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Circoncision: la peur des médecins

 

Circoncision: la peur des médecins

 

Une décision de justice assimile la circoncision à un délit. Les médecins suspendent les opérations mais redoutent une explosion des pratiques clandestines.

Par Antoine Heulard

 

Depuis trois semaines, le téléphone du docteur Hikmet Ulus n’arrête pas de sonner. Au bout du fil, des patients désorientés. Et toujours la même question: «Ils veulent savoir si je vais continuer à pratiquer des circoncisions», explique ce chirurgien d’origine turque installé à Cologne. Chaque année, il circoncit plusieurs centaines d’enfants musulmans ou juifs. «Beaucoup de parents voulaient profiter des vacances d’été pour réaliser cette opération rituelle. Malheureusement, je dois tout annuler», regrette-t-il.

Grande incertitude juridique

Car désormais, à Cologne, la circoncision est considérée comme un délit passible de poursuite. C’est en tout cas ce qu’a décrété le Tribunal de grande instance le 26 juin dernier, jugeant que l’ablation du prépuce pour motif religieux représente une «atteinte grave à l’intégrité physique» de l’enfant.

«Cette décision crée une grande incertitude juridique, déplore Hikmet Ulus. Le gouvernement doit intervenir pour clarifier les choses. En attendant, je suspends toutes mes opérations: j’ai peur de finir en prison!» Mais le chirurgien se fait également beaucoup de souci pour ses jeunes patients qui, selon lui, risquent désormais de tomber entre les mains de véritables «bouchers». «Comme à l’époque, les circoncisions vont se faire clandestinement, dans des caves ou des arrière-cours, par du personnel non qualifié et dans des conditions d’hygiène effroyables, s’indigne-t-il. Ce jugement est un retour en arrière.»

D’autant que la décision de ce tribunal pourrait faire jurisprudence et s’appliquer à toute l’Allemagne. Alors, à l’autre bout du pays, le docteur Ismail Tuncay, lui aussi, s’inquiète. Installé depuis vingt-six ans à Kreuzberg, le grand quartier turc de Berlin, il raconte que ses patients «tombent des nues. Ils se sentent blessés dans leur croyance et aucun d’entre eux n’est prêt à y renoncer ou à attendre que les garçons soient en âge de décider eux-mêmes», constate-t-il. Mais, s’il partage leur consternation, pas question d’enfreindre la loi. «Bien entendu, on pourrait circoncire des enfants en justifiant l’opération par des raisons strictement médicales, afin de contourner la loi, glisse-t-il. Mais cela me semble trop risqué.» Selon des estimations, 1650 jeunes Berlinois se font circoncire chaque année, dont 150 juifs. Ismail Tuncay laisse entendre que le flou actuel risque de plomber les affaires de son cabinet. «Tout le monde ira se faire opérer à l’étranger: il va y avoir un boom du tourisme de la circoncision, en Turquie ou ailleurs», prédit-il.

Une «nation de guignols»

Face à la polémique et sous la pression conjointe des communautés juive, musulmane, catholique et protestante, le gouvernement promet d’agir rapidement pour corriger la maladresse des juges de Cologne. La chancelière Angela Merkel redoute notamment que l’Allemagne ne passe pour une «nation de guignols» si l’interdiction est maintenue. Ismail Tuncay espère qu’une solution pragmatique sera trouvée avant l’automne. Mais si rien n’a bougé d’ici là, le médecin affirme qu’il n’hésitera pas à «descendre dans la rue» pour défendre la liberté de croyance et le droit à la circoncision religieuse.

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