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Aux origines de la révolution tunisienne, l’héritage de Bourguiba

 

Aux origines de la révolution tunisienne, l'héritage de Bourguiba

Par Zohair Ghenania, professeur 

 

La vague de révoltes inattendues qui secoue le monde arabe est un tournant dans l'histoire de cette région du monde, administrée depuis plusieurs décennies par des gouvernements autoritaires, répressifs et corrompus.

Ce mouvement de libération, initiée par les jeunes générations majoritaires dans ces pays et utilisant les réseaux sociaux à merveille, est né en Tunisie,petit pays de 10 millions d'habitants.

Comment ce peuple, soumis sans doute au régime policier le plus sophistiqué du Maghreb, a-t-il pu trouver la force et le courage de se battre pour sa liberté ?

Comment ce pays a-t-il pu devenir le symbole de la « révolution arabe », à tel point qu'il semble être le déclencheur d'un effet domino sur les autres pays arabes, dont les conséquences pourraient être aussi importantes que celles de la chute du mur de Berlin et son effet de contagion sur les pays satellites de l'URSS ?

Petit détour historique pour décrypter le mécanisme qui a conduit à ce mouvement aussi soudain qu'inattendu.

Les priorités du président Bourguiba : éducation et santé

En 1956, la France reconnait l'indépendance de la Tunisie et l'autorité de son président, Habib Bourguiba, affublé du titre de « combattant suprême » pour ses actions de résistant pendant la Seconde Guerre mondiale et sa persévérance à obtenir à tout prix (il a été emprisonné plusieurs fois en France) l'indépendance de son pays.

Dès ses prises de fonctions, contrairement à ses voisins et homologues arabes, la priorité est donnée à l'éducation et à la santé, au détriment de l'armement. Ainsi, il décide de mener une politique volontariste et moderniste pour émanciper les femmes, combattre la pauvreté et élever le niveau d'éducation de la population.

Il accorde par exemple à la femme des droits sans équivalent dans le monde arabe. Il abolit notamment la polygamie et la répudiation, exige, pour le mariage, le consentement mutuel des futurs époux, autorise le divorce et légalise l'avortement.

Ces mesures étaient non seulement exceptionnelles pour un pays arabe, mais aussi exceptionnelles par rapport à l'époque où les discriminations contre les femmes étaient encore très ancrées même dans les pays développés.

Dès lors, les Tunisiennes accèdent à un statut inédit dans le monde arabe, dépassant même celui des françaises dans certains domaines (L'avortement ne sera légalisé qu'en 1975 en France) ou de celui des Européennes (les Tunisiennes ont obtenu le droit de vote en 1966, avant les Suisses en 1971 ou les Portugaises en 1975).

Le coup d'état médical de Ben Ali et les espoirs déçus

Poursuivant la construction d'un Etat moderne, Bourguiba fait de la Tunisie un pays avec de nombreux atouts au début des années 80 : une société à majorité urbaine, une démographie maitrisée, des droits pour les femmes, un taux d'alphabétisation élevé, une classe intellectuelle de haut niveau, une classe moyenne non négligeable, une économie en forte croissance, et une forte culture patriotique.

Cependant, sa fin de règne fut loin d'être à la hauteur du charismatique et visionnaire chef d'Etat qu'il fut dans les 20 premières années.

Obnubilé par la place qu'il laissera dans l'histoire, marqué par son âge et une santé déclinante, incapable d'empêcher la société tunisienne de glisser vers l'islamisme et le clientélisme, celui qui s'était autoproclamé « Président a vie » se fait destituer « en douceur » en 1987 par son Premier Ministre, Zine El Abidine Ben Ali.

Ce coup d'Etat « médical » donnera une nouvelle impulsion a la Tunisie, convaincue que le président Ben Ali sera l'homme du changement tant attendu, capable de moderniser le pays et de faire la transition vers la démocratie en mettant notamment fin à 30 ans de parti unique.

S'appuyant sur des technocrates de haut niveau, le nouveau régime entreprend des reformes économiques en libéralisant l'économie tunisienne et en accélérant son insertion dans les échanges mondiaux.

Ces politiques économiques portent ses fruits, puisque la Tunisie est régulièrement citée dans les années 2000 comme un exemple de développement réussi par les agences de notations et les institutions internationales à l'instar du FMI ou de la Banque mondiale.

Une réussite économique menacée par les dérives du régime

Alors qu'elle dispose de peu de ressources naturelles comparée à ses voisins, la Tunisie parvient, en diversifiant son économie (tourisme, agriculture, industries agroalimentaires, mécaniques, électriques, électroniques, nouvelles technologies de la communication…) à atteindre un des niveaux de développement et un des revenus par habitant les plus élevés d'Afrique.

Cette réussite économique et l'attrait des investisseurs étrangers en Tunisie s'expliquent par la qualité de sa main d'œuvre, qualifiée et relativement bon marché.

Mais la gouvernance sécuritaire, les passe-droits, le népotisme et la corruption de ce régime finissent par entraver la croissance. Les années 2000 ont aussi vu le clan de la famille du Président profiter progressivement des fruits de la propsérité tunisienne en s'accaparant des entreprises florissantes, en monopolisant toutes les négociations avec les investisseurs étrangers et en spoliant les grands propriétaires immobiliers.

