L’énigme Thierry Guetta en cinq points
Alors que Faites le Mur !, le documentaire de Banksy, entre en compétition pour la 83ème Cérémonie des Oscars, Thierry Guetta, archiviste du projet devenu personnage central du film, se révèle dans une interview donnée au Los Angeles Times. Sincère, sentimentale, touchant de naïveté et d’égocentrisme, Guetta laisse toujours et encore planer le doute d’une supercherie aux allures de performance artistique ultime. Analyse en cinq points du phénomène post-moderne incarné par ce vrai-faux pitre, complice d’une vaste blague ou bien génie de l’«art des affaires ».
L’orphelin immigré : une star américaine.
Thierry Guetta serait né en 1966 à Garges-lès-Gonesse, à 30 minutes de Paris. Il est le cadet d’une famille de cinq enfants. La famille Guetta se serait installée en France pour fuir les persécutions faites aux Juifs de Tunisie. Il était toujours enfant lors que sa mère est décédée et, à 15 ans, son père emmène toute la famille à Los Angeles (une donnée chronologique confirmée par l’émission du numéro de sécurité sociale américain de Guetta, au début des 80’s). Le père retourne en France et décède à son tour, laissant Guetta se débrouiller. Deuil, déracinement, abandon : tous les ingrédients biographiques sont là pour faire de Guetta une superstar américaine.
Hard working et adaptation
Après un an passé au lycée sans parler un mot d’anglais, Guetta trouve un petit job dans un magasin de fripes, après s’être démarqué dans le milieu de la night. Il arrive tôt au boulot, repart tard, et finit à la tête de la boutique. Encore une fois, ce sens de l’adaptation est aussi caricatural que tout à fait probable. Au-delà de la « tradition » du hard working des nouveaux arrivants sur le sol américain, Guetta pourrait incarner les travers d’une société qui légitime par la réussite sociale et l’argent. Bientôt, Guetta dirige un petit empire de la sape, et possède plusieurs boutiques. Il importe des fripes françaises, et les revend à prix d’or. « J’achetais des pièces pour 2 dollars et les revendais pour 200 dollars » se souvient-il, avant d’ajouter « on changeait les ordures en or ». Si Banksy est derrière tout ça, impossible de ne pas y voir une critique féroce du marché de l’art contemporain.
Conte de fées cartoonesque
Le réel s’emballe lorsque Guetta se lance, avec ses frères, dans le design vestimentaire. Il découpe des personnages de la Warner sur des serviettes de bain, et les intègre à des tenues qui font sensation. Quand la Warner Bros Cie est mise au parfum, elle ne poursuit pas les Guetta. Bien au contraire, Barry Ziehl, un porte-parole de l’entreprise, confie avoir engagé les frères Guetta en tant que partenaires, sur des bases commerciales très raisonnées : « Ils étaient crédibles sur le marché, et ils se présentaient eux-mêmes comme une force créative, qui pouvait avoir une influence. » Thierry Guetta et Frères dessineront des produits pour le magasin des Studios Warner, avant de bénéficier d’une véritable licence de leur part, jusqu’en 2006.
Compulsion créative
Une fois lassé du monde du chiffon et bien auto-financé, Guetta reporte son énergie créative sur la vidéo. Il filme tout : ses enfants, sa famille, ses amis, les soirées, les sorties… "Il filmait sans cesse » confie Maxime Castiel, un ami de Guetta, « Tout ce que j’ai vu dans le film est plus ou moins vrai ». Plus ou moins ? Pour l’intéressé, ce cinéma-vérité est d’abord une pathologie, une compulsion motivée par le désir d’ « arrêter le temps », et une subsistance du traumatisme causé par la mort de sa mère. Guetta explique au L.A. Times que c’est grâce à Banksy et à Faites le Mur ! qu’il a guéri de sa compulsion de tout filmer, ayant remplacé la caméra avec une canette de peinture.
Le joueur / le businessman
Plusieurs sources révélées par le L.A. Times tendent à dessiner, derrière le personnage naïf de Guetta, un redoutable homme d’affaires, qui inscrit rapidement son activité filmique amatrice dans un cadre professionnel très formaté. En 2001, il réalise des vidéos pointues et édite des sites web pour des entreprises. Guetta lance même une société : 3E Entertainment. C’est peut-être cet aspect pro de Guetta, non développé dans le film, qui aura incité les street artists à s’inclure dans son projet, et de valider l’archivage d’un art en train d’acquérir ses lettres de noblesse. Finalement, qui a profité de qui ? Faites le Mur montre un Guetta dilettante, entassant ses enregistrements sans même les classer. Entre 2003 et 2006, il construit le documentaire Life Remote Control, un film entièrement réalisé par Guetta - et un pilote hystérique de Faites le Mur !. Quand Banksy entre en scène, il s’approprie le matériel et le remonte, donnant au passage à Guetta l’occasion de faire de l’art.
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