Ballet diplomatique au Levant, par David Bensoussan
Les réalités ont changé au Moyen-Orient. Certaines entités étatiques traditionnellement antinomiques se parlent, conscientes de ce que les réalités ont changé. Alors que dans la guerre froide les pays se définissaient comme alignés aux États-Unis ou l’URSS ou encore comme non-alignés, la conjoncture actuelle en est une de pays multi-alignés.
En avant-plan
La protection américaine n’est plus assurée du fait que l’Amérique est plus préoccupée par la montée en puissance de la Chine. Par contre, l’influence américaine est encore plus imposante à l’OTAN depuis l’invasion du Donbass ukrainien par la Russie. Aussi, soucieux de leurs intérêts, les pays du Moyen Orient repensent leurs relations traditionnelles, non seulement avec les grandes puissances, mais également entre eux. Avec une certaine circonspection cependant.L’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis. L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis (ÉAU) et le Qatar ont une puissance financière qui leur permet d’intervenir dans l’ensemble des économies de la région. L’Arabie a renoué les contacts diplomatiques avec l’Iran, interrompus depuis 2016, et a engagé des pourparlers avec les rebelles houtis du Yémen. Pour l’Arabie et les ÉAU, la normalisation des rapports avec l’Iran vise à éviter d’être impliqués dans le cas de la déflagration d’un conflit entre l’Iran et les États-Unis ou Israël.
La solution de deux États, Israël et Palestine, est pour l’instant mise de côté : les pays du Golfe ont besoin de la technologie et des moyens de défense que peut leur procurer Israël.
La Turquie
L’erratique président Erdogan a mis de l’eau dans son vin, car après avoir joué aux chaises musicales diplomatiques pour se retrouver sans siège, il cherche à renouer des relations avec les pays du Golfe et avec Israël. La Turquie a besoin d’augmenter les échanges commerciaux avec les riches pays du Golfe… en passant par Israël. La Turquie est une puissance militaire, mais la lire turque se porte très mal.
Actuellement, l’économie turque est renflouée par le Qatar qui, comme la Turquie, soutient les Frères musulmans, mais cela n’est guère suffisant. La Turquie tente de se rapprocher de l’Égypte bien que son président n’ait jamais accepté l’éviction du président égyptien Morsi appartenant à la mouvance des Frères musulmans. Des premiers tâtonnements diplomatiques sont en cours avec la Syrie, car le président Erdogan aimerait bien y envoyer une grande partie des millions de réfugiés syriens en exil sur son territoire.
En ce qui a trait aux relations avec l’Arabie saoudite, la Turquie s’engage à contenir les médias des Frères musulmans sur son territoire et l’Arabie saoudite envisage l’acquisition de drones turcs.
L’Égypte
L’Égypte est une puissance militaire qui n’arrive pas à satisfaire les besoins essentiels de sa population et qui risque d’avoir à se résoudre à réduire les subventions au pain et à l’essence. De façon générale, l’Égypte s’aligne sur les positions de l’Arabie et des ÉAU en regard de la politique moyen-
orientale.
Israël
Israël est une puissance militaire et économique. Les Accords d’Abraham normalisant les relations entre Israël, le Maroc, le Soudan, Bahreïn et les ÉAU ont amorcé une nouvelle ère de coopération. Le rapprochement avec la Turquie d’Erdogan est appréhendé avec prudence étant donné que ce dernier a eu une politique de douche écossaise envers Israël.
Malgré les manifestations importantes contre la réforme judiciaire en Israël, le dégel des relations entre Israël et l’Arabie est en cours. Les contacts militaires sont continus et des premiers contacts commerciaux officiels voient le jour, tout comme la coopération dans le domaine de l’énergie
solaire.
La Ligue arabe
La Ligue arabe a réadmis la Syrie en son sein, reconnaissant la victoire du président syrien Assad dans la guerre civile. Elle tente d’y diminuer l’influence iranienne ainsi que la vente du stupéfiant Captagon fabriqué en Syrie du fait des ravages que fait cette drogue dans plusieurs pays arabes.
L’Iran
L’Iran a des velléités de grande puissance et intervient dans plusieurs pays (Irak, Syrie, Liban et Yémen) par des proxys. L’obsession islamiste anti-israélienne et anti-américaine de ses dirigeants alimente la tension dans la région. Le Hezbollah armé par l’Iran de plus de 150 000 missiles constitue
une menace sérieuse à la sécurité d’Israël et du Liban. Le régime iranien se rapproche des états sunnites du Golfe, mais tient à conserver son influence dans les pays du Croissant fertile tout en cherchant par tous les moyens à juguler la contestation du régime par ses citoyens. Par ailleurs, les tentatives d’alliance infructueuses de l’Iran avec la Russie et la Chine sont restées sans répartie. D’un autre côté, les sévères sanctions américaines n’ont pas réussi à enrayer l’expansion de sa puissance au Croissant fertile. Rejetant l’ouverture du président Biden, l’Iran a refusé de faire avancer les négociations du 5+1 sur le nucléaire iranien.
Limites et dangers
Il n’est pas dit que le rapprochement entre l’Iran et les pays sunnites ait mis fin au conflit qui oppose chiites et sunnites. La guerre d’influence des pays sunnites et de l’Iran dans l’ensemble des pays de la région est loin d’être terminée.
Le rapprochement des pays sunnites du Qatar après quatre ans de tension a permis à l’Arabie de se poser en joueur important sur le plan diplomatique et au Qatar d’héberger les Jeux olympiques de soccer en
2022. Il n’est pas dit que les embrassades publiques aient mis fin à la méfiance envers le Qatar qui soutient les Frères musulmans ou envers son antenne de propagande Al-Jazeera qui déverse des critiques acides sur les régimes sunnites – le Qatar excepté.
Israël est en conflit avec l’Iran, le Hamas et le Hezbollah. Ce dernier cherche à rogner le territoire israélien à la frontière libanaise et s’est engagé dans de nombreuses provocations. Dans l’immédiat, un conflit signifierait de grandes pertes en Israël, mais aussi au Liban. Le Moyen-Orient est encore une région à l’équilibre instable. Dans une région où la propagande anti-israélienne a été alimentée durant plusieurs décennies, un incident sur le mont du Temple ou un incident terroriste majeur pourraient ranimer l’animosité traditionnelle entre Israël et les pays arabes. Un missile houti faisant des dommages dans la population civile des ÉAU ou de l’Arabie pourrait grandement affecter la stabilité de la région.
En arrière-plan
Tout ce ballet diplomatique s’accompagne d’un changement des mentalités, il est vrai. Or, la réalité socioéconomique des pays arabes n’a pas changé. Les pays autoritaires ont traversé la crise du printemps arabe et le pays qui semblait se tourner résolument vers la démocratie, la Tunisie, a fait marche arrière. Dans la plupart des pays arabes qui, pour une brève période, se sont illusionnés sur des avenirs démocratiques, la réalité sociale est toujours aussi difficile.