Habitudes culinaires goulettoises du XXe siècle

Habitudes culinaires goulettoises du XXe siècle

 

Il y a quelques jours, je suis tombé, tout à fait par hasard, sur un texte du début du siècle dernier, qui décrit l’alimentation des Goulettois musulmans, juifs et chrétiens. Un document précieux à mes yeux, où l’on peut retrouver certains mets de l’époque. Je désire partager une partie de ce texte avec mes lecteurs.

En effet, un vieux dicton récitait comme suit : «La moitié des habitants de La Goulette passe son temps à préparer à manger à l’autre moitié». Un très beau dicton qui annonce déjà la couleur, le partage et la joie de vivre des Goulettois autour d’une table.

Ce vieux manuscrit reporte ce qui suit : «A la vérité, le Goulettois est frugal, pour les repas à la maison, mais il ne lui déplaît pas : “d’amuser la gueule” à toute heure le plaçant parmi les “gens d’esprit”».

Matineux, il déguste chez lui une crème de “Droo”, sorgho ou un grand verre de citronnade avec le croquant trempé, ou bien le “ftayer”, beignet traditionnel avec des figues fraîches ou encore pour accompagner la boutargue de thon, la petite couronne de pain blanc mélangé de farine et de semoule, dont la qualité avait déjà été vantée en 1842 par le commandant Auguste Henry de la marine française qui avait mouillé quelques mois en rade de La Goulette à bord du “Tonnerre”.

Le soir, à la soupe en famille, il préfère se rassasier chez le gargotier d’une grillade de foie et de merguez ou d’une friture de rougets ou de mulets. A toute heure, même en travaillant, il grignote de petits gâteaux, de fruits secs, des graines de courge, importées en tonnes d’Autriche ou encore des graines de pastèque». Ce qui m’a paru curieux et amusant, c’est que selon Raoul Darmon, l’auteur de ce texte, un bon chef de famille moderne est considéré celui qui est capable de comprendre la qualité du melon en le remuant près de son oreille et comme tout Tunisien, il consomme en été, beaucoup de “gannaouia” (gombos), légume cultivé dans les prés salés de Sidi Daoud et qui est transporté à Tunis dans un fourgon spécial du premier train du matin, surnommé “train gannaouia”.

On peut encore lire qu’un des mets incontournables du Goulettois, c’est le “brik”, cette pâte feuilletée qu’on farcit d’œuf, de viande et de poisson avant de la frire, parfois garnie (pour les plus gourmands) de pâte d’amandes avant de la passer au miel. Le manuscrit nous indique aussi où on pouvait manger le meilleur brik de La Goulette et c’était “Chez Lalou, le roi du brik” une vieille baraque avec une vieille planche pour porte et une enseigne écrite au charbon. Lalou, qui s’est auto-couronné le “roi du Brik”, demeurait accroupi à l’intérieur près d’un “canoun», sur lequel se trouvait une poële d’huile bouillante prête à recevoir la pâte du “Brik”, servi aux clients dans de petites assiettes métalliques. Le problème, c’était que Lalou avait à quelques mètres de sa baraque, Ishak, un autre “roi du brik” de confession juive.

Et à ce propos, j’aime vous faire part d’une histoire goulettoise fort sympathique. Un gros personnage officiel tunisien, pour régaler ses invités, avait trouvé que le “brik” confectionné “Chez Lalou”, avait moins de goût que celui préparé “Chez Ishak” se trouvant au coin de la même rue. Il songea alors à faire venir Ishak chez lui, et après l’avoir gratifié d’un vêtement neuf, lui avoir fait tailler la barbe et les cheveux, mit à sa disposition une poële toute neuve, de l’huile vierge, de la semoule de choix, des œufs de première fraîcheur. Hélas, les briks n’arrivaient pas à avoir aussi bon goût que ceux préparés par notre artisan dans sa pauvre baraque.

Interpellé par le maître, il balbutia «que voulez-vous, ici il manque l’ambiance et la boukha !».

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