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Comment naît une rumeur raciste

Depuis des années, Jean-Pierre Garcia observe la progression des rumeurs et les combat.

 

Comment naît une rumeur raciste

 

 

En 1974, Jean-Pierre Garcia, directeur du festival du film d’Amiens, s’est battu contre une rumeur antisémite. Aujourd’hui, il analyse celle des Roumains voleurs d’enfants.

Des citoyens roumains à bord d’un fourgon blanc qui s’arrêtent à proximité d’établissements scolaires. Des enfants qui sont enlevés et qui disparaissent, conduits dans un lieu inconnu où certains de leurs organes seront prélevés dans le cadre d’un trafic international...

En quelques jours, la rumeur s’est répandue simultanément à Amiens, Beauvais et Saint- Quentin. Les maires, les services de police, les préfectures démentent, mais rien n’y fait. La rumeur poursuit son chemin tortueux avant de s’éteindre progressivement pour, telle l’hydre, renaître dans quelques mois ou quelques années.

Ce phénomène, Jean-Pierre Garcia le connaît bien. Il n’était pas encore directeur du Festival international du film d’Amiens, mais il était déjà militant antiraciste et responsable du Mouvement contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP) lorsqu’est apparue, en 1974, ce qui devait s’appeler « la rumeur d’Amiens » et qui fit l’objet d’un film du même nom, où Jean-Pierre Garcia interprétait son propre rôle.

« Il se disait que des jeunes femmes, se rendant chez un commerçant de vêtements du centre-ville, disparaissaient alors qu’elles se trouvaient dans la cabine d’essayage. On racontait que, par la suite, elles étaient conduites de force dans divers pays et contraintes de se livrer à la prostitution », se souvient-il.

Cette rumeur se développa également à Orléans et à Chalon-sur-Saône.

Et elle est loin d’être innocente, cette rumeur d’Amiens. Car le commerçant désigné avait la particularité d’être juif. « Les gens ne disaient pas "juif". Ils employaient plutôt le terme "israélite", comme si celles et ceux qui colportaient la rumeur ne voulaient pas être taxés d’antisémitisme. Rien n’a véritablement changé à ce point de vue. Hier, on disait israélite pour ne pas dire juif. Aujourd’hui, on dit Roumain pour ne pas dire Rom. Cette rumeur renvoie au vieux mythe des gitans voleurs d’enfants », explique Jean-Pierre Garcia.

Il est très difficile, voire impossible de trouver l’origine précise, voire l’auteur, d’une telle allégation. En revanche, les raisons de son apparition, puis de son développement sont plus claires.

« Souvent les rumeurs traduisent une inquiétude profonde chez les gens, d’ordre social. Elles sont l’expression d’une inquiétude sur l’avenir, souligne Jean-Pierre Garcia. Il est important de noter que la rumeur est très souvent colportée par des personnes fragilisées : de jeunes filles ou des adolescentes, des personnes âgées ou plus simplement des femmes et des hommes qui vivent seuls. Mais l’important, c’est également la cible de la rumeur. Ce qui m’avait choqué en 1974, c’est que la rumeur visait uniquement des commerçants juifs. Ces derniers temps, les Roms ont été la cible de nombreuses attaques. Comme par hasard, ce sont eux qui sont désignés comme des voleurs d’enfants. »
La vieille rengaine du bouc émissaire est toujours là. Dans ce contexte, la rumeur peut s’avérer bien utile à certains. « Elle est sans doute très utile à ceux qui veulent détourner l’attention des gens de la réalité, selon le vieux principe qui veut que, pendant qu’on parle de ça, on ne parle pas d’autre chose », confirme le directeur du festival d’Amiens.

Reste que si elles sont puissantes et sournoises, les rumeurs ne sont pas invincibles. « Il est évident que des journaux comme Le Courrier picard ont un rôle important à jouer, en vérifiant l’information et en la démentant lorsqu’elle est fausse.

Toute personne qui, à un titre ou à un autre, est une autorité morale à son rôle à jouer, qu’il s'agisse du professeur des écoles du commissaire de police, du maire ou du préfet »

Toutes ces rumeurs nauséabondes, Jean-Pierre Garcia les combat depuis des années par la parole mais aussi par l’action. Il sait bien que c’est par la connaissance de l’autre qu’on apprend à avoir moins peur de lui. À sa façon, le Festival international du cinéma d’Amiens contribue à cette action importante.

GEORGES CHARRIÈRES 

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