Réflexions sur Jean-Luc Mélenchon

Réflexions sur Jean-Luc Mélenchon

 
 

« Jean-Luc Mélenchon vous explique que les patrons sont des salauds, que les policiers tuent et que maintenant les journalistes sont des fanatiques. À un moment donné, il faut se poser la question de la place qu’il occupe dans le débat public. » C’était la réaction d’Olivier Véran aux injures de Mélenchon après l’entretien de Ruth Elkrief avec Manuel Bompard, un proche de celui que le sénateur Claude Malhuret a appelé le « leader minimo de la France soumise à Cuba ».

Je vous rappelle son tweet : « Ruth Elkrief. Manipulatrice. Si on n'injurie pas les musulmans, cette fanatique s'indigne. [...] Elle réduit toute la vie politique à son mépris des musulmans ». La Présidente des Verts, Marine Tondelier a réagi sobrement : « Efface » ; le Président du Sénat, plus brutalement, « Ferme ta gueule ».

En réaction, les Insoumis se moquent sur les réseaux sociaux du score des écologistes aux Présidentielles et fustigent Gérard Larcher.  Ce sont là deux préceptes de leur chef : stigmatiser les adversaires, même quand ils sont des alliés, comme le sont les Verts, et tout rapporter au combat essentiel, celui des « vrais gens » contre la caste des dominants, journalistes ou dirigeants politiques.

Mélenchon n’a pas regretté ses mots, car il ne faut jamais s’excuser : ce serait donner un point à l’adversaire, et l’adversaire est un ennemi.

Est-ce un hasard que la journaliste insultée s’appelle Ruth Elkrief et pas Marie Christine Dupont ? Mélenchon suit les traces de Jean-Marie Le Pen, qui avait déclaré en 1986 à ses partisans : « Je dédie votre accueil à Messieurs Jean-François Kahn, Jean-Daniel, Ivan Levaï et Jean-Pierre Elkabbach, à tous les menteurs de la presse de ce pays ». Et ce n’est pas la première fois qu’il prend exemple sur son glorieux aîné, avec qui il partage l’amour d’une langue française bien ciselée qui sert d’outil d’emprise sur des militants impressionnés par la dextérité verbale de leur chef.

Le récent dérapage de Jean-Luc Mélenchon est loin d’être le premier. Ces dérapages sont de plusieurs sortes. 

Certains sont des déclarations péremptoires et apparemment savantes. Hostile au nucléaire, il prétend quelques éoliennes en mer, 45 au plus, pourraient remplacer un réacteur. Les experts sollicités calculent après coup qu’il en faudrait au moins 300, ce qui est loin d’avoir les mêmes conséquences environnementales. Mais leurs conclusions ne seront pas lues par les électeurs, et ceux-ci s’en moquent.

 

Pour Gaza, Mélenchon se pose en humaniste accablé, appelle au cessez-le-feu immédiat et parle de génocide. Ses disciples reprennent ce mot, pour qu’il devienne une évidence. C’est comme si on disait que les Alliés en bombardant l’Allemagne, avaient commis un génocide du peuple allemand… 

Pas question de regretter d’avoir accusé les Israéliens d’avoir tué 500 personnes en bombardant l’hôpital Al-Ahli ou d’avoir nié que les événements du 7 octobre avaient un caractère terroriste. N’avouez jamais…

 

Il procède aussi par des allusions vicieuses qui éveillent les soupçons des électeurs complotistes : il préfère, parce qu’ils sont plus sûrs, des vaccins classiques à ceux que le gouvernement impose contre le Covid ; il constate en 2015 que Poutine est la vraie victime de l’assassinat de son opposant Boris Nemtsov (que Mélenchon accuse faussement en plus, d’avoir été antisémite) ou qu’un événement qui fait peur, tel les assassinats de Toulouse en 2012 vient « comme par hasard » en fin de campagne présidentielle, pousser les électeurs à voter sécuritaire…

 

Une critique modérée et documentée de Yonathan Arfi et voilà le Crif traité de mouvement d’extrême droite. Mais quand il s’agit de ses amis dictateurs, les Chavez, Maduro ou Castro, des Chinois ou de Assad, c’est au contraire une profusion de nuances, d’euphémismes et de silences… Daniel Cohn-Bendit a dit qu’entre la Corée du Nord et les États-Unis, Mélenchon choisirait toujours la Corée du Nord. Cela me semble un bon résumé des obsessions politiques du leader de la France insoumise.

 

Quant à son extrême israélophobie qui ne recule plus devant des tonalités antisémites, chacun sait qu’elle est avant tout une posture électoraliste. Il fut un temps où Jean-Luc Mélenchon était plutôt favorable à Israël et où il vitupérait toute revendication contraire à la laïcité. Aujourd’hui le mantra de la lutte contre l’islamophobie a tout emporté. 

 

On rappelle beaucoup que Jean-Luc Mélenchon a été dans sa jeunesse un militant lambertiste. Le lambertisme est un mouvement trotskiste sectaire qui dans les années 1970 a développé une tactique d’entrisme vers le Parti socialiste, l’Unef ou le syndicat Force ouvrière, qui se révéla étonnamment efficace. Mais cette efficacité même l’aura perdu, car certains de ses militants, tels Jospin, Cambadélis ou Mélenchon, ont fait une si belle carrière au PS qu’ils y sont restés et que le lambertisme en est devenu exsangue. Pierre Lambert, un pseudonyme pour le fils d’une famille d’immigrés juifs ukrainiens, était « en même temps » un terne fonctionnaire des Allocations familiales et un chef de parti à qui les militants devaient une obéissance absolue. Il procédait par exclusions successives et remplaçait ses premiers compagnons par de plus jeunes qu’il impressionnait par sa vivacité dialectique. Jean Luc Mélenchon a gardé les méthodes de son mentor, l’obéissance envers la parole du chef, la violence du discours et la constitution d’une garde rapprochée de jeunes qui lui doivent toute leur carrière. Mais il a remplacé le marxisme vieillot de lutte de classes par le combat intersectionnel des opprimés de toutes sortes contre les dominants et la laïcité intransigeante par la complaisance à l’égard de l’islamisme. Il a fait ainsi beaucoup plus que le 0,34 % de voix obtenues par Pierre Lambert quand celui -ci s’est présenté aux élections présidentielles…

 

Je pense qu’on a tort de croire Mélenchon déconsidéré par ses outrances. À peu près sûr de rester le premier dans l’électorat de gauche, il fait le pari que cet électorat votera utile et le propulsera au deuxième tour contre Marine Le Pen dont il est de fait, contre la droite modérée, le meilleur agent électoral.

Au deuxième tour, il agitera le drapeau de la liberté et de la République contre le danger de l’extrême droite. 

Pour assurer son succès, il doit mobiliser son gisement électoral, qui réside dans la jeunesse et la population musulmane. Ce sont deux segments où l’abstention électorale est particulièrement forte. Il fait le pari que cet électorat qui est sensible à un discours anti-système et qu’il apprécie avant tout le parler brutal, « dru et cru ». Ses outrances contre Ruth Elkrief font donc partie de la stratégie de Jean-Luc Mélenchon qui usera d’un langage plus rassembleur quand il lui sera utile de ne pas effrayer les électeurs, par exemple au deuxième tour…

 

Cette stratégie sera-t-elle un succès ? J’espère profondément que non...

 

 

Richard Prasquier, Président d’honneur du Crif

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