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L'éditeur tunisien Moncef Guellaty

L'éditeur tunisien Moncef Guellaty

 

 

 

Par Laurent Ribadeau Dumas 

 

 

Moncef Guellaty est éditeur et membre fondateur de la section tunisienne d’Amnesty International. Il vient d’écrire «Tunis, le pouvoir piégé par la Toile» (Michel de Maule), petit livre très intéressant sur la Révolution tunisienne. Un évènement qu’il raconte avec beaucoup d’humour et d’émotion.

 

Vous expliquez que la jeune génération a réussi «là où nous avons échoué», nous la «génération des soixante-huitards» ? En quoi ?

Mai 68 a représenté une évolution intellectuelle au niveau mondial. Mais si au final l’esprit de 68 a changé certaines choses dans la vie privée, il n’a pas réussi à changer la société. Ma génération a donc échoué. Avant 2011, le mouvement des droits de l’homme n’arrivait pas à exploser : on y trouvait toujours les mêmes têtes. S’il y avait un jeune, il ressemblait toujours à quelqu’un de plus âgé, preuve qu’ils étaient de la même famille.

Le 14 janvier 2011, tout a été différent. Dans les manifestations, les gens ne se ressemblaient pas car il y avait beaucoup de monde, notamment des jeunes. La preuve que les rassemblements représentaient une partie importante de la société. On sentait que quelque chose allait se produire. Aujourd’hui, on peut donc dire que si les jeunes, en renversant la dictature, ont réussi là ou nous avons échoué, c’est qu’ils ont des parents de meilleure qualité que nos propres parents, à nous les soixante-huitards !

 

Vous revenez longuement sur le rôle des médias numériques. Ont-ils fait la Révolution ?

En soi, les technologies modernes n’ont rien fait. C’est comme une toile d’araignée ; ce n’est pas la toile qui la tisse mais l’araignée ! Les médias numériques ont permis aux gens de s’organiser, de transmettre et de diffuser l’information alors que la presse locale était très muselée. Ils ont créé les conditions de la Révolution.

En Tunisie, on dit à propos de Bourguiba [le « père » de l’indépendance, NDLR] qu’il a été déposé en 1987 par ceux-là mêmes à qui il avait appris à lire. En l’occurrence, celui qui l’a renversé, Ben Ali, adorait internet et passait tous les jours 4 h sur la Toile. Il a été déposé par ceux à qui il a appris internet!

 

Vous expliquez que quelles que soient les incertitudes sur l’avenir, «la pratique du débat démocratique est devenue une donnée du paysage politique». Tout cela ne pourrait-il pas être remis en cause par les succès du parti islamiste Ennahda aux élections d’octobre ? Et aujourd’hui, comment voyez-vous l’avenir ?

Vous savez, l’immense majorité des Tunisiens n’a jamais reçu de culture politique. Du temps de la dictature, ils ne connaissaient que la religion musulmane, qui prend l’individu entièrement en charge. Celle-ci est donc un facteur identitaire. Et quand subitement, on leur a dit «Vous êtes des citoyens, vous devez choisir un bulletin de vote», il y a eu une espèce d’angoisse. Ils ont choisi Ennahda par méconnaissance de tout le reste. C’était donc plus un choix par défaut qu’un choix réel.

D’une manière générale, ce que je vois, ce que je vis m’angoisse. Par exemple quand on me raconte que des voyous ont coupé les doigts à un autre voyou. Ils n’ont pas dit qu’ils ont fait cela pour appliquer la charia. Mais tout le monde a compris… Dans le même temps, d’autres faits viennent contredire ceux-là. Notamment telle émission de télévision où l’on voit débattre, pendant une heure et demi sur un même plateau, des dirigeants communistes, un ministre de gauche, un responsable salafiste…

Je suis un peu comme Emile Habibi, écrivain israélien d’origine palestinienne, qui se définissait comme un «peptimiste», à la fois pessimiste et optimiste. J’évolue continuellement entre les deux états. Tout en étant conscient que quoi qu’il arrive, il vaut mieux être acteur que spectateur.
 

. © DR

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