccara

Tunis Années 50 – Une petite fille raconte: Apprends à tes mains et garde-les, un jour elles te serviront, de Maguy Boccara

Je suis née le 11 mars 1939 à Tunis, en Tunisie.
Que me reste-t-il du siècle de mon enfance, rien ou presque rien, rien sauf cette phrase donnée par ma mère, comme un talisman :
« Apprends à tes mains et garde-les, un jour elles te serviront. »
Cette phrase a traversé les années sans perdre ni de sa force, ni de sa pertinence, car apprendre à ses mains à confectionner une robe ou à utiliser un ordinateur, quelle différence ? Si on les garde, un jour elles serviront.
Ces années-là, dans les années 50, nous n’avions pas d’eau chaude courante, pas de réfrigérateur, pas de télévision, pas de téléphone. Seuls quelques rares privilégiés pouvaient en bénéficier et nous n’étions pas bien riches.
À cette époque on ne jetait pas, on gardait les objets. Nos mains devaient en savoir des choses pour tenir une maison, poser une vitre, réparer une chaussure, fabriquer un meuble, teindre, repasser, coudre surtout coudre, les robes ne s’achetaient pas, quand on avait les moyens, on s’adressait à une couturière.
Il fallait laver le linge, le faire bouillir, le faire sécher au soleil pour le rendre plus blanc, cuisiner, on n’achetait pas les douceurs, on les fabriquait, les yaourts, les confitures étaient faits maison. On soignait les enfants, leur maux de gorge, leurs toux, leurs coliques, leurs rhumes, le médecin venait quand le « savoir-guérir » des femmes était défaillant.
Pour rendre hommage à mes parents, à leur courage, à leur ingéniosité, j’ai rassemblé mes souvenirs pour raconter et transmettre à mes petits enfants ce que leurs mains m’ont appris.
Maguy BOCCARA

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Préface du Docteur Feya REGGIOS (extrait)
Maguy BOCCARA a d’abord écrit ces pages pour ses petits enfants, avec le désir de leur transmettre une MEMOIRE ; le hasard a voulu que j’ai eu accès à ce document, que j’ai lu, il faut bien l’avouer, d’une traite, avec grande émotion. J’étais en présence, non pas du récit d’une grand-mère à ses petits enfants, mais d’un document ethnologique, une sorte de Tristes tropiques de Claude LEVY-STRAUSS, où ce qui était montré était la vie d’une famille juive de Tunis dans les années 50.
C’est une petite fille qui raconte et qui grandit en racontant. L’originalité de ce récit vient de cette mémoire d’enfant conservée, et que Maguy BOCCARA nous restitue avec toute l’authenticité et la fraîcheur de la petite fille qu’elle fut.
Document ethnologique, certes, mais aussi Manuel d’Éducation, tellement utile en ces temps où nous ne savons plus où nous habitons, et où nos jeunes dérivent. Il faut lire ces pages, apprendre de cette ouvrière brodeuse et de cet artisan sculpteur, comment ils ont réussi à conduire leurs six enfants vers une réussite sociale et amoureuse. Le couple n’éduque pas avec des discours, des reproches ou des punitions, ils Sont l’exemple, ils Sont la morale, ils Sont les valeurs.
[...]
Ce serait tellement dommage si cette mémoire était perdue, si elle n’était pas transmise, si les Mains qui ont su n’apprenaient pas aux Mains qui ne savent pas encore.
Feya REGGIOS
Docteur en Psychologie, Professeur des Universités
Membre de la Société Psychanalytique de Paris
Membre de l’Association Psychanalytique Internationale

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