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Judaïsme: les mouroirs de l’exil – Par Rony Akrich

 

Judaïsme: les mouroirs de l’exil – Par Rony Akrich

 

 

Rabbi Yehouda Halevy (1086-1142) vécut en Espagne et écrivit un ouvrage cardinal: le « Kouzari » dont le thème est la recherche théologique de Boulan roi des Khazars, il reste l’un des géants parmi les penseurs juifs du Moyen Age. Ce royaume des Khazars a en effet existé durant deux siècles jusqu’en 970 et fut gouverné par des rois juifs.

Son souverain, Boulan, pressé par les missionnaires chrétiens, choisit finalement le Judaïsme, c’est ce choix que Rabbi Yehouda Halevy relate et illustre au travers des débats entre le Kouzari, Boulan, et le Sage juif. L’extrait suivant concerne la valeur d’Eretz Israël (chap. II, 10-24):

« Tu me couvres de honte, roi des Khazars, et c’est là la faute qui nous a empêché d’assister à la réalisation de ce que D.ieu nous a promis à l’époque du deuxième Temple, comme il est dit « chante et réjouis-toi, fille de Sion »

Tout en admettant le mérite d’Eretz Israël, les Juifs se défendirent d’abandonner les terres de l’exil. L’Esprit Divin aurait pu revivre, s’ils avaient tous souscrit à ce retour en Israël, mais seule une faible frange décida de rentrer à la maison. Les masses et leurs chefs subsistèrent en Babylonie alors que seules quarante mille d’entre eux prirent le chemin d’Israël. Les rabbins, les sages, les riches choisirent l’exil et la servitude, un joug étranger et exclurent tout abandon de leurs habitations, de leurs possessions.

A ce propos, le roi Salomon écrit : l’Eternel s’adresse à Israël « Je dors et mon cœur est en éveil, la voix de mon bien-aimé m’appelle avec force: ouvre-moi, ma sœur, ma compagne, ma toute parfaite, car ma tête est couverte de rosée, mes boucles – des embruns de nuit ». Et la bien-aimé de répondre: « J’ai enlevé ma tunique, la remettrai-je? J’ai lavé mes pieds, les souillerai-je à nouveau ? Mon bien-aimé a passé sa main par une lucarne, mes entrailles s’en sont émues « .

L’exil est surnommé sommeil car lorsqu’un homme dort, ses sensations, ses capacités et ses résistances corporelles sont anéanties, de même Israël dans son exode. L’essentiel de sa vitalité lui manque et la pratique intégrale de l’essence des mitsvot lui fait défaut. La constance de la Prophétie se définit comme un « cœur en éveil » car malgré le sommeil, tout ne s’est pas interrompu, le cœur poursuit son activité; une fonction réservée aux Prophètes de l’exil, mémoire d’Israël. « La voix de mon ami frappe », c’est le signe de l’Eternel pour que débute le retour en Eretz Israël. « Car ma tête est couverte de rosée’’, l’Esprit Divin émerge des opacités de la nuit comme un homme patientant au-dehors, à l’aurore, ses cheveux ruisselant de rosée, ainsi l’esprit Divin évincé du Temple, sa demeure, espère le retour de ses enfants.

« J’ai enlevé ma tunique « , image allégorique de leur fainéantise à retourner au pays, ils ne sont plus que des êtres-objets des matins gras où la paresse les laissera dénudés. Ainsi les Juifs de l’exil qui n’appréhendent pas l’appel Divin, allèguent toutes sortes d’arguments dénonçant leur souhait de ne pas se déterrer des tranchées qui leur sont si communes. « Mon bien aimé a envoyé sa main par la lucarne », c’est Ezra, Néhémie ainsi que les Prophètes, Hagaï et Zacharie, ceux-là même qui les ont encouragés au départ, pour qu’enfin un contingent limité se mette en marche. Il s’agit d’une approbation relative à leur impératif, aussi les événements ne s’accompliront que sommairement; en conclusion l’esprit Divin n’accompagne l’homme que suivant ses engagements. S’ils avaient été disposés, en lieu et place, à rejoindre l’Eternel avec un cœur probe et une âme satisfaite, ils auraient pu jouir d’une réelle délivrance comme aux temps de la sortie d’Egypte. »

« Quant à nos prières « prosternez-vous à Sa montagne sainte » et « prosternez vous à Ses pieds » et « qui ramène Sa présence à Sion Ce ne sont que des babillages d’étourneaux réitérés machinalement, sans que nous réfléchissions à ce que nous articulons, ainsi que tu l’as dit, roi des Khazars. »

