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Gilles-Jacob Lellouche, un judéo-tunisien candidat à la Constituante

 

Gilles-Jacob Lellouche, un judéo-tunisien candidat à la Constituante

 

 

 

 

 

Un juif tunisien sur la liste électorale de l’Union populaire républicaine (Upr) ne passe pas inaperçu. Peu ordinaire, l’info fait débat sur le Net et dans les cercles politiques. Par Zohra Abid

Parmi les 8 noms de la liste de l’Upr de Tunis 2, on trouve l’artiste Sadika Keskes à la première place. A la 3e, une autre femme, Boutheïna Mzabi. Et entre les deux on trouve Gilles Jacob Lellouche, un Tunisien de pure souche. Sa seule différence : il est de confession juive. Les Tunisiens sont partagés sur sa candidature, assez inattendue.

Il est Tunisien et c’est de son droit

Interrogée par Kapitalis, Mme Keskes plaide pour son colistier (et concitoyen). Pour elle, il est Tunisien à part entière et la Tunisie se distingue par la diversité et la tolérance. «Nous devons défendre les minorités. Si on veut un Etat juste et démocrate, on n’a pas le droit de regarder si le Tunisien est noir, juif ou chrétien. Sinon on est en dehors de la démocratie et du droit universel», dit-elle, tout en passant en revue le militantisme de M. Lellouche au sein des associations. «Il a toujours travaillé pour le bien des enfants tunisiens sans jamais faire de ségrégation», insiste-t-elle.

Le numéro 3, Mme Mzabi a, elle aussi, deux mots à dire pour contrer certains commentaires déplacés sur le Net (et ailleurs) : «Notre parti est sincère. Du moment où Gilles a la carte d’identité nationale, il est de son droit de faire de la politique. Je ne vois pas pourquoi l’exclure», nous a-t-elle expliqué au téléphone.

La Goulette, jeudi en fin d’après midi. Nous sommes au n° 14 de l’avenue Pasteur, plus exactement au restaurant Mamie Lily. M. Jacob en est le propriétaire. Dans les jardins, l’accueil est méditerranéen avec café turc et tout ce qui suit.

Comment est-il venu à la politique ?

«En tant que Tunisien impliqué directement (et indirectement) dans la révolution à travers Facebook et blog, j’ai vécu au quotidien notre révolution. Je ne peux pas être insensible à ce qui se passe dans mon pays», dit-il. M. Lellouche aime tant participer à l’histoire de son pays, même si ses ambitions sont limitées. «J’ai été contacté par les membres de plusieurs partis dont Ettajdid. Ainsi qu’Ettakatol, mais là dans un esprit d’adhésion. Au final, j’ai choisi l’Upr du Dr Lotfi M’Raïhi. Les membres de ce parti ont eu le courage d’insister pour que je m’implique directement et ouvertement dans leur action», raconte avec enthousiasme M. Lellouche, qui a vite sauté sur l’occasion sans même connaître le programme.

«Au début, ce n’est même pas le programme qui m’a séduit. Mais c’est le parti qui se veut au centre, modéré et contre les extrémismes (de droite ou de gauche) et qui a pour objectif majeur de redresser le pays et de lui redonner un élan pour re-fonctionner normalement à travers des actions concrètes», ajoute-t-il tout en rappelant notamment l’action citoyenne de l’artiste Sadika dans «Chamrou âla dhrahkom» (Retroussez vos manches !), la mise en place des microcrédits et autres actions prometteuses. «En faisant appel à moi, ce parti était déjà en action. Et ce n’est certainement pas pour faire de moi un élément décoratif. Mais plutôt un membre actif dans la vie pratique de ce parti».

L’Upr a le courage de ses idées

L’idée, il la trouve géniale et la démarche courageuse. «Etant de confession israélite, il n’y aura pas d’unanimité autour de ma candidature. L’Upr a le mérite de montrer le vrai visage de la Tunisie pluriculturelle et plurireligieuse».

Quelles sont ses ambitions ? A cette question, M. Lellouche dit qu’il n’en a aucune. Il est déjà impliqué dans le social via Dar Edhekra (la Maison de la mémoire). De quoi s’agit-il ? «L’association a été fondée le 28 février 2011. Son objectif est la sauvegarde et la promotion du patrimoine judéo- tunisien (75% des musulmans et 25% juifs). C’est du boulot. Puis, je sais très bien que je n’aurais pas un siège mais que la classe politique tunisienne puisse donner une place aux minorités. Welleêb thal maâya (le jeu s’est ouvert avec moi)».

