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Juifs et musulmans : face à l'intégrisme, tout espoir de relations harmonieuses est-il perdu?

 

Juifs et musulmans : face à l'intégrisme, tout espoir de relations harmonieuses est-il perdu?

 

Par le Pr Francis Weill, délégué du CRIF pour Besançon/ Franche-Comté

 

La tuerie de Toulouse représente un tournant dans la prise de conscience du danger de l'islamisme en France : oui, il existe bien des terroristes islamistes de nationalité française. Nous le savions d'ailleurs, sans vouloir l'admettre, depuis l'affaire Kelkal. Or les rejets de l'esprit extrémiste ne se développent pas sans qu'existe un terreau fertile. Ce terreau n'existe pas seulement au sein de l'intégrisme militant ; c'est bien pourquoi les réactions des institutions musulmanes ont été si décevantes pour ceux qui ignorent tout de la nature de l'islam, c'est-à-dire de son armature : le Coran. Sachons le reconnaître : il n'y aura pas de progrès dans les relations entre juifs et musulmans sans analyse objective de l'assise de nos relations : il faut avoir le courage d'ouvrir les yeux et d'explorer au laser les données religieuses.

 

Il faut donc enfin oser définir ce terreau : c'est l'étude intégrale, pas seulement intégriste, du texte sacré de l'islam ; celle aussi les documents qu'il inspire, comme la charte du Hamas, qui revendique hautement son inspiration coranique. Or cette charte n'est pas celle d'une petite secte locale gazaouite : c'est la charte de l'immense mouvement intégriste des Frères musulmans, qui arrive au pouvoir dans une grande partie du monde arabo-musulman, non sans conséquences universelles : pour beaucoup de fidèles, partout, les opinions des Frères sont en passe de devenir un logiciel de référence. Or le Coran et cette charte, lus, enseignés et propagés avec la fidélité que tous les intégrismes, tous les piétismes ont accordé partout et de tout temps à leurs textes fondamentaux, sont des textes férocement anti-juifs, dans lesquels la violence est loin d'être rejetée.

 

Qu'on en juge par quelques citations, extrêmement restrictives par rapport à un corpus beaucoup plus large :

 

''Dis à ceux qui ont reçu l’Ecriture : Pourquoi nous fuyez-vous avec horreur ? Est-ce parce que nous croyons en D., à ce qui nous a été donné d’en haut et à ce qui nous a été envoyé antérieurement, et que la plupart d’entre vous sont des impies ? Dis-leur encore : Vous annoncerai-je en outre quelque chose de plus terrible relativement à la rétribution que D. leur réserve ? Ceux que D. a maudits (les juifs), ceux contre lequel Il est courroucé, qu’Il a transformé en singes et en porcs, ceux qui adorent Thagout, ceux-là sont dans une situation plus déplorable et plus éloignés du sentier droit. Coran, 5 :59-60.

 

Faites la guerre à ceux qui ne croient point en D. ni au Jour dernier, qui ne regardent point comme défendu ce qu’ont défendu D. et son apôtre, et à ceux d’entre les hommes des Ecritures qui ne professent pas la vraie religion. Faites-leur la guerre jusqu’à ce qu’ils payent leur tribut de leurs propres mains et qu’ils soient soumis. Coran, 9 :29.

 

Enfin une Hadit (parole du Prophète, citée dans l'Article 7 de la charte du Hamas) : Le Prophète, qu'Allah le bénisse, a dit : « Le Jour du Jugement dernier ne viendra pas avant que les musulmans ne combattent les juifs, quand les juifs se cacheront derrière les rochers et les arbres. Les rochers et les arbres diront, O Musulmans, O Abdallah, il y a un juif derrière moi, vient le tuer. »

 

