«Chien ou petit ami juif?» Le quiz humoristique de Lena Dunham passe mal aux Etats-Unis
Par Claire Levenson
Lena Dunham, la créatrice de la série Girls, écrit parfois des textes personnels dans le prestigieux magazine New Yorker. Cette semaine, elle y a fait un quiz très second degré intitulé «chien ou petit ami juif?».
A chaque description d'un trait de caractère ou d'une habitude, il s'agit de deviner si la jeune réalisatrice parle de son chien Lamby (dont elle a déjà évoqué les troubles émotionnels dans les pages du New Yorker) ou de son petit ami Jack Antonoff, le chanteur du groupe Bleachers. «Les phrases ci-dessous correspondent-elles a) à mon chien b) à mon petit ami juif?» demande Dunham au lecteur. Quand elle écrit: «nous adorons passer des heures au lit le dimanche matin», Dunham parle-t-elle de son chien ou de son petit ami?
Rien que le titre de ce quiz serait probablement impubliable en France, mais Lena Dunham est juive, son petit ami est juif, et les éditeurs du New Yorker y ont vu un genre d'autodérision inoffensif.
Il s'agit également d'une parodie des quiz qui pullulent en ce moment sur Internet et demandent au lecteur d'attribuer correctement des citations à deux personnalités différentes: Qui a dit cette phrase? Kanye West ou Dieu? Taylor Swift ou Hitler? Un enfant ou un tueur en série?
Malgré le second degré du questionnaire, quelques passages ont été vivement critiqué, notamment: «Il ne laisse pas de pourboire» et «Il n'amène jamais son portefeuille quand on sort.» Deux phrases qui font écho au cliché antisémite du juif avare.
Il y a aussi une description sommaire de la «mère juive»: «il vient d'une culture dans laquelle les mères concentrent toute leur attention sur leurs enfants, sans prendre en compte leur besoin d'être indépendante en tant que femme.»
Quelques phrases plus réussies jouent de l'ambiguïté possible entre chien et homme: «La première chose que j'ai remarqué chez lui, c'est ses yeux» ou encore «Il est venu une fois chez ma psy et il était agité et inexpressif.»
Quelques jours après la publication du texte, Abraham Foxman, le directeur de l'Anti Defamation League (ADL), une organisation de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, s'est déclaré «étonné» que le New Yorker ait publié un texte «de mauvais goût» qui repose sur des «stéréotypes insultants sur les juifs.»
En général, les Américains abordent l'humour sur les juifs de manière plus décomplexée qu'en Europe: en 1994, le comédien Adam Sandler avait fait un carton dans Saturday Night Live avec sa chanson de Hanouccah, dans laquelle il faisait une longue liste des célébrités américaines juives (ou ayant des origines juives).
Mais dans le cas de Dunham, c'est surtout la juxtaposition entre chien et juif dans le titre qui a mis beaucoup de gens mal à l'aise. Pour Foxman, cela «évoque les souvenirs des panneaux “Interdit aux juifs et aux chiens”» affichés dans certains hôtels aux Etats-Unis au début du XXe siècle. Sur le site Kveller, une blogueuse rappelle qu'à Istanbul l'année dernière, une boutique avait mis un panneau interdisant les «chiens de juifs» et qu'en Belgique, un café avait affiché le message: «Chiens autorisés, juifs interdits.»
Sur Twitter, il y a eu deux types de réactions négatives: ceux qui trouvent ça antisémite, et ceux qui trouvent tout simplement que ce n'est pas très drôle.
En réponse aux accusations d'antisémitisme, le rédacteur-en-chef du New Yorker David Remnick a expliqué que le texte de Dunham se situait dans une tradition comique juive qui joue délibérément avec les stéréotypes. Il cite les humoristes Lenny Bruce, Larry David et Sarah Silverman. Pour Remnick, la réaction d'Abraham Foxman lui rappelle tous ceux qui s'étaient trompés de cible en accusant Philip Roth d'antisémitisme après la publication de Portnoy et son complexe.
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