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De l'ORT Ariana-Tunis à l'Institut ORT Anieres-Genève - Deux mois sous l'Egide d'un Ange Mystérieux, par Avraham Bar-Shay.

De l'ORT Ariana-Tunis à l'Institut ORT Anieres-Genève,

Deux mois sous l'Egide d'un Ange Mystérieux.

 

 
 

 

A aucune période de mon existence, je n'ai vécu autant de  déboires et d'incroyables miracles comme durant période, d'environ deux mois, juillet et aout 1954. Même aujourd'hui, il m'arrive de douter que  j'avais vécu ces histoires. Je crois que mon Ange Gardien, n'a jamais travaillé aussi intensément en un temps si court.

Ayant décidé de les raconter ici, soixante ans plus tard, je remarque que la plupart des souvenirs de cette époque étaient profondément gravés dans ma mémoire. Les événements étaient si forts, pour l'adolescent que j'étais, que j'arrivais à me rappeler exactement des moindres petits détails, comme l'heure du départ du train MARSEILLE- PARIS, le 4 septembre 1954.

L'examen du C A P

Apres les 3 ans et demi passés a l'ORT de l'Ariana (décrits sur Harissa, voir lien  http://www.harissa.com/D_Ecoles/lespremieresanneesdelort.htm ) , en juin 1954 on entra dans les préparations aux examens du diplôme final. Ces examens étaient se passaient les mêmes jours dans toutes les écoles professionnelles de Tunisie.   L'école de l'ORT présentait, pour la première fois  des élèves à ces examens. Parmi les candidats  il y avait des élèves en Mécanique de précision et en Technique du Froid. Nous étions un peu plus d'une vingtaine dans chaque classe, une période excitante, d'à peine deux mois, juillet et aout 1954. Si durant ces années j'étais un bon élève dans les matières théoriques, je l'étais moins dans les travaux pratiques à l'atelier. Je dirais même que je n'étais pas très optimiste quant au résultat final, vu que la note de l'Atelier avait un très haut coefficient dans la moyenne finale.

Si le score pour les frigoristes était plus que satisfaisant, celui des mécaniciens était désastreux. Sur les 23 candidats présentés, seuls deux avaient réussi et avaient reçu le diplôme tant convoité. Quelle surprise quand j'appris que j'étais un de ces deux élèves qui ont eu cette chance et reçurent le diplôme final, le CAP

Nous sûmes plus tard que l'examen en Dessin-Industriel avait fait échouer plusieurs candidats dans toutes les autres écoles aussi.

La direction était très déçue de cette épreuve et nous félicita d'avoir sauvé l'honneur de sa première promotion.. Elle proposa entre autre d'aller continuer nos études à l'Institut Central pour la Formation du futur corps enseignant, qui se trouvait à Anières pres de la ville de Genève. Mon ami avait préféré d'émigrer en France; pour moi c'était la réalisation de tous mes souhaits. Je me rappelle qu'au début nous attendions avec espoir et impatience, l'arrivée de nos instructeurs qui devaient "venir de Genève".

Ma mère qui avait attendu la fin de mes études pour que je puisse l'aider à subvenir aux besoins de sa petite famille, avait tout de suite accepté de se sacrifier et à travailler, encore 3 longues années pour m'offrir un avenir meilleur.

Le Passeport

Les études à l'Institut commençaient dans moins de 2 mois, je n'avais même pas de Carte d'Identité qui était nécessaire pour obtenir un passeport.  Quand je me présentais au commissariat de mon arrondissement (celui du quartier juif de Tunis), on me dit que ça prendrait prés de 6 mois pour recevoir cette carte d'identité; parce que cet arrondissement comprenait aussi tout le quartier arabe de la Médina et qu'il y avait une longue liste d'attente. C'était le désespoir total; alors "Eureka", mon Ange qui ne m'avait pas quitté depuis les examens me conseilla de me présenter à un autre arrondissement avec moins de demandes, un quartier européen:

