Je ferai de ce monde un bordel [1] (info # 013108/9) [Analyse]
Par Patricia La Mosca depuis Genève © Metula News Agency
Le colonel Kadhafi joue avec les nerfs des Suisses est le titre qu’on pouvait lire ce matin à la une d’un journal romand. Il faisait directement allusion à la promesse faite oralement par le 1er ministre libyen Al-Baghdadi Ali al-Mahmoudi au président de la Confédération Helvétique, Hans-Rudolph Merz, de rendre leur liberté, avant le 1er septembre, aux deux otages helvétiques, Hamdani et Göldi, empêchés de quitter le territoire libyen.
Cela s’était passé à Tripoli, jeudi dernier, lorsque Merz était venu exprimer, dans la capitale libyenne, "ses excuses pour l’arrestation injuste de diplomates libyens par la police de Genève".
Merz, président d’un Etat européen, qui - comble du mépris - n’avait même pas été reçu par son homologue libyen, avait cependant l’impression d’avoir rempli sa mission ; il était persuadé d’avoir réglé l’affaire Hannibal et rouvert le marché libyen aux sociétés de son pays.
Côté africain, on préférait parler d’excuses "représentant un premier pas pour régler le problème".
Comment ? On ne se satisfaisait pas d’avoir publiquement raillé un peuple, qui n’avait connu semblable mortification depuis que Jules César l’avait attelé à des jougs à Genève. Le leader de la Joumhouriya libyenne en voulait-il plus pour apaiser sa soif de vengeance ?
Certes, puisqu’il avait exigé la formation d’un tribunal arbitral, chargé de statuer sur l’arrestation de son fils, Hannibal Kadhafi, en juillet 2008 à Genève.
Un tribunal arbitral composé de trois juges, provenant de pays tiers. Les deux pays en conflit ont chacun nommé un juge de leur choix, qui, d’entente, devraient désormais s’accorder sur l’identité d’un troisième arbitre.
L’arbitrage aura lieu ensuite à Londres et il disposerait de 60 jours, à partir de sa formation, afin de rendre son verdict sur l’arrestation du fils de Mouamar et de sa femme, à l’hôtel Président Wilson, dans la cité lémanique, le 15 juillet 2008.
D’accord, mais jamais il ne fut question d’attendre ledit verdict avant de libérer les otages suisses, mais bien d’une relaxe au plus tard demain, le 1er septembre 2009.
Même que la Confédération avait envoyé LE Falcon officiel de l’armée mardi dernier à Tripoli, et qu’il avait poiroté sur le tarmac jusqu’à vendredi, jour auquel il est revenu à vide en Helvétie, infligeant ainsi une nouvelle et retentissante baffe à ses apprentis ministres et à la population toute entière.
Signe de la profondeur de la blessure, l’avion s’est posé sur le petit aéroport de Dübendorf, près de Zurich, et non à l’aéroport international de Berne-Belp, où la Suisse l’attendait avec des rivières de Champagne au frais.
La Ména a une mauvaise nouvelle, ce lundi, pour nos amis suisses : un porte-parole de Mme Micheline Calamity-Rey, la ministre helvète des Affaires Etrangères, a directement informé ce matin l’un de nos très proches amis et camarade, que les otages ne seraient probablement pas relâchés avant que ne soit rendu le verdict du tribunal arbitral.
Suisses, rentrez chez vous, il n’y a rien à voir pour le moment, le polichinelle libyen est en train de vous faire boire le calice jusqu’à la lie.
Il faut dire que vous êtes un peu responsables des dirigeants que vous vous êtes choisis, et que vous n’avez pas forcément eu la main heureuse.
Il y a peu de temps, lors d’une réunion du G8 consacrée à l’Afrique, en Egypte, Kadhafi, après avoir qualifié la Confédération Helvétique de mafia mondiale, avait exigé son démantèlement, proposant à l’Allemagne, à la France et à l’Italie de se partager le territoire à liquider qui, selon le père d’Hannibal, ne forme pas un véritable Etat.
Kadhafi souhaitait en outre à la Suisse le même sort que celui de l’Afghanistan, c’est-à-dire la guerre.
Au lendemain de ces attaques, qui mettaient en doute jusqu’à la légitimité de l’existence de l’Etat helvète, Madame Calmy-Rey avait déclaré "je suis très optimiste. Nous ne relâchons pas nos efforts alors que nous avons fait des progrès significatifs à Tripoli !".
Elle est très optimiste…
Encore était-ce avant que, le 20 août, le Président Merz ne pose les deux genoux devant le bûcher dressé à son intention à Tripoli. Regardant les journalistes présents, celui qui avait accueilli chaleureusement le génocidaire Mahmoud Ahmadinejad à Genève, à l’occasion de la réunion onusienne de surenchères antisémites, Durban II, annonçait en Libye : "C’est un résultat satisfaisant pour moi !".
Mais qu’est-ce qui constitue un succès, selon vous, M. Merz ? Vous pensiez avoir obtenu un accord d’infamie, au prix de votre dénonciation, chez des cannibales, de la police et de la justice de l’Etat de Genève. Ce faisant, vous avez admis, en contradiction avec les valeurs et les lois de l’Etat de droit, que l’arrestation du couple Kadhafi avait été constitutive d’une "injustice".
Et vous n’avez pas même été fichu de vous assurer de la libération effective de vos compatriotes ! Pire, Kadhafi, qui ne vous avait rien promis du tout, va présenter, en septembre, à la réunion de l’Assemblée Générale des Nations Unies à New York, son plan de démantèlement de la Suisse.
