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"Frichti" ou l'ambition dévorante de sa créatrice Julia Bijaoui

Mange, ma fille, mange...

 

 

"Frichti" ou l'ambition dévorante de sa créatrice Julia Bijaoui

Par Lucile Quillet

 

 Alors que sa start-up de restauration-livraison vient de souffler sa première bougie, la jeune femme de 27 ans peut déjà s'enorgueillir d'employer près de 200 salariés, d'avoir levé 12 millions d'euros en janvier et de livrer plus de 10.000 plats à la semaine. Le temps d'un déjeuner, rue des Martyrs à Paris, elle nous raconte sa success story.

La "bouffe", une obsession familiale

Yeux pétillants, sourire large. Julia Bijaoui est un produit de la « génération start-up » qui s'est emparé des bonnes opportunités du Net. Après une prépa chez les jésuites à Rueil-Malmaison, la jeune femme intègre HEC, dont elle retiendra surtout la devise, « apprendre à oser ». Véritable usine à idées, elle crée avec une amie le Prix Littéraire des Grandes Écoles, pense un temps monter une plateforme de crowdfunding pour « ceux qui fantasment de posséder un bar », participe au site comparateur de programmes politiques Vox.org, fait son stage de fin d'études chez Birchbox avant d'y être embauchée. C'est dans les locaux de cette entreprise qu'elle rencontre Quentin Vacher, maître de stage, et, depuis, compagnon. « On s'est vraiment autorisés à sortir ensemble quand je suis partie, se souvient-elle. Je voulais depuis longtemps avoir mon propre projet. C'était le bon moment. »

Julia Bijaoui réalise alors un vieux rêve : « travailler dans la bouffe », dont elle peut parler « pendant des heures ». La cuisine, c'est toute une culture dans sa famille, mélange d'Europe de l'Est et de Méditerranée. Son grand-père polonais et sa grand-mère allemande lui ont donné une mère française aux yeux bleus après avoir fui la guerre. La famille juive tunisienne de son père, elle, a dû fuir après l'indépendance du pays. À la table familiale, on chérit une bonne pièce du boucher et les petits tapas. « On construit beaucoup de choses autour de la nourriture dans ma famille, c'est une obsession. Au Maghreb, l'amour passe par la nourriture. Les seuls mots de mon grand-père dont je me souviens sont "Mange, ma fille, mange". C'est sa manière d'exprimer son affection. »

Après Birchbox, où elle officie trois ans durant, Julia Bijaoui travaille au lancement d'un café sur la Seine, puis quitte le navire après six mois, en janvier 2015. « Je pensais pouvoir monter rapidement plusieurs lieux en quelques mois, mais ça aurait pris trois ans, le offline c'est laborieux », explique cette impatiente invétérée. Dans ce rythme éffréné, le couple d'entrepreneurs se retrouve le soir, fatigué, et frustré de ne pas manger des plats bien faits. « On finissait par se faire des pâtes ou commander des sushis ». Or, quand elle ne mange pas bien, Julia Bijaoui est « déprimée ». Quentin Vacher se demande pourquoi il n'existe toujours pas un Picard du frais, plus accessible en termes d'horaires. « Deliveroo existait à Londres, Take It Easy commencait tout juste... Mais la food tech n'existait pas encore en France ». L'idée germe ; le projet a pour nom de code « Frichti », soit un « plat que l'on prépare rapidement », dans le langage familier.

De freelance à patron de 200 salariés

Le concept de Frichti est simple : « On cuisine et livre ce que vous auriez voulu vous cuisiner vous-même si vous aviez eu le temps ». En meilleur, évidemment. Julia Bijaoui pilote le bolide. Quentin Vacher, officiellement co-fondateur, agit comme conseiller et financier. « On ne voulait pas être un site qui vend de la bouffe, mais une marque forte, gourmande, tout sauf aseptisée ». En avril 2015, la « CEO » déniche Lucille Valentin, chef passée par le Royal Monceau et le Faust, qui cherche à « s'attaquer à la table du quotidien ». Les deux jeunes femmes se lancent dans la composition d'une carte, deux semaines avant le lancement. Un ami développeur file un coup de main pour le site. Au même moment, Quentin Vacher lève un million d'euros auprès d'Alven Capital. « Nous n'avions pas de menu, pas de nom définitif, mais nous étions clairs sur ce que nous voulions. »

Pour séduire les clients, les prix doivent être imbattables. « 40% moins cher qu'un restaurant », annonce l'entrepreneuse. Il n'y a pas de petites économies, Julia Bijaoui va s'adresser directement aux petits producteurs. Internalise le service de livraison, qui a pour interdiction de monter aux étages. « On préfère investir sur la qualité de la nourriture, sur ce qui compte vraiment », martèle la stratège. Au final, l'assiette moyenne coûte entre 10 et 12 euros et est livrée avec de jolies cartes de remerciement. Les 8e et 9e arrondissements de Paris en raffolent. Le cheesecake, lesaumon gravelax et la bavette aux pommes grenailles font un carton. Plus de 10.000 plats partent chaque semaine. Sans réelle publicité. Une forte présence sur les réseaux sociaux, quelques posts sponsorisés, et un bouche à oreille ont fait l'affaire.

Le bébé qui devient un monstre charmant

En quelques mois, Julia Bijaoui voit son « bébé » devenir un monstre. L'ex-start-upeuse devient patron d'un peu moins de 200 salariés. « Le marché est gigantesque, ça concerne tout le monde, deux fois par jour, tous les jours », dit-elle, les yeux écarquillés. En janvier 2016, la start-up lève 12 millions d'euros. L'entrepreneuse a une to do list longue comme le bras. Elle doit chercher de nouveaux locaux pour regrouper dans un même cœur battant les équipes logistiques, l'administratif et la cuisine. Celle de 1 000m² de Villejuif, où s'activent les 40 cuisiniers chaque jour, va bientôt être trop petite. « On veut que le commis de cuisine puisse fumer une clope avec le stagiaire social media », fantasme-t-elle.

Julia Bijaoui veut bâtir un empire. De nombreuses start-ups ont déjà failli sous le poids de leur croissance de feu, elle le sait. Qu'importe, elle et son compagnon ont refusé de se fixer un seuil limite. Ces impatients ne parlent pas en années mais en mois. Le prochain challenge : implanter la marque dans plusieurs villes de France et une capitale internationale. Pour cela, il faut s'assurer que les étrangers ne pâtinent pas trop à prononcer « Frichti ». Le travail est inscrit dans l'ADN du couple, qui partage le même (gros) appétit. « Nous sommes encore minuscules par rapport à ce que nous voulons devenir. »

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