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De quelques pierres et d’un peu de mémoire : Réflexion sur le sionisme, le peuple juif et la résolution scélérate de l'UNESCO.

Mur du Temple, Jérusalem, Palestine, à la fin 19e siècle.

De quelques pierres et d’un peu de mémoire : Réflexion sur le sionisme, le peuple juif et la résolution scélérate de l'UNESCO.

par

David Isaac Haziza

 

Il y a plein de bonnes raisons pour ne pas être sioniste. Ce propos peut étonner, je dis et je maintiens pourtant, en dépit de ce qu’en pensent beaucoup de Juifs et malgré ce qu’en a dit le Premier ministre Manuel Valls au dîner du CRIF, que l’antisionisme n’est pas intrinsèquement antisémite.

Historiquement parlant, c’est même une évidence. L’oublier reviendrait, si l’on parle de la politique juive d’avant-guerre par exemple, à considérer l’orthodoxie – dans sa grande majorité du moins – et aussi, pour ne citer que deux autres cas, une institution telle que l’Alliance Israélite Universelle qui ne passa que progressivement de son antisionisme farouche au relatif consensus sioniste, et bien sûr un parti comme le Bund, attaché au yiddish, au socialisme et au sol européen – comme antisémites. Marek Edelman, le héros du Ghetto de Varsovie, un Self-hating Jew ? Allons bon !

Quid du philosophe Franz Rosenzweig, aux yeux duquel le judaïsme était fondamentalement étranger à la politique et donc irréductible au sionisme ? Quid de George Steiner, ce monument vivant de la culture juive européenne, pour qui l’identité du peuple qu’il aime tant est affaire de temps et non d’espace ? Après tout, son point de vue fut longtemps bien plus consensuel, chez les Juifs eux-mêmes, que le sionisme, et, qui sait, il pourrait bien un jour le redevenir. Je regrette d’ailleurs, très sincèrement, que l’on réduise le peuple juif, sa spiritualité, sa terre, à un projet politique qui est né un jour, s’est accompli un autre et, comme tout projet de cet ordre, comme toute doctrine en –isme, ne peut que se transformer avec le mouvement de l’histoire, ou disparaître.

Et puis j’admets aussi que l’on questionne la durabilité d’un Etat juif car non, cela ne va pas de soi, j’admets que l’on interroge les rapports, forcément problématiques, de la religion et de la démocratie au sein d’un tel Etat ou, bien sûr, que l’on déplore le tort causé aux Palestiniens par le rêve néanmoins légitime, pour des millions de Juifs en 1948, d’avoir une patrie à eux, sur la seule terre dont ils pussent se prévaloir.

Cela étant dit, Israël aujourd’hui existe et il me semble à vrai dire tout aussi étrange de se dire antisioniste dans ces conditions que, juif, n’avoir que le sionisme pour identité, deux extrêmes qui concernent pas mal de gens hélas en ce début de XXIesiècle.

Admettons toutefois, pour les antisionistes, qu’ils puissent parfois ne pas être antisémites mais seulement « en retard », et qu’ils pensent comme on pouvait penser en 1948 ou avant sans se rendre compte que l’existence d’Israël, sa culture florissante, ses millions de citoyens changent précisément la donne. La vérité est que le plus souvent l’antisionisme est bel et bien le fait d’antisémites mais peu importe : admettons ici qu’il ne l’est pas intrinsèquement, ne serait-ce que pour les besoins de notre raisonnement.

Car il y a bien dans le discours antisioniste un élément, deux à la vérité mais qui en forment un seul, qui est, lui, essentiellement antisémite, et il convient de mettre le reste entre parenthèses pour mieux l’isoler. Jusqu’à présent je ne l’ai pas même effleuré car je n’ai évoqué que des formes « légitimes » d’antisionisme. Quel est-il donc ?

Nier aux Juifs leur qualité de peuple, et nier leur lien à la terre qui les a vus naître : voilà qui est déjà leur faire violence. Voilà qui est déjà antisémite.

La notion d’Am Yisrael, de « peuple d’Israël », n’est pas née d’hier. Elle n’est née ni du sionisme, ni de la modernité. A vrai dire, c’est plutôt celle de « religion juive », de religion tout court d’ailleurs, qui appartient à la modernité : être un « Français de religion juive », de « confession israélite » comme on disait, n’eût jamais été possible ou concevable avant 1791, tandis qu’être un Polonais juif plutôt qu’un Juif de Pologne ne fut possible, si cela le fut, qu’après la Seconde Guerre Mondiale. Cette négation de l’évidence (« Comment le peuple juif fut inventé… ») relève à la fois de la pseudo-histoire et de l’antisémitisme, d’un antisémitisme pour le coup nouveau, contrairement à celui de Soral ou d’une partie de l’extrême-gauche : on ne reproche plus aux Juifs de vivre isolés ou de vouloir contaminer l’Occident, mais de se faire passer pour une entité qu’ils ne seraient pas ! A moins d’ailleurs que ce ne soit là l’ultime métamorphose de la vieille haine paulinienne pour le « particularisme » hébraïque.