Je fis d'abord une tournée dans le quartier et choisi un immeuble qui me paraissait assez modeste et qui avait plusieurs appartements. Je me présente au commissariat de ma nouvelle "adresse", et sans attente, je fus reçu par l'officier de service. Je remplis un questionnaire avec les coordonnées que j'avais apprises par cœur. Quand je lui remis le formulaire, il le vérifia et soudain il me jeta un regard qui me glaça sur place. Il me dit " Mais moi j'habite cette immeuble et je ne vous ai jamais vu". J'ai cru que tout mon monde qui s'écroulait, et comme par miracle, mon ange gardien était là et j'ai dit d'un ton normal "J'ai du me tromper de numéro" et lui ai donné un numéro différent, qui le rassura et m'a sauvé de je ne sait quel malheurs. C'est ainsi que l'été 1954, à l'âge de 17 ans et demi j'ai pu avoir, d'une façon pas très légale, mon passeport de citoyen Tunisien, protégé français. Il m'avait servi jusqu'en 1957, quand je le changeai, avec toute ma petite famille, contre celui de Citoyen de la Régence de Tunisie (une Tunisie libre), merci à mon ange Gardien et à Mr Bourguiba,  pour votre participation à réaliser notre Allyah. Ma mère qui rêvait tant d'arriver en Terre Sainte ne put le faire qu'après la fin de mes études, à cause de la politique de "Allyah Sélective"; appliquée dans le temps, en Tunisie par l'Agence Juive, "Aucune famille ne pouvait etre candidate à la Allyah si elle n'avait pas un Chef de famille, male sain et jeune, qui pouvoir subvenir à ses besoins en Israël". 

La Shéh'ita

Ma mère qui était fille de rabbin et s'imaginait que les juifs d'Europe n'étaient assez religieux et que pour je puisse manger Casher; je devais apprendre à immoler les poules. Cela me permettrait d'en acheter une au marché et la tuer selon les rites juifs. Elle connaissait un Shoh'et qui travaillait au Marché du Bah'ri (derrière l'Avenue de Londres. Il était aussi un vendeur de poules et était aidé par un jeune arabe qui l'aidait à  déplumer les poules qu'il immolait.

Il m'envoya acheter un couteau réglementaire et une pierre spéciale pour affuter la lame jusqu'à obtenir un tranchant sans aucune faille ni la moindre petite brèche qui "pourrait faire souffrir la bête". La vérification se faisait avec l'extrémité de l'ongle de l'index qui dit on était très sensible et détecter la moindre micro-entaille sur le tranchant de la lame. La mécanique de précision que j'appris à l'ORT m'avait beaucoup aidé ici, le mouvement de mon couteau sur la pierre ne m'était pas étranger  et la sensibilité de mon ongle percevait facilement le moindre défaut de la lame.  A chaque fois que mon couteau fut aiguisé comme il le fallait, mon rabbin tapait à plusieurs reprises, mais doucement, son tranchant sur l'angle de la pierre à affuter, et le rendait inapte pour que je  l'aiguise de nouveau.

Je devais aussi apprendre par cœur les 7 lois principales pour immoler une gallinacée. Au bout de 2 semaines, le maitre me proposa d'immoler la poule d'une dame non juive (beaucoup de non juives venaient en acheter chez le Rabin et revenaient les prendre déplumées). Ainsi en cas d'échec, il n'y aurait pas de problèmes. Apres quelques d'exercices réussis je passais à la prochaine étape: immoler réellement pour des juives. Là en cas d'échec, je devais acheter une autre poule pour la cliente et vendre la première à bas prix  à une non juive. Au bout d'une semaine il m'envoya passer l'examen, avec une recommandation chez un autre rabbin qui était son supérieur et qui travaillait à l'abattoir de Tunis. Ce jour j'avais pris mes "outils" et acheté une poule dont le "sacrifice" était l'examen final.

Une fois l'épreuve passée, le rabbin de l'abattoir me remit un certificat provisoire, et je devais retourner dans une semaine afin de recevoir ma "Hasmakha" certificat final de Shoh'et.

Après le carnage que vis dans cet abattoir, j'en étais malade et je ne pouvais plus tuer un animal et la poule de l'examen fut la dernière victime jusqu'à ce jour. En plus, début septembre était là et je reçus mon passeport juste le lendemain de cet examen. Mon certificat de Shoh'et était resté à l'abattoir. Le plus amusant de l'histoire de la Shéh'ita était que j'ai appris plus tard que le Sheh'ita juive rituelle était interdite en Suisse depuis des années et on ne vendait jamais de la  volaille dans les marchés de ce pays. Pour la communauté juive Suisse, la viande était importée, d'Allemagne, de France ou d'Italie. Alors merci quand même à mon Ange Gardien, mais tout ce travail ne m'aura servi à rien.