En conséquence, alors que la Tunisie disposaient d'hommes et de femmes d'affaires dynamiques, entreprenants et innovants, leur volonté de développer leurs activités se trouvait entravée soit parce que leur activisme économique pouvait menacer l'ordre économique institué, soit par ces individus eux-mêmes qui ne souhaitaient pas que leur entreprise prospère au-delà d'un certain seuil qui attirerait forcement l'attention du clan familial du Président.

En outre, une autre partie de ces hommes et femmes talentueux s'évertuaient à gagner les faveurs du palais présidentiel, convaincus qu'il s'agissait du moyen le plus sur d'accéder au prestige, à la richesse et au pouvoir au lieu de mettre leurs compétences au service de réalisations économiquement et socialement utiles.

Ce mode de gouvernance, en limitant et contraignant les aspirations des Tunisiens, commençait à nuire gravement au développement économique du pays, comme en témoignaient les signes suivants :

  • des multinationales qui refusaient de s'installer en Tunisie au vu de l'appétit de « la famille »,
  • une propriété pas toujours bien protégée qui sape la confiance des investisseurs et des épargnants,
  • des inégalités croissantes,
  • un chômage galopant notamment chez les jeunes diplômés (plus touchés par ce fléau que les non-diplômés ! ).

Tous ces éléments expliquent en partie en quoi la gouvernance tunisienne était gangrénée et opprimait son peuple mais ne rendent cependant pas compte pourquoi et comment la société tunisienne en a pris conscience et a agi pour s'en affranchir.

Autant d'étudiants qu'au Maroc, trois fois plus peuplé

Evidemment, nul ne remet en cause que l'effet déclencheur a été le malheureux suicide du jeune marchand ambulant Mohamed Bouazizi, de même que l'on s'accorde à dire que les fuites de l'ambassade américaine à Tunis sur le régime de Ben Ali via Wikileaks ont contribué au réveil de l'opinion publique tunisienne.

En revanche, ce qui est plus difficile à cerner réside sur le fait que ce soit en Tunisie que ces mouvements d'émancipation des régimes autoritaires ont pris leur essor. Beaucoup d'autres pays arabes concentrent les mêmes maux : majorité de jeunes au sein de la population, chômage endémique, concentration des richesses aux mains de quelques uns, liberté d'expression bâillonnée…

La spécificité de la Tunisie tient justement à sa population qui est composée d'une large classe moyenne éduquée, résultat sans aucun doute de la politique d'éducation publique généralisée initiée par le président Bourguiba.

Aujourd'hui, la Tunisie compte autant d'étudiants que le Maroc dont la population est trois fois supérieure. De plus, les femmes étaient plus présentes dans la révolution « de jasmin » que lors des soulèvements populaires en Egypte, en Lybie ou au Yémen.

C'est très certainement aussi l'héritage de la politique d'émancipation des femmes voulue par le père de l'indépendance tunisienne. Toutes les conditions étaient réunies pour que les tunisiens écrivent une nouvelle page de leur histoire, déjà riche depuis l'Antiquité et la civilisation carthaginoise.

Ces caractéristiques tunisiennes ont certainement contribué à la prise de conscience de ce peuple qu'il lui appartenait de mettre fin à des décennies de dictature et de corruption.

Une transition démocratique difficile mais pleine d'espoirs

Elles lui ont donné la force de ne plus avoir peur et de dénoncer collectivement un régime qui les faisait suffoquer. Elles lui ont enfin rappelé que la démocratie n'était pas une valeur occidentale mais universelle et que la liberté d'expression était un trésor mérité par tous les peuples du monde qu'il lui fallait conquérir et préserver.

Galvanisées par la Tunisie, les populations arabes ont à leur tour eu le courage de combattre l'injustice et l'arbitraire dans leur pays. Nul ne sait ce que donneront exactement ces mouvements mais le changement est inéluctable et augure d'un horizon meilleur pour ces jeunes générations.

Il reste à la Tunisie à réussir sa transition démocratique pour continuer à être un exemple à suivre pour les autres pays arabes. Le chemin sera sans doute long et difficile.

Mais si l'on accélère l'intégration des femmes dans la vie politique et économique du pays et si l'on exploite mieux la qualité de son capital humain notamment des jeunes, nul doute que l'avenir de la Tunisie s'avère ensoleillé

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Zohair Ghenania aura un jour ou l'autre son compte. Quitte à ce que cela se produise dans dix ans.

Zohair ghenania n'est rien d'autre que le neveu d'un ancien député Rcdiste (parti de Ben Ali) qui a sur les mains le sang de résistants tunisiens et plus grave encore qui a mis dans ses poches l'argent du contrat d'électricité devant être signé entre le gouvernorat de sfax et une entreprise étrangère ; résultat : une fillette morte renversée par une voiture sur la route de Gabès par manque d'éclairage. Et dire qu'il veut nous donner des leçons de démocratie. Ma tunisie à moi n'est la sienne, c'est celle de Ferhat Hached, de Serge Moati...

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