Tout de suite et de manière évidente, la peinture de Maxime Ben Haïm nous laisse apparaître un aspect duel. Ainsi Janus et Janua s’imposent. Ces très anciennes divinités, et gardiennes des accès, s’associent assurément avec cet artiste qui sait si bien, avec tant de naturel et d’élégance, entrebâiller les portes, les ouvrir presque totalement ou les fermer (réminiscence de la fermeture du ghetto, la nuit, de l’extérieur et de l’intérieur).
Tel ce dieu aux deux visages, le passé et l’avenir se mêlent dans ses œuvres, on y parle du ciel mais aussi de la terre. Dans cette dualité complémentaire l’homme et la femme fusionnent alors en une androgynie suave et sublime.
Les peintures de Maxime Ben Haïm nous entraînent dans un monde étrange, presque ésotérique, du passage, où la Femme veille sur le seuil, protégeant ce lieu « suspendu », pareil à un endroit guéable et invisible, où s’enracinent Temps et Histoire. Il s’agit bien pour lui d’une œuvre de peau(x), de tatouage(s) de l’instant (henné magique et religieux), d’un sensible mature qui se nappe de force et de grâce infinies sur l’intérieur d’un horizon d‘éternité. Le bruit a disparu, mais l’on sent, au loin, que ces tableaux ont été scandés au damage des seuils et des terrasses, à la fois rythme et rite.
Et voilà que la beauté s’empare à nouveau des maisons: femmes juives, berbères, almohades, orientales, elles restent immobiles, à jamais comme une question, une attente. Elles nous noient de nostalgie, nous aimantent vers un « mal » du temps où nous fûmes et où nous aimerions toujours être. Ou bien est-ce le grand-père Salomon et ses secrets qu’il nous faut suivre dans ce dédale de ruelles bleu prusse, guidés par sa canne millénaire dans cette aurore que l’étroitesse des venelles empêche de monter? Plus d’immobilité patiente que de mouvements vifs, dans la peinture de Ben Haïm. L’homme y marche, non la femme. C’est le règne de l’odalisque libre et vêtue, du foyer, le royaume du ventre flamboyant et unique de la Femme maternelle que l’Homme désire de toute éternité.
Ces toiles ne sont pas uniquement spectacle, elles inaugurent une présence, une mémoire. Oeuvre mnésique et universelle aux senteurs sensuelles et érotiques, entre l’onirisme de l’ombre et de La lumière, où éclate le respect de l’Humain, de ce qu’il porte en lui, du lien historique qu’il représente, tout autant que de son ineffable présence, et d’une lignée dépassant toute orthodoxie apprise. Le travail de Ben Haim comporte, malgré son apparente sobriété une polymorphie surprenante. Peinture de l’immédiat, de l’instantané, sans aucun jeu, ni effet ni préméditation, elle se nourrit d’une mémoire ancestrale. Il y a, dans ses peintures comme une mise en place du temps arrêté, due à l’absorption d’un momentané qui se fige. Cette manière particulièrement prégnante représente le côté « théâtral », inaliénable de l’œuvre. Son art s’impose également par un silence et une solitude de pierre. Il exerce, ainsi que le font les peintures pariétales, un envoûtement par l’image, dans le glacis d’une palette reconnaissable entre toutes, pleine d’un feu qui lentement couve et ne se déclare.
Toute l’œuvre de Maxime Ben Haim remplit sans aucun doute une fonction didactique comme substitut de la parole et imprime une tangibilité au pouvoir dramatique surprenant. Enfin, outre bien sûr ses pouvoirs esthétiques, sensibles et nostalgiques, elle assure un rôle mnémotechnique irremplaçable puisqu’elle avale la tradition, la fixe et devient ainsi garante de sa pérennité. Grâce à cette peinture à lecture multiple, ensorcelante et merveilleusement humaine, Maxime Ben Haim nous ramène vers des rives que nous avions trop vite quittées et nous redonne la véritable dimension du passé, de l’origine- lieu unique de vertige où tout se prépare, se constitue et se crée. Sa conception d’un passé si proche nous accompagne et nous renforce afin d’appréhender plus sereinement un présent « brut », qui nous paraît souvent impersonnel; Elle nous aide à faire face à la réalité ingrate des temps qui nous guettent et nous apeurent. On ne peut que remercier ce peintre de nous accorder la grâce d'une pause- là - à nouveau, le cœur, l’âme, l’esprit grand ouverts, au confluent d‘une double temporalité.
Catherine Mafaraud-Leray