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Ce que «sioniste» veut dire

Ce que «sioniste» veut dire

 

Par Avraham B. Yehoshua

Traduit de l’hébreu par Jean-Luc Allouche.

 

Le terme de «sioniste» est fondamentalement simple, clair, facile à définir, à comprendre et à justifier. Cependant, au cours des vingt, trente dernières années, ce terme s’est transformé en une notion des plus confuses. La droite l’ajoute comme une sorte de crème chantilly pour améliorer le goût de mets douteux, tandis que la gauche l’envisage avec crainte comme une sorte de mine susceptible d’exploser entre ses mains, qu’il convient de neutraliser avec toutes sortes d’ajouts bizarres, du genre «sionisme raisonnable» ou «sionisme humaniste».

Dans ces conditions, il faut tenter de définir de façon réaliste le terme sioniste. Tout d’abord, il convient de se rappeler que ce terme est né à la fin du XIXe siècle. Cela n’a donc aucun sens de définir par ce mot le poète Yehuda Halevy de sioniste, lui qui œuvrait au XIe siècle en Espagne, ou un juif quelconque immigré en terre d’Israël au cours des siècles passés.

 

Du coup, comment définir qui est sioniste depuis l’apparition du mouvement sioniste, inspiré de Theodor Herzl et de ses adeptes ? Voici une définition : un sioniste est un individu qui désire ou soutient la création d’un État juif en terre d’Israël qui serait, dans le futur, l’État du peuple juif. Selon les propos mêmes de Herzl : «À Bâle, j’ai fondé l’État des juifs.» Le mot-clé en l’occurrence est : «État». Et, de manière naturelle, il s’agit de la terre d’Israël à cause de l’attachement historique du peuple juif à cette terre.

 

Mon trisaïeul, par exemple, venu de Salonique en terre d’Israël au milieu du XIXe siècle, ne peut donc être défini comme un sioniste. Il est venu s’y installer et non fonder un État. C’est le cas des aïeux des Netoure Karta («les Gardiens de la cité») et d’autres groupes hassidiques arrivés au XVIIe siècle et au XVIIIe qui lui vouent la même fidélité, mais dont certains d’entre eux considéraient, et considèrent toujours, l’État d’Israël comme une abomination et un blasphème.

 

Herzl lui-même et nombre de dirigeants sionistes n’ont jamais immigré en terre d’Israël, sans que, pour autant, on ne puisse pas les qualifier de sionistes. Quiconque définit le sioniste comme celui qui a immigré en Israël déclare, en fait, qu’aucun sioniste ne se trouve hors de ce pays. Ce qui est faux. Et que dire de ceux qui sont nés en Israël ? Seraient-ils sionistes de naissance ?

 

Reste à savoir quel État désiraient ceux qui en soutenaient le projet. Chaque sioniste affichait sa propre vision et son programme. Le sionisme n’est pas une idéologie. Si l’on retient comme définition de l’idéologie la conjonction systématique et unifiée d’idées, de conceptions, de principes et de mots d’ordre à l’aide desquels s’incarne une vision du monde d’un groupe, d’un parti ou d’une classe sociale, le sionisme ne peut sûrement pas être tenu pour une idéologie, mais juste comme une très large plateforme de différentes idéologies, parfois même antagonistes.

 

Après la création de l’État d’Israël en 1948, la définition du sioniste s’est métamorphosée : un sioniste accepte le principe que l’État d’Israël n’appartient pas à ses citoyens, mais au peuple juif tout entier, et l’expression obligatoire qui en découle est «la loi du retour». Les affaires de l’État sont du ressort exclusif de ses citoyens - les détenteurs de la carte d’identité israélienne, dont 80% de juifs et 20% de Palestiniens israéliens et d’autres. Néanmoins, seul celui qui soutient la loi du retour est sioniste et celui qui le refuse ne l’est pas. Mais les juifs israéliens qui rejettent la loi du retour et se qualifient de non-sionistes ou de post-sionistes (à droite comme à gauche) demeurent de bons citoyens loyaux de l’État d’Israël, avec leurs droits garantis.

 

Il en découle que toutes les grandes questions idéologiques, politiques, sécuritaires et sociales, sur lesquelles nous nous affrontons, nuit et jour, ne relèvent pas du sionisme. Elles appartiennent au même registre de querelles que d’autres peuples ont connues et connaissent encore. En outre, le mot sionisme n’est pas là pour se substituer à «patriotisme», «esprit pionnier», «humanisme» ou «amour de la patrie» que d’autres langues utilisent.

 

De même, il n’existe pas de rapport entre la surface de l’État et le sionisme. Si les Arabes avaient accepté le plan de partage de la Palestine en 1947, l’État d’Israël dans les frontières du partage n’aurait pas été moins sioniste que dans d’autres frontières. Si l’État hébreu avait conquis et annexé la Transjordanie et abrogé la loi du retour, il aurait cessé d’être sioniste, bien qu’il eût triplé ou quadruplé son territoire.

 

Concernant la loi du retour que d’aucuns considèrent comme discriminatoire à l’égard des citoyens palestiniens d’Israël, il convient de répondre que la loi du retour est la condition morale posée par les nations du monde à la création de l’État d’Israël. Le partage, en 1947, de la Palestine en un État juif et un État palestinien ne s’effectuait qu’à condition que l’État juif ne soit pas celui du petit établissement des 600 000 Israéliens qui y vivaient à cette époque, mais un État qui puisse résoudre la détresse de tous les juifs du monde et offrir à tous les juifs la possibilité d’y trouver un foyer. Serait-il moral que les centaines de milliers de juifs qui ont pu immigrer en Israël grâce à la loi du retour referment les portes à travers lesquelles ils ont pu y pénétrer ?

 

En outre, il est vraisemblable que l’État palestinien, qui naîtra, je l’espère, rapidement et de nos jours, aura sa propre loi du retour. Cette loi revêtira une semblable valeur morale qui permettra à tout Palestinien exilé d’y revenir, et d’en recevoir la citoyenneté. Que ce soit en Israël ou dans l’État palestinien, cette loi ne contredit pas les lois d’immigration générale, comme partout dans le monde.

 

Libérer le terme sioniste de tous les appendices et autres ajouts superflus qui lui ont été accolés permettra non seulement d’éclaircir tous les différends idéologiques et politiques entre nous, évitant ainsi une mythification des controverses, mais obligera les critiques en dehors d’Israël à mieux préciser et à mieux focaliser leurs positions.

 

Dernier ouvrage paru : «Rétrospective», Grasset Calmann-Lévy, 2012.

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