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Alain Mamou-Mani nommé officier du mérite

 

Discours mérite Alain Mamou-Mani

22 novembre 2012

 

Je ne pourrais pas faire l'éloge d'Alain Mamou-Mani sans faire un discours politique, discours politique abondamment illustré par son histoire extraordinaire. On pourrait la croire tirée d'une légende orientale, reprise de génération en génération dans sa famille, originaire de Djerba, famille où cabalistes et libres penseurs menaient la danse, si j’ai bien compris.

Alain nous apporte la démonstration qu'un autre avenir est possible, qu'un autre monde est possible.

Voilà qui nous donne de l'espoir au sens des émotions si bien décrites par Dominique Moisi, face à la peur et à l’humiliation.

La tendance est fréquente de classer les gens, de les étiqueter, de les enfermer dans des boîtes, des images. Cela donne un monde bloqué, hyper conservateur, figée sur des positions fossilisées, alors qu'il faut au contraire casser des formules toutes faites et explorer des pistes nouvelles. Alain est « hors normes », et cela nous rassure.

Le développement durable a besoin d'aventuriers, mais comme le mot fait peur, nous en emploierons à un autre et nous dirons que le développement durable est une affaire d'entrepreneur. Alain illustre parfaitement cette affirmation, pour ne pas dire cette évidence.

Comme toute remise de décorations s'accompagne d'un rappel des hauts faits et gestes des récipiendaires, passons à présent au panégyrique d'Alain Mamou-Mani. Pour faire vite, de manière à revenir ensuite à l'essentiel, ce qui fait au fond le mérite d'Alain, sa personnalité, je me contenterai d'évoquer son parcours par une suite de mots, véritables jalons d'une saga qui franchit aujourd'hui une étape importante bien sûr, mais qui va encore nous étonner encore pendant de longues années.

Tunisie,  Paris à 18 ans, mai 68, Trotski, autogestion, informatique, start-up, go international, mode, communication, actuel, Décision Environnement, Woodstock, Wall Street, Rio de Janeiro, jour de la Terre.

On voit dans cette énumération, avec des enchaînements parfois surprenants et Alain vous expliquera plus tard la cohérence de l'ensemble, s'esquisser les trois piliers du développement durable pour Alain : l'entreprise, communication, et écologie. Ce troisième pilier s'est développé en parallèle aux autres, à partir de 1971, après sa rencontre avec Chantal, avec qui il partage depuis une vie en vert.

Revenons sur ces trois piliers. D'abord l'entreprise. Le développement durable est une affaire d'entrepreneur. Il en faut en effet l'esprit d'entreprise pour abandonner les certitudes et le confort des positions acquises pour explorer des voies nouvelles, confronter des idées antagonistes, sortir des contradictions « par le haut » et imaginer de nouveaux futurs. Marketing vert, un titre qui résume l'ambition d'Alain, allier une forme de croissance économique à la protection de l'environnement. Ce n'est pas le mot croissance qui est un gros mot, c'est le contenu qu'on donne à la croissance, et il n'y a pas de fatalité dans ce domaine. L'accaparement de ressources et de biens matériels connaît effectivement des limites, et la croissance de demain devra assurément trouver d'autres ressorts. La communication, bien sûr, le cerveau, notre intelligence. J’y reviendrai, mais finissons d'évoquer l'amour d'Alain pour l'entreprise. Je n'ai pas compté le nombre d'entreprises qu’il l'a créé (en février 2000, la revue « Management » lui en attribuait déjà six) mais il y en a beaucoup et de nature très différente. Cet amour de l'entreprise l’a conduit à créer une association d'entrepreneurs, l'organisation pour le respect de l'environnement dans l'entreprise, OREE, également orée du bois. L'orée, c'est la frontière, ce que les écologistes scientifiques appellent écotone, lieu d'échanges toujours plus riche et plus productif que chacun des milieux qu'il sépare. Alain s’est toujours placé dans ces territoires créatifs, toujours au carrefour entre l'entreprise et l'écologie, entre l'entreprise et la communication, entre la communication et l'écologie. Une cohérence parfaite construite sur ces trois piliers.

