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Eternelle Jérusalem

 

Eternelle Jérusalem

 

François d'Orcival

 

Depuis sa création, l'état hébreu est engagé dans une course-poursuite avec ses adversaires. Finirait-il par la perdre ? Jérusalem en a tant vu dans son histoire...

 

La ville blanche se détache sur un ciel limpide. En face, le soleil illumine le mont des Oliviers, le jardin de Gethsémani, le cimetière juif, le mont du Temple et la mosquée du Dôme du Rocher. Plus bas, les murailles, les portes, les ruelles se succèdent par paliers successifs. Sur une terrasse nue qui domine ce décor biblique, un groupe de soldats est assis en demi-cercle, garçons et filles, détendus et attentifs, le fusil d’assaut et les chargeurs sur les jambes. Devant eux, debout, une fille en pantalon et tee-shirt, à peine plus âgée : elle seule parle, le doigt en avant, insistante, démonstrative. Elle a tout de l’instructeur, si ce n’est qu’elle ne porte aucun insigne de grade. Leçon de contre-guérilla urbaine, de tactique en milieu hostile ? Pas du tout ; elle donne un cours d’histoire – la Bible, Jérusalem, le peuple juif ; elle dit ce que sont ces murs, ces églises, ces mosquées, ces synagogues, bref, ces quartiers de la vieille ville.

La scène se répète ainsi, de place en place et de groupe en groupe, le matin comme le soir, avec d’autres instructeurs. Séance obligatoire et renouvelée durant le service militaire. Là on n’apprend pas à faire la guerre, mais à comprendre pourquoi cette ville de Jérusalem, aujourd’hui si prospère, si animée, si propre, fut le théâtre de tant d’atroces et sanglants épisodes – et pourquoi, malgré l’apparente insouciance de ces soldats de 20 ans, ce n’est peut-être pas fini.

Michel Gurfinkiel, que les lecteurs de Valeurs actuelles connaissent depuis trente-sept ans, publie un essai au titre volontairement provocant, Israël peut-il survivre ?, dans lequel il passe minutieusement en revue toutes les pièces du procès fait et refait au peuple juif et à l’État d’Israël, sous les angles historique, démographique, stratégique, diplomatique… Et dans la langue admirable qu’on lui connaît.

Depuis sa création, en 1948, Israël n’a pas cessé de se battre. « Avec des fortunes diverses, même s’il a été dans l’ensemble victorieux. Soit pour repousser une agression. Soit pour en prévenir une. » En soixante-trois ans, onze guerres, depuis celle de l’indépendance jusqu’à celle de Gaza, en janvier 2009. Michel Gurfinkiel insiste sur ce trait propre au destin de l’État hébreu : « Être promis à la destruction par les uns, être abandonné à son sort par les autres…» Tragique et extraordinaire destinée que celle de ce peuple identifié à la Bible que rappelle Michel Gurfinkiel : « Le peuple juif garde dans sa mémoire collective d’autres génocides et d’autres trahisons: l’Égypte pharaonique, la Perse achéménide, la Rome d’Hadrien, l’extermination des juifs et des judaïsants d’Arabie, les expulsions d’Angleterre, de France, d’Espagne, les pogroms d’Occident et de Russie, et enfin la Shoah.» Mais pas seulement, puisque, depuis la Shoah, les Israéliens ont dû livrer toutes ces guerres et subir en plus les imprécations des fanatiques de Téhéran pour les « anéantir ».

Ce pays ne couvre que l’équivalent de quatre départements français (21 000 kilomètres carrés) avec une population proche de celle de la Suisse (7,5 millions d’âmes), mais cela ne rend compte que d’une partie de sa réalité physique ; on ne la ressent vraiment que sur place. Du désert du Néguev au nord de la Galilée, on passe des ravins de sable aux champs de blé en moins de trois heures d’autocar ; de Tel-Aviv à la frontière jordanienne, l’avion de chasse survole le territoire dans sa largeur en cinq minutes. Dans les maisons d’Ashkelon et de Beersheba, les habitants ont deux minutes pour descendre dans leur abri quand sonne l’alerte des départs de roquettes tirées par les hommes du Hamas depuis Gaza ; le jour où la folie conduirait les Iraniens à lancer un missile sur Israël, le pays aurait dix minutes pour se protéger et décider de sa riposte…

Israël est en état de veille depuis sa création. Il a été le premier, il y a vingt ans, à mettre au point et à fabriquer ces avions sans pilote radiocommandés à distance, les drones, dont tout le monde parle désormais. Ces appareils patrouillent de jour comme de nuit, en voyant les images de leurs caméras à des centres d’analyse et d’écoute. Les Israéliens veulent savoir à tout moment ce qui se cache de l’autre côté de la colline. Tant de combats ont été livrés entre ces plateaux et ces montagnes à pâturages à brebis qu’ils ont pris leurs précautions. Quant aux pilotes de chasse, l’élite de l’élite, ils ne s’entraînent sur simulateur que pour la forme : leur entraînement, c’est la mission quotidienne, quand ce n’est pas plusieurs fois par jour, en vol par deux ou par quatre, pour dissuader ou pour frapper.

Ce qui a été réuni peut-il être à nouveau séparé ?