Peut-on faire confiance à un juif pour être président ? C’est une phrase qui circule sur Facebook, qu’en pense Gilles ? La réponse a certainement mijoté dans la tête du restaurateur. Calmement, il répond que cette information est à la fois «insultante et inutile». Car, selon lui, notre constitution ne permet pas à un non musulman d’accéder à ce poste. M. Lellouche ajoute aussi, avec un grand sourire : «Lorsqu’on a posé une question à l’ancienne ministre du Sport de France [Rama Yade, Ndlr], en cas d’un conflit entre la France et son pays d’origine, dans quel camp elle se rangerait, elle a répondu qu’elle s’engagerait plutôt avec son pays d’origine. En ce qui concerne les juifs tunisiens, leur pays d’origine est la Tunisie».

Les gens du Livre savent cohabiter

Les islamistes montent dans les sondages, comment appréhendez-vous cette tendance ? Gilles, qui a déjà la réponse sur les lèvres, dit calmement : «L’Islam, de par sa définition, de par ses dogmes et son Livre, a toujours respecté ‘‘Ahl al kitab’’ (les gens du Livre). Qu’est-ce qui viendrait aujourd’hui perturber cet ordre, peut-être des velléités politico-religieuses qui dérangeraient les minorités et l’ensemble des Tunisiens ?». Si les islamistes sont de vrais musulmans, ils doivent savoir que les peuples du Livre ont toujours bien cohabité. Le candidat de l’Upr rappelle qu’il est Tunisien depuis 25 générations et que sa famille paternelle est arrivée en Tunisie avec l’invasion turque. Et dans le conflit palestino-israélien, dans quel camp se rangerait-il ? Réponse : «Sincèrement, que Dieu soit avec eux, je veux dire les Palestiniens».

M. Lellouche est sensible à la cause de la Palestine, mais il a d’autres priorités : s’occuper des affaires tunisiennes et sauver son pays. «Nous avons aujourd’hui un défi, c’est reconstruire ‘‘lebled’’ (le pays) sur des bases solides», dit le militant.

Il est temps de mettre de l’ordre dans la maison et de s’occuper de nos enfants, estime le membre du l’Upr. «Leur offrir une éducation et une formation saine, penser à leur avenir est une priorité. Ceci ne se fera qu’à travers des actions», ajoute-t-il. C’est ainsi qu’on peut assurer l’avenir et la pérennité du pays, dit encore le président de la Maison de la mémoire.

L’histoire n’est pas un long fleuve tranquille

Une autre chose est importante aux yeux de M. Lellouche : apprendre aux enfants l’histoire 3 ou 4 fois millénaire de la Tunisie. L’histoire n’est pas un long fleuve tranquille. «Il y a des moments pénibles que l’on doit également assurer. Ce qui nous blesse et nous fait peur nous rend encore plus forts», insiste-t-il, avant de se tourner vers le futur.

Le militant semble satisfait de la première campagne qui s’est déroulée à la Marsa et à la Goulette (Boussalsla, Corniche, la Goulette, le Kram ouest et environs). «Pendant la campagne, je porte la ''jebbah sakrouda'', verte ou en lin, j’aime bien la tenue traditionnelle de mon pays», dit-il avec un brin de fierté.

Pas très loin du métier de son feu père, le patron de la boucherie La Rose blanche du quartier Lafayette de Tunis, M. Lellouche, docteur en gestion marketing (Paris 9 Dauphine) est tombé par hasard dans la restauration. Divorcé, le père de Joachim (dans les finances aux USA) et d’Ava (dans la restauration à Paris) a auparavant monté Made in La Goulette, un atelier d’artisanat en France. «Dans ce métier de cuisine, on fait appel aux 5 sens», dit-il avec un trait d’humour.

La politique est aussi un métier qui demande de la passion, du bon sens et du courage. Et le judéo-tunisien n’en manque pas.

http://kapitalis.com/fokus/62-national/5798-gilles-jacob-lellouche-un-ju...

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