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Delphine Horvilleur, ecrire rabbin au féminin

Delphine Horvilleur, ecrire rabbin au féminin

 

 

 

Cette Nancéienne exerçant à Paris est l’une des deux seules femmes rabbin à officier en France. Bousculant la tradition rabbinique, elle propose une exégèse au féminin des textes religieux. Une voix contre les intégrismes.

J e n’ai pu verbaliser la fonction rabbinique qu’une fois aux États-Unis. » Entre 2003 et jusqu’à son ordination en 2008, Delphine Horvilleur suit à New York le séminaire du l’Hebrew union college. Majoritaire aux USA, où en quarante ans il a ordonné un millier de femmes, le mouvement libéral lui ouvre ainsi les portes à une fonction pastorale, impossible à entrevoir au pays… de Napoléon : « C’est lui qui, en instaurant un Consistoire central, a établi un clergé israélite, rendant impossible tout pluralisme et renforçant la mouvance orthodoxe porteuse d’un rapport plus rigide à la loi juive » , analyse posément rabbi Horvilleur, à l’ombre de la terrasse du café Les Philosophes, au cœur de ce Marais où elle a élu domicile avec mari et enfants.

La rigidité du cadre hexagonal lui a un tantinet compliqué la tâche, l’incitant à quelques détours au tournant des années 90 : des études de sciences médicales à Jérusalem, puis l’école de journalisme du Celsa-Paris… Des débuts à France 2 et une solide maîtrise de l’hébreu et de l’arabe la parachutent grand reporter à Jérusalem, dans la proximité de Charles Enderlin, « le jour du déclenchement de la seconde intifada ».

De cette « période rebelle », où elle ne « fréquentait pas les synagogues », elle conserve le souvenir des montées quotidiennes d’adrénaline, précédant le JT de 20h. Mais leur préfère désormais cet autre stimuli que constitue sa vocation d’animatrice du Café biblique au Centre du mouvement juif libéral de France, dans le XVe arrondissement de Paris. Au Consistoire qui la « tolère », elle objecte invariablement : « Je refuse que ma voix soit kidnappée », mais s’amuse que l’institution lui ait permis de représenter la communauté au sein du Conseil national du Sida, à la demande de François Hollande. À la synagogue de Beaugrenelle, où elle officie, ou dans les pages du trimestriel Tenou’a qu’elle dirige, elle se pose en « traductrice » des textes.

À défaut d’écrire le féminin de rabbin (qui n’existe pas), elle y traque la vraie place de la femme. Son intime conviction : Dieu n’est pas qu’une affaire d’hommes. L’essentiel de l’essai qu’elle vient de publier ( En tenue d’Ève, féminin, pudeur et judaïsme , chez Grasset) prend le contre-pied des fondamentalismes actuels et appuie quelques clins d’œil à la théorie du genre, très en vogue outre-Atlantique.

Entre Nancy et Épernay

« Je voulais développer des voies qui m’ont manqué dans l’enfance », justifie ainsi Delphine Horvilleur. Laquelle soulève les contradictions d’une éducation religieuse tiraillée entre le moule de la tradition, côté maternel, et l’ouverture de la branche paternelle (lorraine) à la République et à la laïcité. Une jeunesse entre Nancy, sa ville natale, et Épernay, berceau du champagne et de Rashi (1040-1105) « l e plus célèbre exégète de l’histoire juive », accessoirement vigneron, l’ont définitivement ancrée dans l’Est de la France.

Épisodiquement, elle retourne sur les traces d’un grand-père autrefois proviseur à Poincaré. L’occasion s’impose alors d’un « pèlerinage à la Pépinière » avec ses trois enfants, dont Samuel l’aîné, 7 ans, refuse de devenir rabbin, « un métier de femme ». Sa mère, elle, leur rapporte le souvenir de Jojo, le chimpanzé. Elle n’a pas oublié non plus son stage de journaliste en PQR effectué à l’agence de l’ Est Républicain à Toul…

Reste ces « voies/voix » manquantes de l’enfance qu’elle cherche désormais à combler. Cette tradition dont elle a décidé de soulever un coin du voile pour en révéler les impasses. « Il faut être capable d’historiciser nos textes. Refuser de les contextualiser, c’est considérer que ma génération n’a plus rien à apporter », plaide celle qui, en contrepoint à l’orthodoxie, aborde « la pensée religieuse » dans l’épaisseur d’« un palimpseste ». Au cœur de sa quête : l’enjeu du sacré, bien sûr.

Un peu de pudeur

À sa manière, elle multiplie les allers et retours « entre l’humain et le texte » consciente de la dimension sacerdotale de son engagement – « Il n’y a pas d’heure pour être rabbin ». Mais que la femme soit réduite à « une altérité menaçante » qu’il faut tenir à l’écart, la révolte : « Comment du Cantique des Cantiques, magnifique chant du désir, en est-on arrivé à pétrifier le féminin en un mauvais genre qu’il faut cacher dans son intériorité ? », s’indigne celle qui incrimine tout autant l’injonction de Saint-Paul de voiler les femmes que celle du Talmud ordonnant de les garder à la maison.

L’actualité des Femen, de la Tunisie aux dérapages de la Manif pour tous, illustre cruellement son propos. Sur le fond, Delphine Horvilleur « rejoint leur combat ». Tout en suggérant une autre voie que l’agit-prop : « Face aux fondamentalistes qui crient d’autant plus fort qu’ils sont vulnérables, personne ne revendique un discours sain de la pudeur », déplore-t-elle, masquant sa colère par un joli sourire.

Xavier BROUET.

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