Complétons le tableau par son aventure plus récente dans le cinéma. Toujours au carrefour de l'entreprise, de la communication et de l'environnement. Quid Novi, quoi de neuf ? Toujours la curiosité et l'envie d'aller plus loin. L'aventure. Une société de production délibérément orientée sur l'écologie avec des films tels que « rire et châtiment » réalisés par Isabelle Doval, avec José Garcia qui reprend des thèmes déjà développés par Alain dans son roman « Forces majeures ». Ou encore Alila, de Amos Gitaï qui évoque la vie en société, l'écologie urbaine,  à Tel Aviv et les relations avec les immigrants chinois dans un même immeuble. La production, un épisode récent de la vie d’Alain, une « saison » comme on dit aujourd'hui à la télévision, celle qui l'anime aujourd'hui, mais qui vient de loin. I Rappelez-vous, il y a 20 ans, Décision Environnement présentait déjà un cycle « Cinéma et Environnement ».

Ce besoin de communication sur l'environnement et le développement durable, Alain l’a pressenti très tôt. Permettez-moi d'insister sur ce point. Immergés que nous sommes, nous autres vieux militants,  dans le développement durable, nous croyons aisément que nos contemporains le sont également. Pour nous, le développement durable est la recherche d'un avenir prometteur, devant l'évidence des impasses où nous conduit le prolongement de modèles économiques obsolètes. « Le temps du monde fini a commencé » depuis longtemps, 1945 pour saluer ici cette parole prophétique de Paul Valéry. Notre économie fonctionne encore sur le modèle d'un monde infini, et la transition dont on parle tant aujourd'hui consiste à inventer des modes de croissance dans un monde fini. Cela peut apparaître comme une contrainte, que beaucoup essayent d'occulter ou de minimiser. On peut aussi en faire une opportunité. « Nous croyons à la possibilité de transformer toute contrainte en atout, toute agression en opportunité pour se développer, toute énergie négative reçue en énergie positive » écrivait Alain Mamou-Mani dans « Au-delà du profit ». Il fallait donc aller au-delà d’une écologie essentiellement défensive, qui a toute sa légitimité, hélas, pour lui ajouter une écologie offensive, positive, qui montre que la nécessité de la transition est une chance extraordinaire. Quelle chance nous avons de choisir notre futur au lieu de reproduire, légèrement ajustée, la vie de nos parents ! Sauf le respect que nous leur devons, bien sûr…

Mais où trouver la force de conduire ce « changement », le mot est à la mode. En nous-mêmes, pardi ! Quelle est la ressource illimitée dont nous disposons, celle pour lequel une croissance infinie et envisageable : notre esprit, notre intelligence et notre sensibilité. Le développement durable est un pari sur l'homme. « Aux âmes,  citoyen », disait Alain il y a bien longtemps dans un journal dont je n’ai pas retrouvé la date. Il y disait également qu’ « il fallait bâtir sa vie comme une œuvre d'art ». La décoration que je vais lui remettre montre que le chef-d’œuvre est en cours. Dans son discours de réponse à Corinne Lepage qui lui remettait cette décoration dans son premier grade, Alain disait qu'il ne la voyait pas comme une récompense mais comme un encouragement. Et bien, il faut donc continuer. Cette médaille est une nouvelle flèche que la République glisse dans le carquois d'Alain. Nous ne sommes pas inquiets, nous savons qu'il en fera bon usage.

 

Dominique Bidou

 

DISCOURS D'ALAIN MAMOU-MANI

 

Monsieur le ministre d’Etat, Mesdames, messieurs les présidents,

Mesdames, messieurs, Cher Dominique, Mes chers amis

Merci Dominique pour ton discours, Dominique, mon ami et collègue de longue date de l’association des Amis de la terre au cabinet de Brice Lalonde, qui s’est excusé de ne pas être parmi nous ce soir.

Je suis très ému d’être devenu officier du mérite après avoir été nommé chevalier en 1996, un immigre de première génération, peut être l’un des premiers juifs tunisiens, à avoir l’honneur de recevoir cette reconnaissance de la république. Je remercie l’association Orée que nous avons fondée, il y a 20 ans, et qui m’a permis d’être ainsi distingué... J’en salue les présidents successifs qui sont présents aujourd’hui. Si j’ai été décoré comme chevalier,  c’est grâce à la fondation d’Orée mais si je suis devenu officier, c’est grâce au succès d’Orée, association qui promeut le respect de l’environnement dans l’entreprise et qui regroupe aujourd’hui plus de 150 membres autant de collectivités locales que de PME et de grandes entreprises comme Yves Rocher, LVMH ou Veolia, entre autres, association qui  prône l’efficacité concrète dans l’écologie industrielle.

