Abraham Heschel, accompagnant le rêve de Martin Luther King
Par Edward K. Kaplan, directeur du département de français à Brandeis, auteur de « Abraham Heschel, un prophète pour notre temps » (Albin-Michel)
Le parcours d’Abraham Heschel et sa lutte auprès de Martin Luther King pour la fin de la discrimination des Noirs américains.
« La proximité entre Martin Luther King Jr et Abraham Heschel n’est pas uniquement politique. C’est une amitié »
Descendant d’une lignée de rabbins, Abraham Joshua Heschel est issu d’une famille hassidique. Il bénéficie dans son parcours éducatif d’une approche du hassidisme rural en même temps que des richesses des grandes universités européennes, enveloppant toutes les cultures juives du continent avant la Shoah. Il reçoit une éducation juive traditionnelle, incluant la Bible, le Talmud, la Cabbale, les sources hassidiques orales et écrites. Il intègre ensuite un lycée laïc à Vilnius et une université allemande. Il y étudie les langues sémitiques et l’histoire de l’art. Sa thèse de Doctorat porte sur la conscience prophétique. Ses publications incluent des poèmes yiddish et une biographie de Maïmonide, commandée à l’occasion de son 800e anniversaire. Très attiré par le philosophe de Cordoue, il met l’accent sur la recherche de l’inspiration prophétique.
Parmi les rencontres importantes à cette époque, il faut signaler celle d’Henry Corbin, un jeune islamologue français, persuadé que les trois monothéismes peuvent se rapprocher en prenant comme point de départ l’inspiration prophétique. Le Français traduit des passages importants de la thèse de Heschel dans la revue belge Hermès en novembre 1939. Dans la préface du livre, Corbin écrit que cette approche de la religion juive et du mysticisme islamique offre un modèle de conciliation des peuples. En 1935, Heschel rencontre Martin Buber à Berlin apprécie grandement sa présentation du hassidisme en termes universels. Une amitié naîtra entre les deux hommes. En retour, Buber respecte la foi et la façon dont Heschel vit la présence de Dieu. Finalement, la lecture de ces deux œuvres donne une image assez complète du hassidisme de l’époque.
C’est Georges Levitte, le père de Jean-David Levitte, secrétaire général de l’Élysée sous Nicolas Sarkozy, qui traduira le livre qui fera connaître Heschel au public français : Les bâtisseurs du temps (1957). Il s’agit en réalité d’une anthologie des deux premiers livres du sauvetage spirituel du judaïsme américain d’après-guerre. À savoir, la terre est au seigneur : la vie intérieure du juif d’Europe centrale et le Shabbat. Ces deux livres entament le début de la carrière américaine d’Heschel. À travers eux, il souhaite montrer la dimension spirituelle que le judaïsme hassidique européen avait perdue et qu’une voie du « retour » était envisageable, en l’adaptant aux réalités de la société environnante. Il insiste sur le contenu philosophique et théologique du shabbat, par rapport au consumérisme ambiant, représentant une trêve dans cette course folle, pour se retrouver sur des valeurs simples comme l’étude et la famille.
Heschel devient professeur au Hebrew Union College puis au Séminaire Théologique massorti. Interrogé plus tard sur son appartenance éventuelle au mouvement massorti (conservateur) ou au mouvement orthodoxe, il répondra : « Je ne suis pas un juif à la recherche d’un adjectif. »
Un juif dans la cité, engagé sur plusieurs fronts théologiques et politiques. Pour le dialogue entre les religions, prenant une part aussi importante que le français Jules Isaac au sein du concile de Vatican II. Il est reçu à plusieurs reprises par le Président Eisenhower, haussant la voix dans des assemblées pour déplorer la perte de la valeur du sacré par le peuple américain dans cette ère de consumérisme. Ce qui lui donna une première résonance nationale. Il s’engage également contre la Guerre du Vietnam, mais le combat pour lequel il s’investit avec le plus de vigueur est la lutte pour l’égalité des droits civiques et contre la discrimination raciale.
Il écrit des textes qui mettent en avant l’image sacrée de l’homme, assimilant le racisme à un blasphème contre Dieu. Si l’homme a été créé à l’image de Dieu, avoir du mépris pour l’apparence d’un être humain équivaut à avoir du mépris pour Dieu. Lors de la célèbre photo de la manifestation de Selma en 1965 où l’on voit Heschel auprès de Martin Luther King Jr, je me trouvais auprès de mon père, membre d’une délégation du judaïsme libéral soutenant l’égalité. De nombreux rabbins conservateurs et libéraux y figuraient. À la fin de la manifestation, interrogé par la presse, Heschel déclarait : « J’avais l’impression de prier avec mes jambes. » L’image d’une théologie en action.
La proximité entre Martin Luther King Jr et Abraham Heschel n’est pas uniquement politique. C’est une amitié, au service la nation américaine, de la rédemption de notre pays. Ils se sont rencontrés à Chicago en 1963, lors d’une assemblée débattant de la question de la race. Ils discutaient régulièrement et se retrouveront pour les marches, parmi lesquelles celle de Selma. MLK sera nommé Docteur Honoris Causa par le Séminaire juif de New York. Les rabbins qui l’accueillent pour la réception chantent « We shall overcome » en hébreu.
MLK assistera à une cérémonie marquant les 60 ans d’Heschel. Il y prononcera son célèbre discours sur Israël. Sur le fait que l’antisionisme n’est qu’un autre nom pour l’antisémitisme. Il sera assassiné quinze jours plus tard à Memphis. Sa veuve demanda à Heschel de prononcer quelques mots à ses funérailles.
Source : http://larchemag.fr/2013/08/28/801/abraham-heschel-accompagnant-le-reve-de-martin-luther-king/
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