C’est ce qui arrive lorsque l’on sacrifie ses valeurs sur l’autel de la barbarie. Car à l’origine de cette affaire, foin d’injustice, au contraire : le petit Hannibal et sa gentille épouse enceinte Aline, que les programmes télé ne distraient plus, ont transformé leurs deux domestiques, une Tunisienne de 25 ans et un Marocain de 36, en souffre-douleur et en punching-balls.
Hannibal, en musulman moderne, arrose la prière de chaque soir de deux bouteilles de Château Margaux 1998. Ca le met dans un état… Quant à sa moitié, c’est inné chez elle, elle aime à frapper tout ce qui bouge.
Dans la suite du Président Wilson, d’imposants gardes du corps ; impossible donc pour les domestiques-esclaves de s’en aller. C’est le personnel du palace qui donne l’alerte, on entend des cris à peine humains s’élever de chez les Kadhafi.
Les victimes sont battues au ceinturon, à coups de cintres, de poings, tailladés au couteau, sur le visage, le corps, les tétons.
Le 12 juillet 2008, la police genevoise libère les deux esclaves les font soigner, relèvent leurs blessures et les interrogent : le couple sadique les faisait travailler 22 heures sur 24, les menaçant de les faire défenestrer par les gorilles aux mines patibulaires s’ils se plaignaient des sévices qui leur étaient infligés.
Le 15, les époux Kadhafi sont arrêtés, interrogés et inculpés de "maltraitance sur leurs domestiques", puis remis en liberté sous caution de 500 000 francs suisses, soit environ 330 000 euros.
La vengeance du leader de la révolution libyenne contre la Suisse va se déchaîner, mais d’abord, très rapidement, les avocats engagés par le colonel Kadhafi vont grassement soudoyer les domestiques afin qu’ils retirent leurs plaintes. Plus de plaignants, plus de dossier, plus d’affaire.
Le parquet aurait pu diligenter l’affaire, on est au pénal, mais les plaignants devenus témoins ont quitté la Suisse ; en leur absence, il n’est pas possible de faire condamner Hannibal. Tout comme il sera quasiment impossible de le confondre lors de l’arbitrage à Londres, si les domestiques maghrébins ne s’y montrent pas.
Pour les en dissuader, le frère du Marocain, qui travaillait lui aussi en Libye, disparaît sans laisser de traces. Il est probablement en train de rassir jusqu’à l’oubli dans un camp de concentration de la Joumhouriya, ou, encore plus vraisemblablement, ses os terminent de se dessécher au soleil du désert.
L’histoire du tribunal arbitral est terrifiante sur le principe : les Kadhafi s’achètent la justice. Un peu à l’image de la Vieille dame, Klara Zachanassian, dans l’œuvre de l’écrivain bernois Friedrich Durrenmatt.
En perpétuant le kidnapping des otages suisses, Mouamar s’assure que le verdict lui donnera gain de cause : des juges européens sensés ne vont pas laisser les deux malheureux aux mains du dictateur et de sa portée de chacals.
Il n’y a pas de vrai procès en vue, rien qu’une occurrence, en plein Londres, où la Suisse va supplémenter sa pénitence en donnant l’illusion que sa police et sa justice s’étaient trompées en venant à l’aide des deux valets martyrisés.
C’est grave et terriblement humiliant. Pour la Suisse aux dirigeants maladroits, mais aussi pour tous les Etats démocratiques. Il aurait fallu agir d’une toute autre manière, garder Hannibal enfermé, rattraper les témoins, le faire passer en jugement exemplaire, saisir les avoirs libyens partout où ils se trouvaient, dès les premiers agissements de Kadhafi contraires aux lois occidentales. Il aurait bien entendu fallu que les Etats européens s’allient, fassent bloc et fassent montre de courage. Tout ce qu’ils ont tant de mal à réaliser.
Au lieu de cela, la Libye a interdit aux navires battant pavillon helvétique d’accoster dans ses ports. Aux avions à croix blanche sur fond rouge d’atterrir sur ses aéroports. Kadhafi a fait cesser la livraison de pétrole à la Confédération, il y disposait de pas moins de 320 stations service et de l’une des deux raffineries du pays. Pour finir, il a rapatrié les avoirs de sa dictature placés dans les banques suisses, environ six milliards de dollars.
Rhétoriquement, il a ajouté à ses actes certains détails d’expert : "Nous savons où se trouve la source du terrorisme. En Suisse. Il faudra l’assécher".
L’assécher, vraiment ?
De surcroît, le ton utilisé ressemble volontairement à celui des Américains lors de leurs négociations musclées contre l’UBS. Et à celui des Européens, excédés par le secret bancaire.
La Suisse avait déjà la réputation d’être un Etat-banque, qui ne la jouait pas franc-jeu lorsqu’il s’était agi de condamner les responsables du désastre de la faillite de Swissair, qui a fait plonger tant de petits épargnants.
Ou qui s’est comportée de façon vraiment très laide, des décennies durant, quand il s’est agi de rendre leur argent aux descendants des déportés partis en fumée dans les crématoires d’Auschwitz. Les banquiers suisses demandaient, pour entrer en matière, aux ayant-droit, des certificats d’ensevelissement !
Lors de cette crise contre une minuscule tyrannie désertique, ce sont les fondements du système helvétique qui ont montré leurs limites. Et les dirigeants, pas à la hauteur, qui ont prouvé qu’on pouvait réellement tout vendre et tout acheter avec de l’argent ; même la justice et l’honneur d’une nation d’Europe occidentale.
Ceci mis à part, après l’épisode des infirmières bulgares et celui des otages suisses, je propose que les personnes qui se rendent chez les Kadhafi le fassent à leurs risques et périls. Il y en a marre de se mettre à genoux devant ces singes, de s’accuser de leurs crimes et de les dédommager.
Note :
[1] In La visite de la vieille dame de Friedrich Durrenmatt.