LE COVID-19 S'ATTRAPE AUSSI PAR LES YEUX, ET ON SAIT MAINTENANT POURQUOI
Alain Chouffan
Une étude démontre la vulnérabilité des cellules oculaires au virus du Covid-19 et confirme que les yeux pourraient être une porte de contamination.
Un postillon dans l’œil pourrait théoriquement permettre au coronavirus de nous infecter. Comment ? Une étude américaine vient trouver l’explication à ce phénomène que le corps médical avait constaté, et listé dans les symptômes possibles du Covid-19. Les conjonctivites, qui se produisent dans une petite proportion de cas de la maladie, avaient déjà attiré l’attention sur nos globes oculaires. Aujourd’hui, la filière de contamination potentielle se précise.
Ces dernières semaines, l’attention des spécialistes s’est portée sur les yeux des malades du Covid-19. Conjonctivites, œdèmes, production anormale de larmes… Le 31 mars, le Dr Ping Wu, du département d’ophtalmologie de l’université de Yichang (Chine), et son équipe relevaient que dans un groupe de trente-huit patients traités début février dans la province de Hubei, une douzaine, parmi les cas les plus sévères, manifestait de tels symptômes.
Déjà, ces scientifiques avertissaient sur une possible transmission par les yeux de la maladie, même si l’on ne rencontrait que peu de virus dans les larmes.
Le virus présent plus longtemps dans les yeux ?
Cette contamination oculaire était confirmée par le cas d’une malade arrivée en Italie fin janvier en provenance de Wuhan et hospitalisée à l’institut des maladies infectieuses de Rome, détaillé dans les « Annals of Internal Medicine ». Les prélèvements réguliers dans ses yeux ont non seulement révélé la présence du Sars-CoV-2, mais ont également permis de noter que l’on pouvait y détecter l’ARN du virus plusieurs jours après qu’il est devenu indétectable par prélèvement nasal. Ces virus n’étaient pas simplement à l’état de traces : ils continuaient à se reproduire.
L’infection par les yeux présente donc un risque qu’a pu mettre en évidence l’équipe du professeur Michael Chan, de l’école de santé publique de Hong Kong, qui a détaillé l’infection par le coronavirus de la conjonctive, cette membrane qui recouvre l’intérieur des paupières et le blanc de l’œil.
Pour le professeur Chan et ses collègues, qui ont publié leurs travaux dans le « Lancet Respiratory Medicine », l’œil « pourrait être une route additionnelle de l’infection », et expliquerait en partie la transmission rapide de la maladie. Ces scientifiques ont également comparé la souche du virus du Covid-19 avec le coronavirus du Sras de 2002-2003 ou de la grippe aviaire de 2004-2005.
C’est prouvé : si les chauve-souris transmettent des virus à l’homme, c’est la faute de… l’homme
« Nous avons cultivé des tissus provenant des voies respiratoires et des yeux humains en laboratoire et nous les avons utilisés pour les comparer avec le Sras et le H5N1 [virus de la grippe aviaire], détaille le professeur Chan au “South China Morning Post”. Nous avons découvert que le Sars-CoV-2 est beaucoup plus efficace pour infecter la conjonctive humaine et les voies respiratoires supérieures que le Sras, avec des niveaux de virus de l’ordre de quatre-vingt à cent fois plus important. »
Le coronavirus a bien une porte d’entrée dans les yeux
La porte d’entrée du virus dans les yeux vient d’être explicitée dans une nouvelle étude – qui n’a pas encore été revue par des pairs – postée sur le serveur de pré-print BioRxiv. Les auteurs, une équipe de l’école de médecine Johns Hopkins (USA), ont analysé des yeux humains afin d’y rechercher les facteurs clés permettant au Sars-CoV-2 de s’attacher aux cellules et de les infecter.
Ces clés sont au nombre de deux. Il y a tout d’abord l’ACE2, une enzyme que l’on retrouve sur la membrane de cellules du système respiratoire, cardiaque ou digestif, et qui s’avère être un point d’attache pour le virus du Covid-19 – il s’en sert pour pénétrer à l’intérieur de la cellule et l’infecter. La seconde clé est connue sous le nom de TMPRSS2, une protéase (sorte d’enzyme) qui va faciliter l’entrée du virus en l’« activant » une fois qu’il s’est attaché à l’ACE2.
Le Covid-19 est-il (aussi) une maladie du sang ?
Selon l’étude, le récepteur ACE2 est présent sur la conjonctive et sur la cornée, et plus particulièrement, sur leurs cellules de surface. Quand à la TMPRSS2, on la retrouve dans « tous les échantillons de l’œil et de la conjonctive ».
On aurait donc bien à la fois un mode de transmission potentiel du virus dans les deux sens : les aérosols, ces gouttelettes qui sont expulsées dans l’air ambiant par la respiration des malades, qui entreraient en contact avec les yeux, ou à l’inverse, si l’on venait par exemple à toucher un objet contaminé par un malade qui vient de se frotter les yeux.
De plus, les yeux devenant ainsi des « réservoirs à virus », cela pourrait expliquer l’allongement de la contagion constatée chez la patiente étudiée en Italie. Cela justifie aussi que de nombreux malades aient des manifestations ophtalmiques : les yeux sont bel et bien infectés !
Visualisation de la protéine ACE2 qui permet au virus du Covid-19 de s’attacher à une cellule. (EMW / WIKIMEDIA COMMONS)
Visualisation de la protéine ACE2 qui permet au virus du Covid-19 de s’attacher à une cellule. (EMW / WIKIMEDIA COMMONS)
« Ces résultats indiquent que les cellules de la surface oculaire, conjonctive incluse, sont vulnérables à l’infection par le Sars-CoV-2 et pourraient donc servir de porte d’entrée, ainsi que de réservoir pour une transmission du virus de personne à personne », confirme l’étude. Ce qu’elle ne précise pas, en revanche, c’est l’importance que peut avoir une telle contamination. Il faudra probablement d’autres recherches pour le déterminer – et confirmer les résultats de l’équipe de Johns-Hopkins.
Comment bien se protéger
Devant de tels éléments, comment se protéger ? Bien sûr, les auteurs de l’étude mettent en avant « l’importance des mesures de sécurité, y compris les masques faciaux et les précautions de contact oculaire afin de prévenir la diffusion du Covid-19 ». Pour les professionnels de la santé, l’information est importante : ils alertent tout particulièrement les ophtalmologues, plus exposés de par leur métier.
Après les masques FFP2, les masques chirurgicaux, les masques en tissu, va-t-il falloir ajouter des lunettes de sécurité ou des visières en Plexiglas à notre arsenal post-confinement ? Les précautions d’hygiène ordinaire devraient suffire. « La protection est utile, mais si à la fin de la journée vos mains sont sales et que vous frottez vos yeux, le plus important est l’hygiène des mains », tranche le professeur Chan.
Si vous respectez les distances de sécurité, les postillons n’ont pas davantage de chances de toucher vos yeux que votre masque. Et si vous vous lavez bien les mains et évitez de toucher votre visage lorsque vous touchez des surfaces contaminées, vous aurez déjà fait un grand pas pour éviter la contagion. Même par les yeux.