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« J’ai envie de tout » par Sylvie Perez

 « J’ai envie de tout » par Sylvie Perez

 

Un livre à lire d’urgence
Par Alain Chouffan

Jamais la journaliste Sylvie Perez ne pensait arriver au bout de sa promesse : écrire ce livre à la demande pressante de son amie, Pauline. Plus qu’une demande d’ailleurs : un cri de désespoir ! Pour Pauline, ce livre est une question de vie ou de mort. La vie, pour elle, ne vaut plus la peine d’être vécue. Elle est à bout. Elle veut en finir. La mort, elle la vit « en direct » tous les jours. Alors, en suppliant presque Sylvie Pérez d’écrire un livre sur ce mal qui la ronge et qu’elle vit en silence, Pauline n’a plus qu’une seule motivation, un faible espoir, un projet qui la maintiendra à flot. Elle a besoin de livre pour survivre. La journaliste voudrait bien lui faire plaisir mais elle hésite. Elle aime bien son amie, mais tous les sépare. Pauline veut un livre alors qu’elle lit peu, et écrit rarement. Aucun centre d’intérêts communs, sauf leurs origines : elles sont toutes les deux juives tunisiennes. Mêmes souvenirs d’enfance, des amis communs et même sens de la famille. Sylvie Perez finit par accepter. Elle se lance dans l’aventure, sans plan, sans rien prévoir, sans aucune condition, sans rien connaître du mal dont souffre Pauline. Elle a eu raison d’accepter. Elle découvre une femme attachante à la personnalité exaltante. Rongée par une maladie incroyable : la maladie de Crohn, une inflammation chronique de tout l’appareil digestif avec un côlon sévèrement abimé. Une maladie rare, incurable, qu’on ne sait pas guérir et qui atteint aujourd’hui en France 200.000 personnes. Et plus grave encore, il n’y a pas de solution thérapeutique convaincante à proposer aux malades.

Pauline vit avec son Crohn depuis l’enfance. Le roman de sa vie, c’est sa maladie de Crohn. L’histoire impitoyable de ce combat entre Pauline et sa maladie. Car si ce mal la ronge jusqu’à la paralyser, Pauline n’est pas prête à lui céder. Elle veut l’ignorer. Elle ne s’interdit pas une vie étincelante de gaité. Dépassant ses souffrances physiques quotidiennes, Pauline continue à vivre sa vie comme elle le désire. Elle ne se prive de rien. Elle voyage. Là où les passions de son mari l’emmène, au Brésil ou en Inde. Le travail de Sylvie Perez n’est pas facile.

Pauline a un caractère bien trempé. Elle est souvent insupportable par ses réflexions à dix sous, et ses réactions sur tout ce qui bouge. Elle envoie balader tout le monde. Elle a ses têtes. Celles qu’elle aime et celles qu’elle ne peut pas voir. Et elle le leur dit en face ! Pauline a quelque chose d’Arletty dans son vocabulaire. Elle dit ce qu’elle a dire. Elle ne cherche pas ses mots. Elle parle crûment, elle réagit au quart de tour, spontanément. Elle a la répartie facile. Souvent blessante, parfois ironique, mais toujours sans concession dans ce qu’elle a à dire. Elle a horreur du bluff. Elle instaure d’emblée une proximité impitoyable. Pas question pour elle de trafiquer la réalité, de construire un personnage. Même son mari, Pierre, portrait de Gandhi, grand passionné de bossa nova, qui parle avec un accent juif tunisien bien à lui, en détachant chaque syllabe des mots qu’il prononce, en prend pour son grade tout au long du livre. Elle le traite de tous les noms – « cet enfoiré », « ce mariolle » « cet enculé mondain qui ne pense qu’à sortir et baiser » - mais elle le préfère finalement à tous ceux qu’elle a connus. Un jour qu’il l’avait quittée dix jours avant son départ, Pauline l’assomme de paroles choisies dans son magnifique vocabulaire corsé : « Monsieur est parti jouer les aventuriers, il m’a laissé seule, en pleine crise, tordue comme une serpillière dans mon lit ». Et pour ce départ précipité, elle se venge : « Alors, quand j’ai rencontré Rui, je n’ai pas hésité, je me suis scapée avec lui ! » Autrement dit, elle s’est barrée avec lui pendant dix jours !

Personnage de roman, Pierre est imperméable à ce type de réaction. Mais très perméable à toutes les croyances mystico-occultes, il médite tous les jours. Habitué des ashrams, il croit en la doctrine du yoga intégral, discipline spirituelle qui assurera l’évolution de l’espèce humaine. Pour lui, l’homme est un être de transition. Et il en donne un exemple : l’homme n’a-t-il émergé de l’animal ? Eh ! bien le surhomme émergera de l’homme ! Rien de plus simple, n’est-ce pas ? Pierre croit aussi au supramental et à la mutation des cellules.

C’est à Auroville, à dix kilomètres de Pondichéry, une ville sans religion, sans politique et sans argent, qu’il a trouvé sa voie spirituelle. Et sa raison de vivre. Comme il l’a eu au Brésil ou il a vécu plusieurs années.

