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Je panse donc je prie

 

Je panse donc je prie

 Lucie Aubin

«La religion n’est pas l’opium du peuple, mais son placebo.» Telle une parole d’évangile, Dr. House a soulevé des discussions métaphysiques sur la toile. L’influence des croyances religieuses sur le réel réveille les curiosités, attise les convoitises et titille la science, en particulier quand il s’agit de guérison.

 

Les multiples explications des guérisons inopinées que l’on constate régulièrement ont sans doute de beaux jours devant elles. Le territoire de lieux de culte associés à un pouvoir guérisseur est vaste et son champ d’action sert, en partie, à pallier les lacunes de la médecine actuelle. Dans les grandes religions monothéistes, cela vaut particulièrement chez les catholiques. Pour l’Islam, c’est la volonté d’Allah qui explique maladies et guérisons et le seul vrai miracle est le Coran. Pour la tradition juive, il réside dans la création du monde et sa perpétuation. Cela n’exclut pas les lieux de pélerinage, mais ils sont moins dédiés à la recherche de la guérison qu’à l’affirmation de sa foi personnelle. On y fait donc moins grand cas des bienfaits ressentis suite à une rasade d’eau bue sur place qu’à Lourdes, par exemple.

Les religions polythéistes ont également leurs lieux de culte, parfois fortement associés à la cure. Parmi les plus connus, dans la Grèce antique, le temple d’Asclépios, à épidaure dans le Péloponnèse. Là-bas, la méthode de guérison établissait un lien particulier entre médecine et religion, grâce à la technique de l’incubation: après avoir déposé des offrandes et au terme de quelques jeûne, abstinence et ablutions, on pénétrait dans l’enkoimétérion, pour une petite sieste. Le dieu, apparaissant alors en rêve, guérissait ou prescrivait un traitement médical. En partant, chacun ne manquait pas de laisser un ex-voto, offrande sous forme de bras, jambe, sein, œil en matière plus ou moins précieuse, désignant la partie du corps soignée. Une guérison en partie liée à une intervention extérieure matérielle et avec l’aide de prêtres-médecins, contrairement aux témoignages que l’on retrouve plus tard, du Moyen âge à nos jours, relatant des rémissions soudaines sans que la médecine puisse en déterminer la cause précise.

Miracle scientifiquement authentifié

Chaque saint aurait même ses particularités curatives. Jean Charcot, à la fin du XIXe siècle, dans une étude comparative, avait déjà noté que bien souvent, les saints guérisseurs ont eux-mêmes souffert des maladies pour lesquelles on leur reconnaissait un pouvoir de guérison1. Cette année, le Vatican nous en donne la dernière preuve en date avec un nouveau bienheureux: Jean-Paul II. De quoi apaiser ou attiser bien des crises de foi.

 

Émile Littré, lui, a mis l’accent sur l’effet de masse qui accompagne les témoignages de guérisons miraculeuses. Il l’illustre par cette anecdote: « je ne sais quel médecin du XVIIIe siècle disait à une de ses patientes qui lui demandait si elle devait se servir d’un médicament nouveau que la vogue accueillait: Madame, usez-en pendant qu’il guérit!»2. Cette ferveur encourage la prudence.

Revenons à Lourdes, justement, où un soixante-huitième miraculé a été reconnu cette année, neuf ans après le rétablissement soudain, près de la grotte, de son algie sciatique de topographie S1 gauche. Depuis les malversations qu’a connues l’Église, en particulier au XIXe siècle, le diagnostic des miracles est très surveillé. Lourdes est notamment dotée d’un Bureau des constatations médicales, sur place, et d’un Comité médical international, qui se réunit une fois par an pour étudier les témoignages. Chaque dossier est doublé d’un rapport théologique, étudiant le contexte spirituel dans lequel a eu lieu la rémission. Un bouclier contre la subjectivité relative au témoignage, pour constituer une défense contre les sceptiques. Ainsi depuis les apparitions de la Vierge en 1858, 1 % des 7 000 déclarations de guérison a été reconnue comme miraculeuse.

Serpent et Hippocrate

Effet de groupe et ferveur collective ont donc leur rôle à jouer. Patients-dévôts, médecins-prêtres, aides-soignants-intercesseurs, témoins-conteurs... les acteurs des miracles sont plus nombreux que les seuls dieux ou saints guérisseurs. Leur accompagnement n’est pas anodin, et favorise une inclination psychique positive. On parle souvent d’auto-suggestion, d’entraînement inconscient, qui induirait un effet sur le corps, autant que l’effet relaxant, récemment attesté3, de la prière. Les témoignages, surtout anciens, ne précisent pas toujours dans quelles conditions sont intervenus les changements d’état, mais les suppositions se succèdent selon les époques et les explications interviennent encore a posteriori, à mesure des évolutions de la science.

Nul n’est encore totalement détaché d’une mémoire collective initialement religieuse : le dieu Esculape et son emblème, le caducée, hantent encore la médecine d’aujourd’hui. Sur les logos des professions médicales contemporaines, son animal totem s’enroule à loisir autour d’une coupe pour les pharmaciens, d’un miroir pour les médecins, d’un microscope pour les laboratoires, d’un diapason pour les audioprothésistes, d’un utérus de femme enceinte stylisé pour les sages-femmes... De même, c’est encore au nom de son plus illustre prêtre-guérisseur, Hippocrate, que les médecins prêtent serment. à quand les murs aseptisés des hôpitaux, ornés de poèmes, dessins, colliers d’appendicites ou sculptures au scalpel pour honorer les guérisons et encourager la foi des patients?

1. Jean Charcot, La Foi qui guérit, Ed. Félix Alcan, Paris, 1897.
2. émile Littré, à propos du miracle : « Un Fragment de médecine préventive », in La Philosophie positive, 1866.
3. Harold Koenig, Religion et santé, Oxford University Press, 2001

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