Vous me direz que l’identité juive est « construite ». C’est tout à fait vrai, c’esthistoriquement vrai. Et après ? Quelle identité ne l’est pas ? Quel fait culturel n’est pas construit ? Là d’ailleurs réside la distinction que Blaise Pascal opèrerait entre les habiles et les demi-habiles : les uns et les autres savent que les faits culturels (dans le contexte des Pensées, le pouvoir et ses signes) sont construits, qu’ils ne vont pas de soi. Il n’y a d’ailleurs pas à être très intelligent pour savoir que la culture s’oppose à la nature, que la loi est un artifice, que les codes dont usent les hommes n’existent pas de toute éternité, que les symboles et les mythes sont des symboles et des mythes – et précisément, quand les habiles tirent du constat de cette non-naturalité que c’est ainsi et que l’homme vit de signes qu’il partage avec ses semblables et non seulement de « vérités en soi », le demi-habile voudrait, lui, tout balancer par la fenêtre et vivre dans une illusion nihiliste de pureté et d’authenticité.

Shlomo Sand, l’auteur de la vulgate de nos antisionistes antisémites, n’a pas découvert, contrairement à ce qu’il prétend, que l’identité juive était, au moins partiellement, une construction, ni d’ailleurs qu’il y avait eu une foule de conversions au judaïsme durant l’Antiquité. Il ne l’a pas « découvert » car personne, et certainement pas les Juifs, moins encore les sionistes parmi eux, si prompts à chanter la geste du royaume khazar, ne l’avaient caché ! Lui seul, Sand, l’ignorait.

Pourtant, s’il avait ouvert un Nouveau Testament il y a dix ans, lorsqu’il commettait encore d’intéressants travaux sur l’histoire du cinéma, non seulement il aurait peut-être mieux compris Pasolini, mais il aurait encore su que Jésus reproche aux pharisiens d’aller aux quatre coins de la terre pour « faire des prosélytes » ! S’il avait su un peu de latin, cet historien qui apparemment a découvert il y a quelques années l’existence de Tacite, il n’aurait peut-être pas ignoré ce passage où le poète Horace moque la propension des Juifs à « faire entrer dans leur bande » leurs congénères non-juifs, ni cet autre où Juvénal s’horrifie d’un voisin, Romain de souche, converti au judaïsme. Ce n’est certainement pas le grand complot juif mondial qui lui cacha ces choses…

D’ailleurs, s’il avait connu le Talmud et la tradition rabbinique avant de les dénigrer sans autre forme de procès, Sand aurait aussi su que Rabbi Akiba, l’un des plus illustres maîtres de cette tradition, était un descendant de convertis, que Hillel l’Ancien accueillait les païens avec amour et douceur et les amenait ainsi à la Torah, qu’on dit même au traité Sanhédrin que des descendants d’Haman, le persécuteur des Juifs du temps de l’Empire perse, s’étaient faits juifs et étudiaient avec les Sages de Bné Brak. Et s’il avait ouvert une Bible, il aurait su que c’est par ces mots sublimes que l’une des premières converties, Ruth, entre dans la foi juive : « Là où tu iras, j’irai, où tu demeureras je demeurerai, ton peuple sera mon peuple, ton Dieu sera mon Dieu, et là où tu mourras, je mourrai, là on m’enterrera ».

Ton peuple sera mon peuple : le peuple précède Dieu, la transcendance se déduit de cette immanence purement humaine, charnelle ; la conversion au judaïsme est une naturalisation. Voilà pourquoi, sur un noyau ethnique ancien se sont greffés des éléments étrangers, qui ont certes modifié au fil des siècles les traits physiques et le patrimoine génétique des Juifs, mais sans rien toucher à sa qualité de peuple. Les Juifs ne sont pas une « race » pure, ça non plus, Sand ne l’a pas découvert, seuls les nazis pensaient le contraire. Mais ils sont bien un peuple, un peuple unique, et tous les textes dont nous disposons, toutes les récentes études génétiques aussi offrent de quoi renvoyer dos à dos ceux qui croient en la « pureté » de l’ethnie juive, et ceux qui nient à tout prix une quelconque origine commune.

