Ce n’est pas la fin du monde, mais c’est sans doute la fin de la Grèce (info # 010807/15)[Analyse économique]
Par Sébastien Castellion© MetulaNewsAgency
Dimanche dernier, les Grecs se sont prononcés à 61,3 % pour rejeter les conditions mises par la Commission Européenne, la Banque Centrale Européenne et le Fonds Monétaire International à l’attribution d’un nouveau prêt d'urgence destiné à éviter l'effondrement financier complet du pays.
L’offre européenne consistait en une facilité de paiement pour faire face aux obligations à court terme de la Grèce, plus un fonds d’investissement de 35 milliards d’euros pour des projets structurants.
En échange, les Européens demandaient :
- l'imposition d'une TVA à 23 % sur la restauration collective et l'abolition de sa baisse dans les îles ;
- l'application d'une avance d'impôt de 100% sur les sociétés et les travailleurs indépendants, afin de lutter contre une fraude fiscale très répandue dans le pays ;
- l'abolition des réductions d’impôt pour les agriculteurs ; une baisse de 900 millions d'euros (0,5 % du PIB) des dépenses de l'aide sociale (subventions, etc.) ;
- une limitation immédiate des pré-retraites et l'abolition progressive de la retraite complémentaire ;
- l’augmentation des recettes des caisses de sécurité sociale en supprimant leurs contributions aux tiers qui en détiennent des parts ;
- l'augmentation des prélèvements pour soins de santé sur les pensions de 4 % à 6 % ;
- le gel des retraites jusqu'en 2021 ;
- une législation sur les licenciements collectifs ;
- une réduction des salaires dans le secteur public ;
- a poursuite de la privatisation du secteur de l'électricité ;
- l’abandon des plans du gouvernement Syriza de faire revenir les cotisations sociales patronales au niveau de l'année 2014.
Le résultat du référendum fut célébré par des scènes de liesse dans les rues des villes grecques. Mais moins de 48 heures plus tard, il était déjà clair que la Grèce, une fois de plus, avait pris une décision qui ne peut qu’aggraver sa crise et augmenter le risque d’un effondrement complet.
Hier, 7 juillet, les dirigeants européens se sont réunis à Bruxelles pour discuter des conséquences de la décision grecque. A l’issue de cette réunion, le gouvernement d’extrême gauche d’Alexis Tsipras a jusqu’à dimanche pour présenter des propositions de réforme aux partenaires européens.
Dans les prochains jours, deux scénarios sont envisageables.
La bonne nouvelle est qu’aucun d’entre eux ne devrait provoquer une crise économique mondiale. Depuis que la Grèce est entrée dans un cycle de défauts de paiement et de renégociation de sa dette en 2010, les banques et les marchés financiers ont largement cessé de lui prêter de l’argent. Le secteur privé ne détient plus assez de dette grecque (environ 56 milliards d’euros en tout) pour qu’une faillite totale du pays entraîne des effets en chaîne incontrôlables.
La plus grande partie du risque, soit environ 265 milliards d’euros, est désormais portée par les autres Etats européens : 65 milliards pour l’Allemagne, 49 milliards pour la France, 43 milliards pour l’Italie etc. Pour tous ces pays, une faillite grecque entraînera une dégradation de leurs propres comptes et une charge supplémentaire pour leurs contribuables. Mais cette dégradation ne sera pas assez grave pour entraîner un effondrement de leurs économies : la dette publique française, par exemple, atteint déjà 2 052 milliards d’euros et ne serait donc augmentée que de 2,5%.
La mauvaise nouvelle est que le seul choix qui se présente aujourd’hui à la Grèce – et qui sera tranché dans les premiers jours de la semaine prochaine – est, soit d’accepter des conditions plus dures que celles qu’elle a rejetées dimanche, soit de faire face à un effondrement complet de son économie et de quitter le club des économies développées pour rejoindre durablement le Tiers Monde.
La première hypothèse, celle d’un nouveau prêt européen, exigerait que le gouvernement grec parvienne à surmonter l’immense irritation de ses partenaires face au comportement qui a été le sien depuis son élection en février dernier.
Ce ne sera pas facile. Les Européens sont exaspérés de voir Alexis Tsipras refuser des réformes qui – au moment où ils acceptent de lui prêter leur argent une fois de plus pour éviter l’effondrement du pays – leur semblent la moindre des choses. Ils n’accepteront pas ses vagues promesses d’augmenter les impôts sur les hauts revenus, qui sont assorties d’estimations totalement irréalistes des montants qui pourraient être ainsi recouvrés. Ils savent parfaitement, et Tsipras le sait aussi bien qu’eux, que les Grecs les plus aisés ont fait fuir depuis bien longtemps hors du pays tout ce que le fisc pourrait saisir.
Cette exaspération européenne affaiblit la position de négociation de Tsipras. Pour calmer un peu ses collègues, il a mis fin, dès le lendemain du référendum, aux fonctions de son ministre de l’économie, Yannis Varoufakis, qui s’était rendu insupportable par son arrogance.
Plus encore que par l’irritation de ses partenaires, la position de Tsipras est affaiblie par la réaction des acteurs économiques face au référendum de dimanche.
Dès lundi, les banques ont fermé ; le montant maximal de retrait dans les distributeurs automatiques a été réduit à 60 euros ; les investisseurs et les marchés financiers ont commencé à se préparer à un effondrement de l’économie grecque et à sa sortie de la zone euro. Malgré la mise en place immédiate d’un contrôle des capitaux pour limiter l’hémorragie de liquidités hors du pays, le système financier grec n’a plus qu’environ 500 millions d’euros disponibles en caisse, soit moins de 50 euros par citoyen du pays.