Merci à mon amie Framboise Holtz d’avoir œuvré pour cette promotion

Merci aux Laffanour, et aux Perrin, pour m’avoir permis de vous recevoir dans ce cadre magnifique et qui vont piloteront dans leurs galeries tout à l’heure.

Merci à vous, mes amis et à ma famille, d’être venus...

Une pensée pour ROGER et HANNAH, mes parents ainsi que pour mon beau-père GEORGES qui étaient présents quand je suis devenu chevalier et qui ont disparu depuis.

 Je suis heureux que mes  enfants, JULIE, et ARTHUR soient là, avec quelques uns de leurs amis. Ils sont devenus ce que nous espérions qu’ils deviennent. Dommage que Mathias et Muriel ne soient pas là. Ils vivent à New York et ils n’ont pas pu faire le voyage. Je remercie les parents de Muriel d’être là.

Et un grand hommage à ma femme CHANTAL sans laquelle, tout simplement, je ne serais pas là avec vous, ce soir.

Je voudrais  profiter de cette cérémonie pour vous parler de ce qui m’est cher et de ce que je voudrais transmettre, spécialement, à mes enfants et petits enfants, Maxélie et Zacharie, qui sont présents ce jour.

 Je voudrais leur rappeler que dans les années 70, en tant que ingénieur à la BNP, tout en programmant les ordinateurs de la banque, j’ai été partagé entre les valeurs si différentes du syndicaliste, du technicien et de l’écologiste.

Plus tard, en tant que chef d’entreprise, à Go International, j’ai été culpabilisé d’avoir trahi mes idéaux Mai 68, mais heureux d’avoir crée plusieurs centaines d’emplois.

Ensuite, au journal Actuel, avec mon ami Jean François Bizot, nous cherchions des solutions non pas dans l’idéologie mais dans l’émergence d’une culture alternative. Nous étions fascinés par l’underground et la contre culture. Et avec cette certitude que le bonheur ne viendrait pas uniquement de la consommation, et que nous souhaitions être plutôt qu’avoir.

Enfin avec la création de Décision environnement ; et l’engagement, avec Chantal, dans le mariage de l’écologie et de l’économie, je pensais avoir fait la synthèse en particulier au premier  sommet de la planète à Rio. Et en créant Orée.

Puis le cinéma m’a tendu les bras et j’imaginais des films et des scénarios comme le « Jour de la Terre » et « Forces majeures » qui m’auraient permis de faire avancer la cause mais, malheureusement, je n’ai pas été capable de faire aussi bien que« Soleil vert », ce célèbre film de Richard Fleischer sorti en 1973, déjà... dans lequel les hommes mourraient en se faisant projeter des images d’une nature intacte, des forets, des champs de blé, des animaux en liberté. Un monde en voix de disparition à cause de la rareté des ressources. Mais aujourd’hui, beaucoup de populations n’ont pas accès au strict nécessaire, à l’eau potable, au minimum de nourriture même dans nos pays riches.

En visitant l’exposition sur Hopper, j’ai été frappé par la permanence du message contestataire du peintre sur le conflit entre la société de consommation et la nature. Hopper se réclame des transcendentalistes qui privilégient la nature comme alliance pour l’homme plutôt  que sa marchandisation.

Nous voyons les douleurs de l’accouchement d’une  nouvelle société. Chacun doit s’adapter, changer de chemin, de métier tout au long de sa vie, devenir autonome. Ca donne le vertige ! Je ne suis pas dépaysé, j’ai fait plusieurs rebonds moi aussi comme Dominique l’a rappelé, et ce sera le sort de beaucoup d’entre nous, surtout des plus jeunes. Avec les mutations de la société aujourd’hui, nous vivons peut être la fin d’un modèle fondé sur la consommation et le gaspillage.

