Comment peut-on être antisioniste? Par Steve Nadjar
« L’antisionisme est antisémite par essence et le restera toujours ».Cette phrase puissante, attribuée à Martin Luther King, a connu une « seconde vie » dans la décennie 2000, notamment suite à une campagne de l’Union des étudiants juifs de France.
Ces quelques mots associés à une personnalité à la fois progressiste et noire devaient permettre de répondre au « moment Dieudonné », autrement dit à cette séquence où l’antisionisme prit la forme d’un pseudo-humour radical et qui connut un certain succès dans certaines couches de la population.
Cette citation était fausse ; Martin Luther King n’a jamais prononcé ou écrit une telle phrase. Pour autant, plus de dix ans après cette fameuse opération de l’UEJF, la question du rapport entre « antisionisme » et « antisémitisme » suscite encore le débat. Peut-on s’affirmer antisioniste sans se compromettre dans la judéophobie ?
L’antisionisme, une opinion comme une autre ?
Si beaucoup y sont indifférents, rares sont ceux qui, en dehors de la communauté juive, affichent une critique claire de l’antisionisme. Là est peut-être la première victoire des adversaires de l’État d’Israël. Ils sont parvenus à intégrer cette idéologie dans le débat public et à lui faire obtenir ses galons d’opinion légitime. Et face à ceux rappelant les résonances douteuses de cette pensée, les thuriféraires antisionistes se pressent d’évoquer un « intolérable chantage » ou encore une « confusion malsaine », à l’instar de Pascal Boniface, directeur du centre de recherches IRIS et auteur du fameux « Est-il permis de critiquer Israël ? » (2003).
Mais qu’est donc au fond l’antisionisme ? Où plongent ses racines ? Dans un article éclairant publié il y a près de 30 ans dans la « Revue française de science politique », le politologue Yohanan Manor travaillait la notion d’antisionisme à la lumière des formes successives d’hostilité aux Juifs. Chacune de ces haines reposait sur une rationalité bien particulière, reflet des pensées et des peurs suscitées par l’époque : rationalité religieuse (symbolisée par l’accusation de la mort du Christ) ; rationalité moderniste ensuite dans laquelle le Judaïsme est pensé comme un ennemi des Lumières ; rationalité socio-économique à partir du XIXe siècle – les Juifs défenseurs du capital – et enfin rationalité raciale – les Juifs comme membres d’une race inférieure et menace pour la race aryenne. Mais par-delà leur diversité, toutes ces idéologies préservaient néanmoins un « fond commun », des réflexes de pensée qui, nonobstant leurs différences, assuraient le lien entre les époques. Pour Y. Manor, « un thème revient constamment : celui de la démonisation d’Israël et du Judaïsme, et du mythe paranoïde de la conspiration juive pour asservir et dominer le monde ».
Le « test des 3 D »
L’antisionisme entre-t-il dans cette catégorie de pensées ? Cette idéologie conteste aux Juifs le droit à l’autodétermination, rejette l’aspiration des Juifs à exercer leur souveraineté sur leur territoire ancestral. Pour ce faire, il peut avoir recours à la négation de la présence historique des Juifs en Eretz Israël, voire refuser tout simplement aux Juifs le statut de collectivité nationale. C’est tout le sens du pamphlet au succès troublant de Shlomo Sand, « Comment le peuple juif fut inventé » (2008). Dès lors, dans sa version radicale, l’antisionisme est animé par le principe de discrimination appliqué aux seuls Juifs, privés du droit à l’autodétermination.
C’est la première tare de l’antisionisme dont la rationalité est aussi politique. Mais c’est également dans les modalités que prend sa critique d’Israël que l’antisionisme se pare d’allures antisémites. Au fond, ce n’est pas tant l’opposition à la politique de tel gouvernement israélien qui caractérise ces idéologues ; l’objectif est plus large. Natan Sharansky proposait, dans un article paru en 2003, d’utiliser le « test des 3 D » pour distinguer la « critique légitime d’Israël de l’antisémitisme » :
1) le test de la diabolisation ;
2) le test du deux poids deux mesures ;
3) le test de la délégitimation.
Il importe en effet de ne pas stigmatiser toute critique de choix politiques que prendrait un gouvernement israélien ; c’est le sort de tout État et de tout dirigeant. Et brandir l’accusation d’antisémitisme à mauvais escient peut s’avérer aussi bien injuste que dangereux. Mais l'antisionisme n'est pas de l'ordre de la critique ordinaire d'une politique. Pour le politologue Pierre-André Taguieff, auteur d’ouvrages de référence sur la nouvelle judéophobie, « l’antisionisme radical se reconnaît à son argumentation, dont la finalité est de légitimer la destruction d’Israël, en banalisant l’assimilation polémique d’Israël à un « État raciste », ou d’« apartheid », « colonialiste » et « criminel », qu’il est dès lors justifié de boycotter à tous les niveaux (…) » (« Propalestinisme et judéophobie en France. 20002012 », Outre Terre, 2012). L’antisionisme constitue dès lors une opinion mortifère
Par Steve Nadjar, paru dans l’édition n°1246 d’Actualité Juive du 28 février 2013
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