Ces paroles terribles sont portées par l'armature même de la foi musulmane, elles relèvent pour l'orthodoxe musulman de la révélation et de la volonté divines. Il en résulte que, pour les piétistes de l'islam, la haine des juifs peut devenir un acte de foi et pour certains une ardente obligation. Que nos amis chrétiens ne s'imaginent pas être à l'abri de ces propositions violentes en raison de leur foi propre : les chrétiens ne sont pas oubliés par le Coran; leur foi en l'incarnation en fait des blasphémateurs ; et le christianisme lui-même est une imposture: ''Ils (les juifs) ont inventé contre Marie un mensonge atroce. Ils disent : « Nous avons mis à mort le Messie, Jésus, fils de Marie, l’apôtre de D. ». Non, ils ne l’ont point tué, ils ne l’ont point crucifié. Un autre individu qui lui ressemblait lui fut substitué''. (Coran, 4 :171). De plus, pour un intégriste musulman, pour un Frère, toute personne non musulmane est un ''croisé américano-sioniste.

 

Par ailleurs les textes anti-juifs que nous avons cités démontrent que l'enseignement de la haine a largement précédé le conflit palestino-israélien, si souvent invoqué : ce conflit en est l'effet et non la cause.

 

L'objectivité nous impose cependant de souligner que dans une frange du monde de l'islam, notamment chez les Soufis, les passages violents du texte sacré font l'objet d'interprétations ; cette facette de l'islam estime en effet que le Coran a été ''créé'', qu'il est donc marqué par la personnalité du Prophète soumis aux vicissitudes de l'Histoire. Dès lors le Texte perd une partie de son caractère inaltérable. Au contraire, pour les tenants de la lecture intégrale, le Coran est ''incréé'', entièrement divin et donc gravé dans la pierre inaltérable du sacré absolu. C'est parce que la majorité du monde musulman tient le Coran pour incréé que l'on entend si peu de critiques arabo-musulmanes du terrorisme islamiste, en France comme dans le reste du monde.

 

C'est une règle générale du monde de l'intégrisme que l'intégriste le plus intégriste s'autoproclame normatif ; si bien que celui qui oserait prôner une lecture raisonnée et raisonnable de son texte sacré s'expose à être proclamé hérétique. C'est pour cela que les quelques imams modérés français sont condamnés à ne se déplacer qu'entourés de gardes du corps. C'est pour cela aussi que, dans notre propre milieu communautaire, les critiques rabbiniques à l'égard des intégristes juifs de Bet Chéméch et d'ailleurs sont si timides – alors que ces égarés, en oubliant les fondements de l'éthique juive, se sont placés en dehors du judaïsme. Nous ne pouvons exiger de nos interlocuteurs musulmans qu'ils condamnent avec fermeté leurs intégristes sans que nous ne fassions de même à l'égard des nôtres. Ceci dit, il convient de préciser qu'en dehors de quelques points de rencontre l'intégrisme juif et l'intégrisme musulman ne sauraient être comparés, ceci pour deux raisons. L'une est éthique: le martyr juif se laisse tuer, mais ne tue pas. Et, de façon générale l'intégrisme juif est un intégrisme ''fermé'', qui ne cherche pas à imposer son orthodoxie au reste du monde. Il n'opère que dans son environnement juif immédiat. Au contraire l'intégrisme musulman est un intégrisme ''ouvert'', dominateur et conquérant.

 

Voici dix ans que des bonnes volontés cherchent à établir un dialogue judéo-musulman. Ces efforts ont-ils été couronnés de succès ? Guère. Pourquoi ? D'abord parce que le mouvement est parti des juifs et non des musulmans. Une véritable amitié ''judéo-musulmane'' ne naîtra que lorsqu’elle sera ''islamo-juive'', initiée par des musulmans. Et surtout, telle qu'elle a été inaugurée, l'amitié ''judéo-musulmane'' ne s'adresse qu'à des minorités peu représentatives : les Soufis et leurs sympathisants d'une part, et d'autre part des musulmans laïcisés, souvent ignorants du Coran (''décoranisés'' et ''désislamisés'') (1). Dans un courant majoritaire orthodoxe, ces minorités n'osent guère s'exprimer, ce qui enlève encore de l'efficacité à ces efforts relationnels. A l'inverse, nos efforts seraient sans espoir en interpellant des intégristes pour qui nous n'avons pas droit à l'existence. Nous devons donc définir un nouvel objectif relationnel et une nouvelle démarche opérationnelle : il nous faut, à mon sens, nous tourner vers l'orthodoxie musulmane. Bien sûr ce sera difficile : parce qu'il est installé dans sa propre théologie substitutive (''La religion de D. est l’islam'', Coran 3 :17).l'islam fait de nous des rebelles coupables d'avoir refusé l'illumination de la vérité ultime.