Rabbi Yehuda Halevi ne s’est pas satisfait d’une banale protestation philosophique sur la valeur d’Israël; il a aussi rédigé des odes pleines d’amour incandescent pour Israël (les Sionides) dont certaines ont été ajoutées à la liturgie des jours de lamentations. L’écriture ne lui suffisant point, il décide de rejoindre cette Terre qu’il adule tant et ce malgré les dangers inhérents à un voyage vers Jérusalem, alors aux mains des cruels croisés. La légende raconte que lorsqu’il arriva au Mur des « Lamentations », embrassant la pierre, l’inondant de ses larmes et déclamant une « sionide », un cavalier arabe, jaloux de son zèle et de son amour, l’écrasa.

« L’exil est un cimetière », ainsi le Gaon de Vilna définit-il la « galout ». Les Juifs s’apparentent aux ossements desséchés de la vision d’Ezéchiel. Bien sûr on ne peut s’empêcher de penser à la Shoah après le génocide d’un tiers des communautés juives, mais aussi du fait que cette extermination physique se prolonge aujourd’hui encore par un massacre identitaire. L’assimilation crie victoire là où nos adversaires les plus monstrueux ont échoué, les communautés juives, en perte d’identité, succombent peu à peu, les unes après les autres. Israël demeure le seul véritable terroir des fruits de la passion éternelle entre Israël, sa Terre et son D.ieu permettant au Judaïsme de se développer vraiment. Lentement mais sûrement, les voila redevenir les Hébreux tant attendus pour ce qu’ils doivent être et ce qu’ils doivent devenir, pour la plus grande gloire de l’Humanité toute entière.

Nous sommes des récidivistes, par deux fois déjà nous avons revendiqué, outrageusement, le droit de demeurer en exil afin de nous éviter une perte de « foi ». Une première à l’époque de Moshé, lors de la sortie d’Egypte, après avoir assisté à la révélation de D.ieu au Sinaï et reçu la Torah, après avoir vécu ce qu’aucun Prophète n’aura jamais vécu, le peuple se prépare à pénétrer en Terre promise.
Mais juste un détail, ne pourrait-on pas voir de plus prés la marchandise et dépêcher des explorateurs-espions?

Les individus choisis pour cette mission ne sont pas les premiers venus, il s’agit des dirigeants-maitres et sages des tribus, en clair ce sont des sommités religieuses distinguées parmi les Hébreux. La Torah atteste qu’avant d’être appelés à cette opération en Israël, ils étaient tous d’une honnêteté spirituelle éminente.

Dès leur retour de Canaan, c’est la catastrophe.

Les explorateurs exhortent le peuple à s’éloigner de la terre d’Israël.

C’est une terre, disent-ils, à haut risque pour nous, matériellement et surtout spirituellement. A peine arrivés il nous faudrait labourer la terre, fonder et former une armée, gouverner et conduire une destinée nationale extraordinaire.

A ce jour et dans ce désert, nul besoin de besogner, la manne est notre subsistance courante et elle nous tombe du ciel, les nuées bienfaitrices nous protègent de tous maux. Le peuple est maitre de son temps et peut donc se consacrer à l’étude de la Torah, à l’exécution minimale des prescriptions concernant le vécu individuel. L’arrivée en Terre sainte entrainerait probablement une moindre disponibilité à l’étude de la Torah, Il faudrait vivre une existence plus normative de créatures accompagnées d’un ensemble de difficultés conséquentes à cette nouvelle réalité. La vie ne serait plus surnaturelle comme dans le désert mais la nature voulue par le Projet divin reprendrait ses droits. Il n’y a donc aucune raison de monter en Israël et qui plus est de risquer de devenir moins « religieux »! Mieux vaut rester dans le désert.

En définitif, Moshé communique le Décret divin et résout le tourment. Nonobstant les dangers, on doit monter en Israël. La valeur d’Eretz Israël est plus substantielle que les périls de l’exil.

À partir du jour de cette trahison, nous allons commencer à rembourser les retards de l’Histoire que nous provoquons, de notre révolte contre le Projet Divin.

Les explorateurs sont anéantis par D.ieu, le peuple n’a plus de légitimité pour entrer en Israël, toute cette génération traîne durant quarante ans dans le désert pour y périr sans appel année après année.

Qui plus est, cette nuit de lamentations, de mutinerie contre le Projet Divin de rentrer en Israël sera déclarée comme « nuit de malheur ».
C’est Ticha Béav.

