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Bernard-Henri Lévy : confessions d'un Juif irréligieux

Bernard-Henri Lévy : confessions d'un Juif irréligieux

 

Premier point : nous vivons un temps de peurs et de rejets, de préjugés et de replis sur des carrés identitaires. À cet égard, l'étude "Vivre ensemble" que nous avons publiée dimanche dernier est fort instructive. Deuxième point : il existe, face à cette montée des périls, des forces raisonnables et des raisons d'espérer, la même étude le souligne également. Même s'il excède très largement la question, le dernier essai de Bernard-Henri Lévy, autoportrait personnel et intellectuel mûri depuis deux décennies, s'inscrit dans ce bras de fer complexe entre tolérance et intolérance, ces frictions paradoxales suscitées par la mondialisation. L'Esprit du judaïsmeest, entre autres mérites, un parfait manuel contre la haine de l'autre.

Face aux habits neufs de l'antisémitisme, BHL propose tout sauf une retraite identitaire : il exalte tout à la fois "la gloire des Juifs" et l'amour de l'altérité (le livre est placé sous le regard d'Emmanuel Levinas), un judaïsme de combat comme ces sports d'autodéfense que son père lui conseillait enfant, "un judaïsme debout […] vigilant, confiant dans ses ressources […] qui ne s'excuse pas quand on le blesse et qui, intellectuellement s'entend, rend au contraire coup pour coup", et en même temps "le refus d'un judaïsme autosuffisant, clos sur lui-même".

Non, les années 1930 ne sont pas de retour

L'heure est grave mais pas désespérée. Sur ce point, BHL affiche quelques certitudes. Non, les Juifs français, malgré les menaces et les tensions, ne doivent pas quitter leur pays. Non, les années 1930 ne sont pas de retour, l'auteur rappelle utilement la puissance d'unantisémitisme alors idéologie quasi officielle portée par de grandes voix (Céline bien entendu, mais aussi Morand, Cendrars, Giraudoux, Drieu), ces députés, ces préfets… Pour immémorial qu'il soit, éternel et sans cesse mutant, l'antisémitisme est aujourd'hui revendiqué pour l'essentiel par "des idiots, des illettrés, véritables crânes rasés de la pensée".
 
Lévy consacre de belles pages à "la place des Juifs dans la France telle qu'elle s'est constituée au fil des siècles". À commencer par l'œuvre du rabbin Rachi, qui vivait à Troyes en Champagne au 11e siècle, cultivait son vin et fut surtout l'un des plus grands savants juifs, commentant la quasi-totalité de la Bible hébraïque et du Talmud dans un hébreu truffé de milliers de mots d'ancien français qu'on peut considérer comme "un mémorial du français des commencements" : "C'est très concrètement qu'un texte écrit en hébreu a pu participer de l'engendrement et des métamorphoses de cette grande langue qu'est déjà le premier français."

Un récit personnel et engagé

Rachi mais aussi Marcel Proust, à un moment crucial de la littérature française, enfant d'un père catholique et d'une mère juive, Mme Weil, à l'enterrement de laquelle Marcel fit dire le kaddish ; Proust grand lecteur du Zohar, cette part majeure de la kabbale ; Proust dont Céline assurait que la poésie même de laRecherche était conçue et bâtie comme le Talmud. Le judaïsme de Lévy (et de tant d'autres), c'est la religion de la connaissance, c'est lire, douter, chercher plutôt que croire. C'est l'inverse de la vérité révélée, c'est ne jamais cesser de commenter et discuter à l'infini, l'exact opposé des orthodoxies et des prosélytismes. En ce sens, Lévy refuse l'idée du peuple élu, s'appuyant sur un récit des origines, Moïse sur le mont Sinaï, l'expédition de Jonas à Ninive, cité du nord de la Mésopotamie, non loin de Mossoul.

C'est un récit personnel et engagé que livre Bernard-Henri Lévy, faisant le pont entre l'aventure des nouveaux philosophes, ces réunions près de la fontaine de la Rue d'Ulm où se dessina une sortie "de la vision politique du monde", et ses expéditions en Libye, en Ukraine, avec les combattants kurdes anti-Daech, toutes ces polémiques aussi sur lesquelles Lévy revient, s'explique, enfonce le clou, et le débat est loin d'être clos.

Mais l'essentiel, cette fois, se situe plutôt dans l'exaltation d'un peuple-sable, léger et indestructible, cette recherche "d'une force traversante… disposition brève, aléatoire, et pourtant perpétuelle, à la traverse de l'intelligence". Il y a dans cet ouvrage personnel un mélange d'orgueil et de pudeur, c'est la confession d'un Juif irréligieux et laïque. 

L'Esprit du judaïsme, Bernard-Henri Lévy, Grasset, 448 p., 22 euros.

http://www.lejdd.fr/

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