D’où le désarroi entre l’intégrisme du repli sur soi et l’ouverture à la citoyenneté planétaire. Face à cet antagonisme, il existe, je crois, une sortie par le haut : C’est la réponse de la croissance verte, c’est à dire, entre autres, proposer à notre société une nouvelle croissance en décidant de revoir son mode de développement  et d’explorer de nouveaux chemins.

Grâce à la créativité des ingénieurs et le talent des entrepreneurs, nous passons à la civilisation de l’autonomie, du partage, de la simplicité, de la rigueur, du recyclage mais aussi du virtuel, du numérique et des réseaux.

Nous devons apprendre à devenir autonomes. En plus d’obliger les promoteurs à construire des parkings, proposons leur de faire des bâtiments producteurs d’énergie et de créer des jardins ouvriers. Ecologisons le patrimoine bâti. Développons les voitures hybrides et électriques, le covoiturage. Au lieu de garages, des conseillers pour aider les gens à réparer leur voiture. Voire le succès des échanges de maisons... Au lieu de jeter, apprenons à réparer, réemployer, à recycler.

L’écologie est, selon moi, la réponse, pour réapprendre aux sociétés la maîtrise de leur destin dans une perspective de post-consommation. « Le développement soutenable, c’est l’utilisation des capacités illimitées de notre cerveau au lieu des ressources limitées de notre Terre »

Nous rentrons dans le quatrième âge de l’écologie, après l’écologie naturelle des scientifiques, l’écologie urbaine des  militants, l’écologie industrielle de Rio, voici l’ère de l’écologie pragmatique, celle du consensus nécessaire et volontaire de la société civile, à l’image du Grenelle de l’environnement, où 268 engagements ont été pris dans différents domaines avec  des résultats réels  sur l’économie de notre  pays.

Merci Jean-Louis...

D’autant plus que la récente catastrophe de Fukushima oblige les industriels à faire des efforts d’innovation en matière d’économie et d’énergie alternative. Il nous faut inventer de nouveaux rapports sociaux, de nouveaux lieux sociaux,  s’appuyant sur des mouvements sociaux originaux. Un nouveau regard sur le monde !

La nature forme un système complexe dans lequel toutes les parties sont liées. Nous  nous en sommes aperçus  le 21 Juillet 1969 quand nous avons vu le clair de terre, ce petit point de vie au milieu du cosmos.   Nous allons donc vers une nouvelle alliance entre les hommes et la planète pour la sauvegarde des deux partenaires, ni les hommes avant la planète, ni la planète avant les hommes. Le problème « écologique » est donc devenu théologique.  

Touriste spirituel, selon mes enfants, je cherche et je n’ai pas la réponse comment faire avancer cette conscience ? Mac Luhan nous donne peut être une piste : « Nous ne sommes pas seulement les passagers du vaisseau spatial Terre, nous en sommes aussi l’équipage »  

Nous allons vivre la révolution écologique, la seule qui ne tue personne, au contraire. Elle est compatible avec la compétitivité, comme en Suède où les énergies renouvelables et donc l’indépendance énergétique est supérieure à 50% alors qu’en France nous nous trainons à 13%.

Enfin, je suis ravi que mes petits-enfants MAX et ZAC, qui n’étaient pas encore nés quand j’étais nommé chevalier, soient présents aujourd’hui, Je suis heureux de leur transmettre cette conviction: vous êtes citoyens de la planète. Des progrès sont possibles mais il faut savoir apprendre à la fois à dire non et à inventer un nouveau monde. J’espère qu’ils prendront le relais de ma naïveté, de mon optimisme et de mes recherches, qu’ils seront tristes quand les abeilles sont menacées de disparaître car la vie peut disparaître avec elle. Et heureux, parce que  la lutte des militants qui a permis d’interdire le pesticide Cruiser responsable de leur extermination.

Et voilà, merci  encore à vous tous d’être venus partager ce moment d’émotion, et je souhaite que nous partagions beaucoup d’autres fêtes dans le futur. Je déclare le bar ouvert. Et après, pour ceux que ca intéresse, François Laffanour vous fera visiter ses différentes expos, Ron Arad, Niemeyer Frank et Frank Perrin vous présentera ses œuvres ici-même...

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