Sand le sait d’ailleurs, qui qualifie de « nazies » ces études : elles ont pourtant définitivement balayé la thèse de la stricte endogamie, autant qu’elles ont permis de retracer, et c’est cela qui lui déplaît, les anciennes pérégrinations d’un peuple en effet parti du Moyen Orient et qui s’est amalgamé par la suite tous les sangs divers qu’il pouvait trouver sur sa route.

Un peuple avec ses propres mythes, mais les mythes et les symboles valent-ils mensonges ? Les mythes sont la vie même d’une âme, collective ou individuelle, sa substance et la matrice de son futur. Le lien à la Terre d’Israël est un « mythe », maisun mythe vrai. Je ne questionne pas, moi, l’ancienneté de l’autochtonie palestinienne : qui sait depuis combien de temps vivaient là les familles exilées de 1948 ? Après tout, la population palestinienne n’était-elle pas, elle aussi, mêlée, diverse ? Et pourtant, nombreux sont aujourd’hui les descendants de ces exilés qui rêvent encore à leur maison, à cette cour hiérosolymitaine où leurs grands-parents prenaient l’air frais du soir parmi les senteurs du jasmin… Je ne nie pas cette absence, loin de moi d’effacer cette souffrance ! Mais pour les Juifs, ce furent deux mille ans de souffrance et d’absence, deux mille ans passés à rêver aux sentiers anciens du Cantique des Cantiqueset aux collines où Isaïe, Jérémie et Amos prêchaient la justice.

Ce qui me séparera toujours des scélérats de l’UNESCO qui ont décidé, quelques jours avant la Pâque juive, « temps de notre liberté », que le peuple qui allait se masser à son pied pour entendre les notes poignantes de la millénaire bénédiction sacerdotale, n’avait en fait aucune légitimité à le faire car ce Mont du Temple et lui n’avaient aucun lien (sic), c’est précisément que moi, je veux voir la complexité de ce lien, son tragique. Je sais bien qu’il en est qui ne voient pas l’Indépendance d’Israël comme une rédemption mais bien comme une « catastrophe » : leur rêve existe et il contredit celui de beaucoup des miens. Un merveilleux documentaire a récemment fait parler dans le monde juif et cinéphilique : Colliding Dreams. Son titre, je crois, dit tout. Il faut le voir pour comprendre à quel point l’histoire est contradictoire, à quel point le passé vit dans le présent, à quel point la simple chronologie est faillible.

Il y a quelques années, j’ai eu l’occasion de voir ce qu’il semble rester de la piscine de Siloé où les Juifs de l’époque du Second Temple (rien à voir avec le Mur Occidental, vraiment ?) allaient puiser l’eau qui servait aux libations de Soukkot. Les chrétiens connaissent ce lieu parce que l’Evangile de Jean rapporte que Jésus y aurait soigné un aveugle.

Ce lieu fut pour moi une rencontre.

Une partie de moi vivait là. Pas tout moi, certes, mais une partie. Ce vieux bassin n’effaçait pas l’Altneuschul de Prague, les Ghettos de Venise ou de Rome, les photos de Roman Vishniac ou les souvenirs du Maghreb, mais, je le sentais, il était derrière tout ça.

Je n’oublierai pourtant jamais que deux enfants s’y baignaient et y jouaient, deux enfants arabes du village voisin de Silwan (qui tire son nom de Siloé, Shiloah en hébreu), comme leurs ancêtres l’avaient peut-être fait pendant deux mille ans ou plus : beaucoup de Palestiniens ne descendent-ils pas de Juifs restés sur leur terre au moment de la destruction du Temple ? Ils jouaient là parce que de même que ce lieu était « chez moi », était moi, il était eux, il était « chez eux ».

J’ignore de quelle solution ont besoin les deux peuples qui se partagent ainsi, irrémédiablement, cette terre de rêves et de sang. Je sais seulement que la paix ne viendra pas tant que l’on se niera de part et d’autre, parfois au mépris de sa propre tradition : c’est le Coran qui le dit, à la sourate des « Enfants d’Israël », les Juifs ont vécu là par la volonté divine. Loin d’avoir fait avancer la cause palestinienne, l’UNESCO n’a fait que jeter sur une mémoire un injuste opprobre, et que justifier aux yeux des bonnes âmes « de gauche » le poignard des assassins, à crisper enfin plus encore ces Juifs qui croient que, décidément, toute critique d’Israël et de sa politique ne peut être qu’antisémite.

Colliding Dreams, réalisé par Joseph Dorman et Oren Rudavsky (2h14)

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