 

Pour cette nouvelle étape, il faudra nous souvenir, pour les imiter, des débuts de l'amitié judéo-chrétienne. En 1947, à Seelisberg, des juifs et des chrétiens s'étaient réunis autour de Jules Isaac, qui avait fait l'inventaire et de l' ''Enseignement du mépris'' et du ''Bréviaire de la haine''. Ils entendaient affronter le deuxième Testament pour y recenser les passages anti-juifs, qui sont nombreux (rappelons-nous l'accusation de déicide) ; et, si c'était possible, pour les corriger, ou, à défaut d'une correction formelle, pour en réorienter la lecture et l'enseignement. C'est ainsi qu'est née l'amitié judéo-chrétienne: non dans une fraternité conviviale de façade, mais dans l'examen objectif des mots et des phrases blessantes. C'est grâce à cette démarche qu'enfin l'éducation religieuse des jeunes catholiques a cessé d'être anti-juive ; et c'est ainsi qu'est né le mouvement qui a conduit au concile Vatican II.

 

Il est donc impératif d'obtenir que nous puissions nous réunir, juifs et musulmans, autour des versets dits ''terribles'' du Coran et de certaines Hadits. Nous pourrons nous aussi contribuer à cet effort : l'islam peut être heurté par le traitement que la Torah réserve à Hagar et à son fils Ismaël, symbole et source de l'islam (Gn. 21) ; nos maîtres en étaient bien conscients, puisqu’une tradition midrachique (Ex. R. 3 :2) cherche à atténuer la force de ces passages. Nous devrons donc nous aussi nous montrer capables de révisions déchirantes. Cette démarche nouvelle est notre dernière chance pour que des relations apaisées, réellement apaisées, s'établissent ailleurs que dans un cercle restreint.

 

Mais si nos interlocuteurs refusaient de s'engager dans cette démarche, au nom du caractère ''incréé'' de leur texte sacré, la situation deviendrait, hélas, claire. Cela voudrait dire que l'islam institutionnel, simplement orthodoxe, au sens de l'orthodoxie juive, soutient l'enseignement anti-juif de sa religion, enseignement qui infiltre sa culture très au-delà des mosquées. Cela voudrait dire qu'en refusant de renoncer à cet enseignement de la haine, l'islam renoncerait à en condamner la dérive ultime, logique, qui est le terrorisme actif. Dès lors le traitement du problème des textes religieux anti-juifs de l'islam devrait passer à un autre niveau : celui du crible laïque, celui de la légalité républicaine, celui de l'application de la constitution de notre république, processus nécessairement pris en main par les autorités de l'Etat.

 

Bibliographie personnelle :

Lettre sur l'antisémitisme, autopsie des mythes de la haine, éd. du Cosmogone, Lyon, 2005

L'éthique juive en Dix Paroles, un Choulhan aroukh de l'Ethique, éd. MJR, Genève, 2006

Dictionnaire alphabétique des sourates et versets du Coran, éd. l'Harmattan, Paris,

2008

L'intégrisme, le comprendre pour mieux le combattre, éd. l'Harmattan, Paris, 2012

 

Note : Plus d'une fois des auditeurs musulmans de bonne foi m'ont prétendu que les ''versets terribles'' ne figuraient pas dans le Coran !

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