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L’Alya, une vieille histoire

 

L'Alya, une vieille histoire

 

En raison d'une certaine méconnaissance de l'histoire, beaucoup s'imaginent que les Juifs ont été totalement absents du paysage de leur terre depuis la révolte de Bar-Kokhba, quelque soixante ans après la destruction du second Temple, et jusqu'aux grands mouvements d'immigration, enclenchés à la suite de la fondation en Russie et en 1881 du mouvement Bilou (acrostiche de Maison de Jacob, allons, marchons…, du verset d'Isaïe, II, 5). Sans rien diminuer de l'importance des six grandes vagues de nouveaux arrivants, jusqu'en 1947, qui ont assaini les marais et fait reverdir le désert, contribuant au nouvel essor économique, nous ne devons pas oublier qu'hormis le fait que la présence juive s'est maintenue d'une façon ininterrompue entre ces deux époques, d'autres groupes sont revenus quelques siècles plus tôt. On distingue donc le Yichouv Hahadash, le nouvel habitat, débuté en 1881, et le Yichouv Hayachan, l'ancien habitat, qui a été renforcé par différents mouvements d'Alya, et que nous verrons plus bas.

Si la première grande Alya des temps moderne remonte au début des années 1880, les prémisses de la première grande ville moderne remontent quant à eux à 1878. La «mère des colonies», Petah-Tikva, a été effectivement fondée par des habitants de souche beaucoup plus ancienne, qui avait décidé d'accéder à l'autonomie économique, et de travailler la terre sans être tributaires de l'aide financière apportée par les communautés juives de l'étranger. D'autres villages agricoles ont vu le jour peu après, comme Rishon Lezion, Rosh Pina, Rehovot ou encore Zikhron Ya'acov. Ces dernières ont été fondées en revanche par des immigrants de Russie, de Roumanie et de divers autres pays. Malgré l'aspiration des pionniers à l'indépendance économique, une aide conséquente a été fournie par le «célèbre mécène» Edmond de Rothschild. Il a été jusqu'à engager des ingénieurs agronomes pour former les néo agriculteurs.

Les habitants de la terre d'Israël avant le grand mouvement du retour se répartissent donc essentiellement dans quatre villes saintes du judaïsme: Hébron, Jérusalem, Safed et Tibériade. Ils étudient la Torah et sont le catalyseur qui unit la diaspora et la Palestine. Les exilés se tournent trois fois par jours vers la cité de Jérusalem dont ils espèrent la reconstruction. «L'an prochain à Jérusalem» n'est pas pour eux une simple affirmation théorique: ils sont très sensibles au maintien de la présence de leur peuple qui étudie la Torah en terre d'élection. Aussi revendiquent-ils le mérite de soutenir et d'entretenir ce vestige de leur antique splendeur et le tremplin de leur résurrection future. Un peu avant les grands mouvements du retour, la population juive du pays se compose d'environ 24000 âmes, dont presque les trois quarts vivent à Jérusalem. A peu près 85% des ressources financières proviennent de l'extérieur, maintenant une symbiose entre les Juifs de l'exil et ceux qui vivent sur le terre d'Israël. Cependant, cette dimension n'est pas uniquement matérielle, elle est également spirituelle, car les personnes chargées de ramasser les fonds à l'étranger ne sont pas de simples commis ; ils comptent parmi les plus illustres érudits et rabbins du peuple d'Israël, les Shadarim (émissaires rabbiniques).

Ces sommités du savoir juif sillonnent l'Europe, l'Asie et l'Afrique du Nord pour que chacun puisse apporter son obole, mais aussi pour dispenser des enseignements et en recueillir, de sorte que les échanges entre les différentes communautés ne sont pas uniquement matériels, mais spirituels. Des piliers de la tradition vivaient en terre d'Israël au cours des derniers siècles. L'un des plus éminents sages de la terre d'Israël, Rabbi Abraham Azoulay, est né à Fez, au Maroc, en 5330 (1570), dans un milieu descendant de l'expulsion d'Espagne. A l'âge de trente ans, il s'installe à Hébron. En 5379 (1619), la ville est frappée par une épidémie et il déménage et s'installe momentanément à Gaza. Eminent kabbaliste, il est l'auteur de nombreux ouvrages encore étudiés aujourd'hui, comme Zahoré Hama ou Or Hahama, une exégèse du Zohar, Hessed LéAbraham, ou encore Ba'alé Berith Abram. C'est lui qui annonce la fin de la censure traditionnellement imposée à l'étude des textes kabbalistiques, levée à la veille de la «dernière génération», en l'an 5250 (1490). Il est décédé en 1644. Son descendant direct est le Hida, Rabbi Haïm Yossef David Azoulay. Né à Jérusalem, il est considéré comme l'un des grands décisionnaires de son époque. En raison des nombreux écrits qui retracent ses voyages en tant qu'envoyé des rabbins, dans le cadre desquels il s'est entretenu avec de nombreux grands rabbins de la diaspora, il est l'un des premiers historiens du monde juif. A cheval entre le XVIIIème et le XIXème siècle, il a contribué à l'entretien des relations économiques et spirituelles entre Jérusalem et les communautés de l'exil. Il est décédé en 1806, soit près d'un siècle avant les premières vagues d'immigration.

