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Comment on fabrique un djihadiste

Comment on fabrique un djihadiste

 

 

 

 

Certains considèrent que ce qu'on appelle déjà la "Troisième guerre d'Irak" est "absurde" et "inutile". Peut-être. Il est vrai que le réveil de l'Amérique et de l'Europe est tardif, que le fait de bombarder des blindés appartenant à des mercenaires fanatisés ne va pas éradiquer un califat autoproclamé dont les racines viennent de très loin. Combattre les gens de Daech - l'État islamique en arabe - est plus que nécessaire. Je me demande pourquoi les États du Golfe ne participent pas militairement à cette lutte. Ils auraient dû le faire ne serait-ce que pour se faire pardonner le fait d'avoir aidé et financé de manière privée ou officieuse certains combattants au nom de l'islam.

La France a peur du retour de ceux qui se sont engagés en Syrie et en Irak aux côtés des djihadistes dont la haine de l'Occident n'a d'égal que leur détermination à imposer un "État islamique" partout où leur fureur parvient à s'installer.

Comment faire la chasse aux "contaminés du djihad" ? Il faudra d'abord les repérer, les connaître et pouvoir les arrêter, les inculper et les juger. Et puis après ? En aura-t-on fini avec cette aberration née sur le sol français ? Rien n'est moins sûr. Certains politiques demandent à ce qu'on leur retire la nationalité française. Non seulement cela n'est pas facile, mais ne résoudrait pas le problème. Des "fous de Dieu", il y en aura toujours.

L'ignorance et la mauvaise foi

La tête du jeune Français d'origine immigrée ou récemment converti qui, tenté par l'aventure du djihad, fait le pas de suivre un recruteur au point de se retrouver dans un territoire où l'instinct de vie a été remplacé par celui de la mort, la mort donnée et la mort acceptée, cette tête-là souffrait d'un vide sidéral doublé d'une perturbation sérieuse. Un vide qui a été vite rempli par tout ce dont il rêvait : avoir une identité, pouvoir la consolider sur le terrain, avoir des repères spirituels, idéologiques, donner un sens à sa vie même s'il est disposé à la perdre dans le combat et retourner "au pays des mécréants" faire le malheur de ceux qui ne pensent pas comme lui, ceux qu'on lui a appris à haïr au point de trouver leur disparition nécessaire, normale. C'est la tête de Mohamed Merah, c'est aussi celle de Mehdi Nemmouche.

Traquer ce genre d'individus rassurera quelques citoyens. Mais le fond du problème restera intact. Émile Cioran disait que c'est tout à fait naturel que la jeunesse soit attirée par les idées radicales et tombe dans le fanatisme (lui-même n'y a pas échappé). Les convertis sont connus pour en rajouter. Mais que dire de ceux qui sont nés dans un milieu musulman où les parents pratiquent un islam tranquille, modéré et paisible ? Ce sont souvent des victimes qui ont fait de mauvaises rencontres et qui suivent ces prétendus imams qui les dirigent ensuite vers l'aventure djihadiste en utilisant des arguments puisés dans l'ignorance et la mauvaise foi (sur le drapeau noir de cette armée est écrit en arabe "Allah Messager Mohamed", ce qui est aussi incorrect en arabe qu'en Français). 

Des banlieues pathogènes

Tous les enfants français issus de l'immigration ne tombent pas dans ce piège. Mais pour la minorité qui est partie se battre pour l'établissement d'un État islamique (ils sont un millier sur environ deux millions), ce n'est pas une nouvelle loi sur le terrorisme qui réglera le problème de fond. À la limite, ceux-là sont perdus. Soit ils mourront en "martyrs" sur le front, soit ils rentreront à la maison, vidés de leur humanité et prêts à exécuter n'importe quel ordre, même celui de tuer des enfants d'une école juive. Le cas Merah est vif dans certaines mémoires. Il est considéré par certains comme un héros d'une cause non dite, non proclamée. Non seulement il faudra redoubler de vigilance afin de les empêcher à leur retour, si toutefois on les repère, de commettre des attentats commandités par al-Qaida ou le pseudo calife al-Baghdadi, mais il faudra aussi essayer de les désintoxiquer, de les remettre sur le chemin du droit.

Le travail qui doit être entrepris sera long. Il faudra creuser en profondeur. Attaquer le problème à la racine plutôt qu'à la surface pour se dédouaner. Car il s'agit des banlieues pathogènes, malsaines, productrices de vide et d'aberrations. Si aujourd'hui des jeunes trouvent leur salut au sein d'une armée de mercenaires égorgeurs d'innocents, ce n'est pas par hasard. Depuis la Marche des Beurs contre le racisme il y a 30 ans, de nombreuses alertes ont été lancées. Aucun gouvernement, de droite ou de gauche, n'a pris les mesures déterminantes qui s'imposaient. Il faudra revisiter notre politique de la ville, faire en sorte que la mixité sociale soit une réalité, éliminer les lieux de relégation. Permettre une vraie adhésion identitaire aux valeurs de notre république. Remplir tout le vide. Le chemin est long. Et je ne vois rien, à ce stade, qui soit entrepris qui puisse nous y conduire.

Par Tahar Ben Jelloun, écrivain et poète marocain, publié dans le Point

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