Après la guerre du Liban contre le Hezbollah, en 2006, le chef du gouvernement avait réuni ses ingénieurs de l’armement et ses industriels pour leur dire : « Nous venons d’essuyer des pluies de roquettes meurtrières, il faut nous trouver la parade. » Celle-ci n’était pas prête en 2009, quand a eu lieu l’opération sur Gaza pour détruire les positions du Hamas. Maintenant, elle l’est. Les ingénieurs israéliens ont mis au point des batteries de missiles reliées à des dispositifs d’alerte radar hypersophistiqués (voir notre article dans Valeursa ctuelles du 21 avril) permettant d’intercepter les roquettes. En 1991, lors de la première guerre du Golfe, les Américains avaient mis à la disposition des Israéliens, mais servis par des soldats américains, des systèmes Patriot pour détruire en vol les missiles Scud envoyés par Saddam Hussein sur les villes israéliennes. Les Patriot faisaient mouche une fois sur deux. L’autre semaine, neuf roquettes déclenchées par le Hamas devaient s’abattre sur Ashdod ou Beersheba: huit ont été détruites par les batteries du système Dôme de fer. Efficacité à 90%. De nouvelles batteries vont être livrées pour protéger d’autres agglomérations.

Mais à côté de ce barrage antimissile, forcément coûteux (205 millions de dollars la batterie), les Israéliens en ont installé un autre, plus rustique, destiné celui-là à arrêter les attentats suicide et les voitures piégées. Un mur de béton gris cerne la capitale et sépare les territoires palestiniens des terres israéliennes. Ce n’est pas le mur de Berlin mais, depuis sa construction et la mise en place des contrôles au passage des personnes et des véhicules, le nombre des attentats est tombé quasi à zéro (celui de l’autobus à la gare routière de Jérusalem, le 23 mars dernier, a été d’autant plus spectaculaire qu’il ne s’en était pas produit depuis trois ans).

L’État hébreu est ainsi engagé dans ce que Michel Gurfinkiel appelle une « course-poursuite permanente » pour préserver sa sécurité, celle des siens, celle des touristes et des pèlerins en Terre sainte, et protéger le développement de son économie (le PIB est de 200 milliards de dollars). Course-poursuite non seulement en termes de technologie militaire, l’alliance de l’arme et de l’intelligence artificielle, mais aussi en termes diplomatiques et politiques avec les groupes de pression propalestiniens et arabes, qui ont à leur disposition le pétrole, leurs fonds souverains, leurs commandes d’armements… Pas seulement avec eux, mais aussi avec certains cercles américains très influents, pour lesquels Israël représente un obstacle à la paix en Orient, avec les entourages du président des États- Unis, ou même avec les ambitions d’un Barack Obama, dont le second prénom est Hussein, et son projet de ramener l’opinion musulmane dans l’orbite américaine…

Israël peut-il perdre cette course poursuite ? Doit-il se préparer à une douzième guerre qui le submergerait ? « À la fin des temps, dit le prophète Zacharie cité par Michel Gurfinkiel, toutes les nations se ligueront contre Israël. Elles monteront à l’assaut de Jérusalem et prévaudront : “Voici, le jour de l’Éternel arrive […]. Je rassemblerai toutes les nations vers Jérusalem, pour faire la guerre ; la ville sera conquise, les maisons pillées, les femmes violées. La moitié de la ville sera envoyée en exil, mais le reste du peuple ne sera pas retranché de la ville.»

Mais Jérusalem l’éternelle ne porte-t-elle pas déjà sur ses flancs, en son coeur même, les cicatrices des batailles livrées au long des siècles, ces deux vallées comblées par ses remparts ruinés et ses quartiers ravagés ? La ville n’a jamais cédé ni cessé de se rebâtir. Au jourd’hui même, elle est toujours couverte de grues. Les Israéliens continuent de restaurer et de reconstruire. Les Romains bâtissaient, ils construisent comme des Romains.

Le Mur des lamentations, le mémorial de Yad Vashem demeurent les témoins de la désolation et les lieux de la prière et du recueillement. Qui peut croire que ce qui a été réuni puisse être à nouveau séparé ? La grande synagogue du quartier juif de la vieille ville de Jérusalem fut dynamitée par les Jordaniens, en 1948, peu après l’avoir prise. Les Israéliens ont longtemps hésité : devaient-ils laisser l’endroit en l’état comme témoignage des atrocités de notre temps ? Ils ont fini par trancher et, là encore, ils ont rebâti. La nouvelle synagogue, dont les vitraux brillent comme des étoiles, se dresse sur une place toute neuve qui la met en valeur : reviendrait-elle en terre palestinienne ? Et cette commerçante avenue Alrov Mamilla, bordée de boutiques et de restaurants tous plus luxueux les uns que les autres, qui longe la muraille de la vieille ville de la porte de Jaffa jusqu’à l’hôtel King David, devrait-elle aussi retourner aux Palestiniens, comme toute la Jérusalem-Est d’autrefois ? Le monde n’est jamais à l’abri de l’absurde, mais tout de même.

Quand, en 1967, le général Moshe Dayan et son armée de vainqueurs ont décidé de réunifier la ville divisée par l’histoire, ils se sont arrêtés devant le Mur bimillénaire des lamentations ; ils pouvaient gravir le mont du Temple et décider de rétablir les lieux de culte juifs détruits par les Romains et que les musulmans avaient remplacés par leurs mosquées. Il y eut un vif débat sur la question. Moshe Dayan décida de n’en rien faire et de respecter les lieux tels qu’ils étaient ; sa mission, c’était de protéger les lieux saints des trois religions, pas de perpétuer une guerre de religions.

Devant son groupe de soldats, dont les regards se perdent sur le mont des Oliviers, la fille qui fait la leçon connaît par cœur la suite de la prophétie de Zacharie après l’attaque de la ville. « Alors l’Éternel sortira et se battra contre ces nations au jour de sa guerre. » Un séisme fendra le mont des Oliviers en deux. Pendant vingt-quatre heures, il n’y aura « ni pleine lumière ni obscurité profonde ». Puis « des sources s’ouvriront à Jérusalem et leur eau commencera à couler aussi bien vers l’Orient que vers l’Occident ». Et la Cité renaîtra. 

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