Le Hida se rattache par ailleurs à un autre mouvement d'immigration, ayant épousé la fille de Rabbi Yéhouda Hahassid, rabbin et érudit qui est venu s'installer à Jérusalem avec un groupe de mille personnes. Trente-et-une familles s'étaient rassemblées autour de lui à Doubno, en Pologne. Soulevant un certain enthousiasme, et malgré les difficultés réelles, le départ pour le retour en terre promise a rapidement rassemblé mille cinq cents candidats. Il a fallu trois ans pour qu'en 5461 (le 14 octobre 1700), mille d'entre eux parviennent à la capitale éternelle, cinq cents ayant péri en route ou ayant abandonné le défi. Rabbi Yéhouda est lui-même décédé quelques mois après son arrivée, à quarante-et-un ans. Les autres se sont joints aux quelque 1200 habitants de la ville. Des préparatifs ont été organisés peu avant leur arrivée. Quarante bâtiments contenant des appartements, une synagogue, une maison d'étude, un mikwé et des puits d'eau potable ont été préparés à leur intention. Mais, comme quelques partisans du faux messie Shabtaï Zwi se sont joints à son groupe, de vives difficultés ont été éprouvées, et la méfiance suscitée par ce mouvement a rendu réticents la communauté d'accueil envers tous les arrivants. L'un des disciples de Rabbi Yéhouda, le rabbin Guedalia Masmiatich, a donc été désigné et a dû parcourir le monde pour subvenir aux besoins de ce groupe. Il a en outre rédigé un livre, Shaalou Shelom Yeroushalaïm (Recherchez la paix de Jérusalem), pour encourager d'autres Juifs à venir en terre d'Israël. Les élèves de Rabbi Yéhouda Hahassid ne sont pas au bout de leurs peines: en raison de la mort prématurée de leur chef spirituel, le projet de construction de la nouvelle synagogue ne peut aboutir, et d'importantes dettes se soldent par l'interdiction d'habiter dans les murs de la ville. Ce n'est que plus de cent ans plus tard que le terrain est racheté et les dettes réglées, sous l'impulsion de Rabbi Abraham Shlomo Zalman Zoref, et que la célèbre Hourvat Rabbi Yéhouda Hahassid peut enfin être construite et inaugurée. Par la suite, elle sera dynamitée par les Jordaniens, avant sa reconstruction achevée en 2010.

Une autre arrivée importante est celle des élèves du Gaon de Vilna. Grand rabbin des Pharisiens, les Perushim, ou encore du mouvement des Mitnagdim, à distinguer du mouvement hassidique, il quitte la Lituanie pour se rendre en terre d'Israël. Ses élèves et le public qui suit son initiative se rendent en terre d'Israël en trois mouvements rapprochés, en 1809. Le premier groupe, dirigé par le Rav Menahem Mendel de Shklov, citée située à environ 300 kilomètres au sud de Vilna. Il s'installe à Safed après un passage par Haïfa et Tibériade. Puis, en 1816, il rejoint Jérusalem. Le deuxième se joint au précédent quelques mois plus tard, avec le Rav Saadia de Shklov, suivie de la troisième, dirigée par le Rav Israël de Shklov. Dans un premier temps, ils ne peuvent s'afficher officiellement comme Juifs ashkénazes dans la ville sainte, en raison des impayés du précédent groupe, plus d'un siècle auparavant. Ils leur faudra dix ans pour trouver un arrangement afin de recouvrir les impayés et trente ans pour que les autorités égyptiennes interviennent et finissent par annuler les dettes de leurs «pères», avec l'intervention de Rabbi Abraham Shlomo Zalman Zoref auprès des consuls de Russie et d'Autriche. Les rescapés du troisième groupe d'immigrants du tremblement de terre de Safed en 1837 rejoignent la communauté de Jérusalem.

De 1807 à 1840, le nombre des exilés revenus en Palestine, et qui y parviennent en groupes ou individuellement, est estimé à 5000. De 1800 au mouvement Bilou non compris, la population juive de Jérusalem passe à 17000 (les autres populations atteignent alors 14000 âmes.) La plupart des Juifs vivent dans la Vieille Ville, mais de nouveaux quartiers sont fondés en dehors des murailles. En 1857, l'hôpital Bikour Holim ouvre ses portes. L'économie fonctionne jusqu'en 1877 principalement avec l'aide de la diaspora. Puis des terres sont rachetées et exploitées, à Nebi Samuel, à Petah-Tikva ou encore à Maskeret Batya.

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