La journée où les Temples seront abattus, Jérusalem démolie, la révolte de Bar-koh’ba mâtée totalement. C’est ce jour que l’inquisition espagnole parvient à son faîte, en 1492 etc…

Une seconde fois, après la destruction du premier Temple, les Juifs se serviront de cette même raison fallacieuse.

La nation est déportée vers l’exil babylonien, le Prophète Jérémie annonce que ce dernier durera soixante-dix ans. Le roi de Perse, Cyrus, permet aux Juifs de rentrer en Israël, Ezra le scribe prend la direction spirituelle de ce retour mais peu d’entre nos chers exilés sont prêt à le suivre. Le Talmud nous informe que les quelques dizaines de milliers de personnes qui ont rejoint Ezra ne faisait pas partie des communautés de stricte observance, la plupart était même d’une hérédité hasardeuse.

Les sages parlent d’une situation religieuse catastrophique en Israël, si terrible que le pays aurait dû être changé en statut de sel, comme à Sodome et Gomorrhe. Au contraire d’une Babylonie où les Juifs continuent de suivre une pieuse existence.

Y-a-t-il une seule bonne raison de monter en Israël et de nous retrouver au milieu de tous ces mécréants? Faudrait-il risquer de se perdre encore une fois! Demeurons en Babylonie!

Le Rav Naftali Tsvi Yehuda Berlin élucide ainsi un extrait du Cantique des Cantiques. L’amant, c’est-à-dire D.ieu frappe à la porte de la maison d’Israël, du peuple juif, l’appelant à monter en Israël. Mais la bien-aimée s’excuse: « Je me suis lavé les pieds, comment pourrai-je les salir… « . Le Natsiv traduit le propos de la façon suivante: « Je me suis lavé de l’idolâtrie, comment retournerai-je donc en Israël m’y salir à nouveau! »

Vraisemblablement, les événements vont donner raison aux Juifs de Babylonie. Le peuple en reconstitution ne se comporte pas comme il devrait, le temple ne rayonne pas tel que celui d’antan. Et pourtant, le Dessein divin est bien de ramener Ses enfants au bercail, les conséquences de ce refus seront dramatiques, nous le savons.

L’absence des Juifs de Babylonie, comme le signifie le Talmud, fera des fondations du Temple un socle altéré, un Temple sans devenir. En fin de compte, cette Alyah a tout de même offert des suites essentielles puisque la génération des Tannaïm, rédacteurs de la Michna qui est l’âme de la loi orale, en est l’origine inattendue et stupéfiante. Cette recomposition religieuse ne fut possible à long terme que grâce aux efforts de ceux qui s’engagèrent et adhérèrent au Projet Divin du retour.

La responsabilité d’Abraham est d’engendrer un grand peuple, non point quantitativement, il lui faudra constituer une nation idéale, juste, morale, divine, des êtres de valeur.

Concevoir une nation représentative, seul le peuple d’Israël en est capable.

Pour atteindre ce but, il y a une exigence primordiale à laquelle il faut satisfaire: « Va vers le pays que je te montrerai ». Édifier ce peuple idéal n’est concevable qu’en Eretz Israël, il serait irréel et irréalisable de penser matérialiser la mission, proposée par l’Eternel D.ieu d’Israël, aux sources d’un autre terroir.

Cette terre, choisie par D.ieu lui-même, est singulière, elle recèle en son sein des Attributs divins uniques. Il s’y manifeste aux Juges, Rois et Prophètes, et si jamais un homme prophétise en exil, c’est que l’essence de son propos concerne uniquement Eretz Israël.

Cette Terre a une sainteté incomparable.

Le verbe vindicatif, ce « vas-t-en vers le pays », ce « Je ferai de toi un grand peuple », nous concerne tout un chacun, principalement de nos jours.

Après avoir survécu aux longues traversées des nuits de l’exil, voici venu le temps des retrouvailles avec la famille perdue et le foyer disparu, là où il est enfin et seulement possible de s’affirmer de nouveau comme un peuple, une nation normale. Il nous est accordé l’opportunité de réaliser ce peuple idéal et nous devons remplir cette mission.

Notre génération, plus que jamais, peut matérialiser ce rêve millénaire, mais pour cela nous devons affirmer concrètement notre relation au Peuple, à la Terre et à la Torah d’Israël. Dorénavant il nous est interdit de nous cacher la face derrière des faux fuyants insidieux et pernicieux.

Vouloir rester dans les mouroirs de l’exil, c’est mal!

Par Rony Akrich 

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