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J’ai beau me dire… Par Fawzia Zouari

J’ai beau me dire…

Par Fawzia Zouari, Ecrivaine franco-tunisienne

 

 

 

J’ai beau me dire que je n’ai rien à voir avec les attentats terroristes, que je ne peux être comptable des crimes commis au nom de l’islam, je mentirais en disant que la musulmane que je suis n’a pas mauvaise conscience ou se sent hors de cause. J’ai beau être aussi horrifiée devant ces crimes que n’importe quel citoyen français d’une autre confession, je me surprends à marcher le regard baissé dans ce pays que j’ai voulu mien et que l’un ou l’autre de mes coreligionnaires a ensanglanté. Bien sûr que je condamne tous les jours, à chaque instant. Que je m’insurge et clame, non, je ne reconnais pas mon islam là-dedans. Pas plus que je ne reconnais dans cette violence ce que mon père m’a enseigné et qui lui fut enseigné par des générations de fiers et dignes théologiens : «Tuer un seul être innocent, c’est tuer l’humanité entière.» Et pourtant. Je n’entends plus la voix de mon père. Ni son enseignement qui se brouille comme se brouille de larmes mon regard devant les carnages. Ni son pacifisme et sa tolérance battus en brèche par de nouveaux idéologues qui ont tout des fascistes et des sauvages. J’ai beau me dire qu’on m’a confisqué l’islam de mon père, il me faut concéder que mes ennemis invoquent l’islam comme mon père, et se prévalent des mêmes textes pour justicier l’horreur.

J’ai beau tenter de prendre de la distance, ne pas m’identifier au terroriste de Nice. Il est tunisien, et alors ? Il aurait pu être d’une autre nationalité. Parmi ses victimes, il y a aussi des Tunisiens. Mais, que voulez-vous, je ne peux m’empêcher de réprimer un sentiment de déshonneur. Le déshonneur de la tribu. C’est mon compatriote qui a semé la terreur. C’est le ressortissant de mon pays, cette Tunisie pacifiste et raffinée. Ce peuple que les anciennes civilisations ont façonné d’exception, tolérant et ouvert, à qui Bourguiba avait appris la laïcité et qu’il avait envoyé en masse sur les bancs des écoles. Je me souviens des ressortissants tunisiens en France affiliés jadis à des partis politiques de gauche, intégrés dans de grandes institutions, excellents médecins, lauréats de grandes écoles, conseillers à l’Elysée. Je ne me souviens pas qu’ils pullulaient dans les mosquées ni dans les officines gestionnaires du culte musulman. Je ne crois pas qu’ils aient fait sauter un seul engin en France. Jusque-là fameuse Révolution qui a fait émerger les jihadistes et envoyé par milliers de jeunes Tunisiens en Syrie. De sorte que, aujourd’hui, ce petit pays se trouve être le pourvoyeur du plus gros contingent de tueurs de Daech ! Et vous voulez que je me sente bien avec ça ? Que je ferme les yeux pour ne pas voir que celui qui a écrabouillé le ventre de femmes enceintes et démembré de jeunes enfants à Nice se réclame de la même origine que moi ? Que je ne me reconnaisse pas dans ce tueur, alors que mes morts se retournent d’avoir engendré un tel assassin !

L’on a beau me dire que la France a failli et que c’est pour cette raison qu’elle est prise pour cible. Je sais. Sa gestion de l’immigration et de la question musulmane. Le racisme insidieux dont elle peut être capable. Sa compromission avec les régimes du Golfe. Ses erreurs stratégiques et diplomatiques en Syrie. Son soutien aux dictateurs arabes et africains. N’empêche. C’est la France. Ce pays où j’ai choisi de vivre. Qui m’a offert le pain et le sel. La liberté et la paix. Ou ce qu’il en reste. Ce pays à qui mes enfants doivent la plus belle devise de l’Histoire : liberté, égalité, fraternité, laquelle servira de rappel chaque fois qu’en l’homme renaît la bête. Ce pays dans lequel j’étais fière d’être tunisienne parce que je savais combien la Tunisienne que je suis pouvait l’aimer et le respecter toute en restant souveraine dans sa tête. Combien elle se devait d’être loyale à son égard, parce que dans sa tradition l’on doit loyauté à son hôte. Parce que la culture, la beauté et le passé glorieux de ce pays m’ont convaincue de sa grandeur. Parce que ses valeurs m’ont nourrie et que, la France fut-elle tentée de les oublier, c’est moi, la Tunisienne, qui les lui rappellerais. Et voilà qu’un Tunisien combat ce pays à cause des valeurs que j’aime en lui et soutiens. Sommes-nous issus, oui ou non, de la même religion et de la même terre natale ?

J’ai beau essayer d’oublier, d’invoquer les vraies et les fausses raisons, les omissions des uns et des autres, les manquements, les complots, le fait est là, et il est têtu, comme dirait l’autre : Si ce début de siècle se trouve aux prises avec le terrorisme, l’angoisse, l’insécurité, le meurtre des innocents, j’y suis pour quelque chose. Car dans la main barbare qui perpétue le crime coule le sang des miens.

Fawzia Zouari Ecrivaine franco-tunisienne

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