Si le gouvernement grec veut vraiment rester membre de la zone euro et obtenir une aide d’urgence des pays européens, il devra, d’ici dimanche, prouver enfin qu’il peut être un partenaire crédible.
Concrètement, cela signifie qu’il devra presque certainement accepter des conditions plus rigoureuses que celles que son peuple a rejetées dimanche. De plus, il n’est pas certain du tout qu’il obtienne en échange davantage qu’une ligne de crédit d’urgence lui permettant de régler ses dettes immédiates. Le fonds d’investissement de 35 milliards, promis la semaine dernière, pourrait donc passer à la trappe.
Depuis son élection en février dernier, le gouvernement Tsipras a toujours fait l’hypothèse que les Européens ne voulaient pas perdre la Grèce et finiraient par lui accorder ce qu’elle demande. A entendre les diplomates européens cette semaine, c’est exactement l’inverse qui est vrai aujourd’hui. Les puissances prêteuses s’accommoderaient parfaitement d’un départ de la Grèce. Ce départ leur permettrait de se consacrer enfin à d’autres dossiers et de cesser de nourrir l’appétit sans fin d’un passager clandestin. On ne convaincra pas les Européens d’accorder un nouveau prêt à un pays qui n’inspire plus aucune confiance à personne, sauf si ce pays accepte des contreparties sévères et vérifiables.
Si aucun compromis ne se dessine sur ces bases, l’économie grecque s’effondrera dans l’indifférence presque absolue de ses voisins. Cet effondrement se déroulera à peu près comme suit :
Lundi ou mardi prochain, les banques grecques, faute de liquidités disponibles, refuseront la plupart des paiements et cesseront l’essentiel de leurs opérations.
Le gouvernement devra faire face à son incapacité, à la fin du mois de juillet, de payer ses fonctionnaires en euros. Il aura moins de deux semaines pour mettre en place une forme de monnaie parallèle – appelons-la « drachme », si vous voulez –, dont l’Etat annoncera qu’il l’accepte en paiement de ses propres créances.
Il est probable, cependant, que les moyens techniques de la mise en place de ces nouveaux assignats n’existent tout simplement pas dans un temps aussi court. Les Grecs devront donc attendre et vivront, pendant quelques jours ou quelques semaines, dans une économie purement et simplement privée d’argent.
A ce stade, la capacité que peuvent avoir les économistes de modéliser les comportements s’arrêtent. Les exemples historiques montrent seulement qu’une absence de liquidités pendant plus de cinq ou six jours se traduit presque toujours par des émeutes, des scènes de pillage, et une rapide montée des mouvements extrémistes.
Dans l’hypothèse la plus pessimiste, ce pourrait être, en quelques jours, la fin de la démocratie en Grèce – soit parce que le pays entier sombrerait durablement dans le chaos, soit parce que ce chaos ne serait évité qu’au prix de l’instauration d’une dictature qui assurerait une répression suffisante en attendant la mise en place du nouveau système monétaire.
Même si un semblant d’ordre public est préservé, une fois la nouvelle monnaie mise en place, sa valeur s’effondrera immédiatement. La richesse nationale grecque, qui a déjà baissé de 25% depuis 2008, perdra en quelques jours au moins la moitié de sa valeur. En termes de richesse par habitant, la Grèce quittera le groupe des économies industrielles moyennes (qui contient, par exemple, le Portugal, Taiwan ou la République Tchèque) et deviendra comparable au Mexique, à la Malaisie ou à la Turquie.
Pour l’Europe, la sortie de la Grèce de la zone euro mettra fin à la menace économique d’une extension graduelle de la crise grecque aux autres pays de la zone. Elle créera, en revanche, une nouvelle menace institutionnelle.
Une Grèce appauvrie et revenue à la drachme cesserait, certes, de menacer la stabilité de la zone euro par ses demandes permanentes de refinancement. En revanche, elle resterait membre à part entière de l’Union Européenne, qui ne dispose d’aucun mécanisme institutionnel pour exclure ceux de ses membres qui se comportent mal.
Or, au sein de l’Union, plusieurs politiques importantes exigent des décisions unanimes de tous les membres. C’est le cas de la politique étrangère et de sécurité commune, des questions de justice et d’affaires intérieures, et des décisions relatives au financement des institutions européennes.
Dans tous ces domaines, une Grèce appauvrie et aigrie pourrait devenir une nuisance permanente, empêchant quotidiennement le bon fonctionnement de l’Union Européenne. Elle pourrait être encouragée dans ce rôle si, rejetée par l’Europe, elle se trouvait un nouveau financeur en la personne d’une puissance hostile – probablement la Russie, mais peut-être aussi la Chine. Au prix d’un soutien financier parfaitement supportable, une telle puissance pourrait s’acheter le pouvoir de bloquer dans de nombreux domaines le fonctionnement quotidien de l’Union.
Ceux qui évoquent ce scénario précisent cependant qu’il serait un moindre mal. Il fait en effet l’hypothèse que la société grecque ne se serait pas entièrement effondrée après avoir fait l’expérience de plusieurs semaines de grave crise de liquidités. Rien ne garantit aujourd’hui que les choses se passeront aussi bien.
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