Les valises

Voici un autre Miracle, et le plus incroyable de tous les autres

J'avais moins de 18 ans,  c'était la première fois que j'allais voyager en dehors du pays et surtout seul. Pour éviter des problèmes imprévus dans le trajet Tunis-Genève, j'avais acheté, chez un agent de voyage, tous les billets pour tout le trajet.

Un billet, le moins cher, pour le bateau Tunis Marseille, et, à l'heure qu'il fallait, un billet pour Lyon sur le train Marseille-Paris, pour qu'à Lyon je puisse rejoindre une correspondance en "autorail",  de Lyon à Genève.

Nous étions en automne 1954, on ne  voyait pas encore la fin du Protectorat et l'émigration des juifs n'était qu'à ses débuts. Ainsi mes amis et la famille étaient venus m'accompagner jusqu'au port. C'était comme une petite fête.

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Ils m'avaient fait une photo sur le bateau et me l'envoyèrent plus tard

J'avait passé la nuit de la traversée sur un Transat, sur le pont du bateau.

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Arrivé à Marseille  je repère mon train de 11heures 40 minutes. Je n'oublierai jamais cette heure. Je monte sur le dernier wagon et dépose mes valises sur le palier qui est devant le couloir des cabines. Quelques minutes passent et une jeune fille aux nattes blondes monte et pose sa valise prés de la mienne. On engage une conversation, et soudain je me rappelle que je n'avais pas envoyé un télégramme, comme promis, à ma mère. Comme j'avais plus d'un quart d'heure devant moi et que le bureau de poste était juste en face de moi, j'ai prié la petite blonde de surveiller mes valises pour quelques minutes. Après avoir envoyé mon télégramme, je revins au quai où était mon train et là, malheur, mon train n'y était plus. Il n'était pas encore 11 h 40. Un des contrôleurs me dit alors qu'il y avait ce jour là, deux trains, l'un partait à 11h 30 et l'autre à 11 h 40, et j'avais laissé mes valises dans celui de 11 h 30 qui est maintenant en route pour Paris. Quel malheur, je viens de tout perdre. Alors sans perdre de temps, je sautai dans le vrai train, espérant naïvement que si je pouvais envoyer un télégramme à la gare finale de Paris, signalant l'heure et wagon du train, ils pourraient récupérer mes valises. Autrement j'achèterai un billet pour le trajet Lyon-Paris, où j'y arriverai quelques minutes plus tard avec le train d'après, pour les récupérer moi même. Finalement j'avais envoyé deux télégrammes à partir de deux gares entre Marseille et Lyon.

Je ne m'étais jamais senti aussi découragé et malheureux comme durant les longues heures passées dans ce train.

Arrivé à la gare de Lyon ; quel miracle,  je vois, à travers ma portière, la jeune fille aux nattes blondes juste dans le train qui était garé sur le quai d'en face. Merci encre une fois à ma Fée. Je saute de mon train, du coté interdit, je passe sur l'espace couvert de gros cailloux et ouvre la portière du train que j'avais raté. J'embrasse instinctivement l'ange aux nattes blondes et prends mes valises. J'ai eu à peine le temps de descendre du train, cette fois du coté "légal", avant que ce train ne quitte le quai et me prend vers Paris. Je rejoins encore plein d'émotions le quai de l'autorail pour Genève.

Durant le trajet vers la Suisse, j'ai essayé de me calmer en pensant à cette Fée qui m'avait sauvé, durant ces deux derniers mois, de tant de mésaventures. Ces épreuves et la chance qui m'avait aidé à les surmonter, ne sont plus revenues avec autant d'intensité et en un temps si court, durant mes années d'études à Anières, Genève. Mon Ange-Gardien avait bien mérité un peu de repos.

Il y a moins d'un mois, j'ai revu, en rêve, ma blonde avec une longue tresse. Elle était aussi belle qu'il y a 60 ans. Elle me demande si je me rappelle encore le train Marseille-Paris, en septembre 1954 ?

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Non  je ne l'ai pas oubliée, depuis 54, et je l'avais cherchée partout, dans tous les trains que j'ai pris de par le monde.

Cette question, douce et cruelle à la fois, fut le début de toutes ces lignes.

Avraham Bar-Shay (Ben-Attia)

absf@netvision.net.il

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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