Sylvie Perez avance dans son livre. Elle trouve même un titre : le « côlon juif ». Son éditeur n’en a pas voulu. « C’est de mauvais goût lui dit-il. Personne ne va voir l’accent circonflexe sur le O de colon, et on va croire que c’est un livre sur le problème israélo-palestinien ! ». Pauline aussi connait une accalmie. Le Crohn se fait moins pressant. Espérant jouir de cette liberté inattendue, Pauline vends son cabinet dentaire. L’appétit revient. Hélas, ce bonheur est de courte durée. Brutalement son Crohn surgit. Et mieux : il redouble de mal. Voilà Pauline à nouveau enfermée dans le carcan de la maladie. Et la valse des hôpitaux qu’elle connait comme sa poche. Les années passent et elle compte plus le nombre d’hospitalisations, d’examens, de lavements barytés, biopsie et biopsie intestinale, coloscopie, fibroscopie, IRM, scanner thoraco-abdomino-pelvien, hystérosalpingographie, biopsie hépatique écho guidée, gastroscopie. ..Toutes les entrailles ont été prises sous tous les angles ! Pas une parcelle n’a été négligée. Sans oublier les infinies prises de sang et les bilans hépatiques. Le Crohn est un monstre protéiforme. Il faut à tout moment le surveiller.

« Au restaurant, dit-elle, c’est pas un cul que j’ai, c’est un volcan ! Faut pas me voir comme ça ! Je trimbale avec moi une souffrance permanente de chaque instant. Faut voir ma salle de bain c’est devenue un bloc opératoire ! J’attache mes cheveux avec quatorze trucs, je mets mes lunettes pour voir de près, je prends le miroir grossissant, je mets un pied sur le lavabo et je fais quoi ? Je vois mon cul .Mais une fois sur deux je ne le regarde pas ! Pourquoi ? Parce que j’ai peur de ce que je vois. Et quand je vois, j’ai juste mal à la tête ! Y a un creux, y a une bosse, c’est bleu marine, c’est dur, c’est violet, c’est brulant. Je m’assois. Et je vais crever Et je dis « bon qu’est-ce que je fais ? Et ce que je fais, eh bien, je m’en fous ! Je rentre dans un bain avec les huiles essentielles en espérant que ça se calmera ! Et ça ne se calme pas ! Des fois je suis allongée par terre dans la salle de bains torturé de douleurs. C’est un bordel. Mes boyaux ne ressemblent plis à rien. »

Pauline en a marre de souffrir. Elle est fatiguée d’être fatiguée. Epuisée de souffrir. Elle ne supporte plus avoir mal. « Je hurle toute la journée seule chez moi. Je m’en fous du reste, de baiser, de tout. J’ai juste envie de vivre, de respirer l’air et de dire merci mon dieu. Juste ça. Si je peux ne pas souffrir cinq minutes ! »

Les professeurs qui la suivent ne voient qu’une solution : un traitement chirurgical. C’est-à-dire lui mettre une poche à la place de l’intestin. Cette solution, Pauline la connait. Pendant plus de quarante ans, elle l’a refusée. Ressortir avec une poche ? Atrophiée ? Te balader dans la rue avec une poche ? Ne plus aller à la plage? Jamais ! « Si le médecin ouvre, il va devenir fou explique-t-elle. Tout est pourri. Mon intestin est pourri. Coupez-moi en rondelles et après. Je vais être une handicapée. Je vais marcher sur ma tête. Qu’ils me foutent la paix, qu’ils me laissent crever. Je n’ai pas envie de cette vie. J’ai une profonde envie de m’en sortir. De vivre. Aller à la mer, plaisanter, m’envoyer en l’air, boire, bouffer, j’ai envie de tout. Et si je fais rien alors si pour ne rien faire, pour que ma vie ne ressemble à rien, autant que je crève. Je lutte pourquoi faire ? Pour être dans un lit avec un tube, là, là et là ? Regarde mes jambes, on dirait un serpent ».

Sentant qu’elle est sur le point de perdre la bataille contre le Crohn, c’est ce moment particulièrement cruel qu’elle choisit pour supplier son amie d’écrire ce livre. « Écris vite ce bouquin !!! Ecris- le avant que je me tire une balle dans la tête parce que je suis paumée, paumée. Je ne suis même pas désespérée, je suis juste paumée. Qu’est- ce que je peux faire ? Rien ! Alors ! Salut les potes »

Le livre vient de sortir (1). Il est époustouflant. A couper au couteau. Sylvie Perez a fait un travail formidable … de patience. Elle a poussé Pauline dans ses intimes retranchements, la poussant à fournir des détails incroyables de sa maladie, sur son intimité, es coups de force et ses passages à vide. « Qui va utiliser qui ? » s’interroge la narratrice. « Je vais me servir de sa vie, me servir dans sa vie, pour écrire mon livre ? Elle va me mettre à contribution pendant un an, pour avoir une trace écrite de son existence ». Enfin, il y a une question restée en suspense : Pauline finira-t-elle par subir l’opération qu’elle redoute tant ? A vous de le découvrir en lisant le livre !
Alain CHOUFFAN
(1) « J’ai envie de tout » par Sylvie Perez (Edition Lemieux). 18 euros.

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