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L’Arabie Saoudite lâche le Liban

Des milliers de miliciens du Hezb ont été tués en Syrie

L’Arabie Saoudite lâche le Liban (info # 012402/16)[Analyse]

Par Michaël Béhé à Beyrouth © MetulaNewsAgency

 

Si je ne suis pas beaucoup intervenu récemment dans nos colonnes, c’était en raison du fait que la situation au Liban, que j’avais décrite dans mes articles précédents, n’avait pas fondamentalement changé. L’emprise du Hezbollah et de ses mentors iraniens sur le pays allait s’amplifiant, grignotant chaque jour davantage notre indépendance, en imposant sa loi par les menaces de violence sur l’ensemble de nos institutions. Nous ressemblons toujours plus à un protectorat de Téhéran, à l’instar de l’Irak et de son gouvernement chiite aux ordres des ayatollahs.

 

Narrer les disputes stériles qui opposaient le courant souverainiste du 14 mars, à celui du 8 mars, inféodé aux directives de l’Iran et de la Syrie, participant d’une cuisine fast-food qui n’intéressait que les Libanais, n’avait aucune chance de glaner l’intérêt des lecteurs de la Ména.

 

Les choses ont brutalement évolué avec la récente décision de l’Arabie Saoudite de cesser son financement de nos forces armées et de nos services de contre-espionnage (Forces de Sécurité Intérieure), d’un montant de quatre milliards de dollars, sans lesquels ils vont être dans l’incapacité de fonctionner.

 

Officiellement, cette décision est motivée par la position exprimée par le Liban lors de la dernière réunion de la Ligue arabe réunie au Caire en janvier dernier. A cette occasion, tous les Etats membres avaient affirmé à l’unanimité leur "totale solidarité" avec l'Arabie Saoudite face aux "actes hostiles et aux provocations de l'Iran", notamment au siège de l’ambassade saoudienne à Téhéran, qui avaient suivi l'exécution à Riyad de l’imam chiite Nimr el Nimr.

 

Seul le Liban s’était abstenu, rompant ainsi l’unanimité, notre ministre des Affaires Etrangères, le chrétien du mouvement aouniste Gebran Bassil affirmant que le Liban "prenait ses distances à l'égard du communiqué afin de préserver la stabilité nationale".

 

Dès lors deux postulats s’affrontent : celui qui réaffirme l’arabité du pays au Cèdre – pour les lecteurs qui l’ignorent, l’Iran n’est pas un pays arabe -, et la "politique de la distanciation", prônée par le 8 mars.

 

Bassil a expliqué par la suite que "les pays arabes ne parviennent pas à comprendre que l'unité interne du Liban ne peut être protégée que par la politique de distanciation", ajoutant qu’ "ils doivent s'abstenir de pousser le Liban à afficher des positions qu'il ne peut pas assumer". "Entre l'unanimité arabe et l'unité nationale, nous penchons pour la seconde", a encore précisé le ministre.

 

Gebran Bassil appartient à un gouvernement d’unité nationale (de facto) dirigé en principe par le sunnite Tammam Salam, que ce dernier a constitué en février 2014. Mais ce cabinet, qui réunit des personnalités du 8 et du 14 mars et quelques indépendants, ne possède aucune ligne de conduite, et les décisions qu’il pourrait prendre sont, continuellement, bloquées par le Hezbollah et ses alliés. Ceux-ci empêchent, par la même attitude, le Liban de se choisir un nouveau président, le poste étant vacant depuis la fin du mandat de Michel Suleiman, le 25 mai 2014.

 

Les supplétifs chiites libanais de Khamenei exigent pour débloquer la situation que l’Etat adopte les lignes directrices de la politique étrangère de l’Iran, en axant notamment la doctrine sécuritaire sur le principe de la "Résistance" contre Israël. Cette conception devrait être prioritaire et dicter la conduite des affaires publiques dans pratiquement tous les domaines, même si aucune menace ne se manifeste en provenance de l’Etat hébreu, si la partie la plus calme du Liban est la zone qui jouxte sa frontière, et si la milice chiite participe à des guerres en Syrie, en Irak, au Bahreïn et au Yémen.

 

Faute d’obtenir l’aval des autres ministres, le Hezb bloque le processus permettant d’élire un nouveau président. Et faute d’avoir un président et un gouvernement capables de gérer le pays, la milice d’Hassan Nasrallah n’en fait qu’à sa tête. Elle a accumulé près de 100 000 roquettes et missiles, en principe destinés à Israël, elle est parvenue à faire passer à partir de la Syrie et à installer quelques batteries de missiles sol-air avancées dans nos villes, s’est empressée de menacer Jérusalem de les utiliser contre ses avions, et elle phagocyte l’Armée nationale. Au point que, dans la Bekaa, il est devenu impossible de distinguer un soldat d’un milicien, où ils s’opposent militairement aux rebelles sunnites en provenance de Syrie, ainsi qu’aux villageois qui les accueillent, comme si cela découlait d’une décision ministérielle, voire du quartier général des forces armées.

 

La même situation prévaut à la frontière avec Israël où les miliciens revêtent l’uniforme de l’Armée et où les authentiques soldats reçoivent leurs ordres d’officiers soumis au Hezbollah, pendant que Nasrallah menace notre puissant voisin du Sud de faire sauter l’usine d’ammoniac située dans la baie d’Haïfa afin de causer la mort de dizaines de milliers de Juifs. Nasrallah est bien le seul dirigeant libanais qui, après avoir vu les images de Gaza en ruines, agit pour que Beyrouth connaisse le même sort.

 

C’est principalement là que le bât blesse avec la monarchie wahhabite : partout où les Fous d’Allah sont engagés, ils combattent l’Arabie Saoudite, comme au Yémen, ou des organisations soutenues, financées et équipées par Riyad, à l’instar de l’Armée de l’Islam en Syrie. Or les souverains saoudiens n’ont pas pour vocation de financer ceux qui les combattent, à commencer par leur pire ennemi, l’Iran. Cela ennuie passablement la France, qui comptait sur le financement royal pour livrer du matériel militaire à nos soldats, sans se soucier le moins du monde de savoir contre qui ils l’utiliseraient. Même si, au Quai d’Orsay, on essaie d’être rassurant, même si on y exprime évidemment le souhait de voir notre gouvernement fantoche se rabibocher avec Riyad, les livraisons tricolores ont du plomb dans l’aile et c’est le cas de le dire.

 

Les Saoudiens se montrent cohérents dans leur politique régionale, alors qu’ils mènent des manœuvres inter-sunnites sur une grande échelle impliquant vingt pays de la "coalition islamique" qu’ils dirigent. Ces exercice militaire ont été baptisés Raad el-Chamal, le tonnerre du Nord. Ils se déroulent jusqu’au dix mars à la frontière entre l’Arabie Saoudite et l’Irak, et mettent en scène, à l’intention de l’Iran, une pénétration terrestre de l’Irak par cette coalition.

 

A Beyrouth, les partisans du Courant du 14 mars ont vivement réagi à la décision du Roi Salmane de couper les crédits : le sunnite Ashraf Rifi, qui occupa pendant huit ans le siège du directeur-général des Forces de Sécurité Intérieure, et qui participait au cabinet de Tammam Salam en qualité de ministre de la Justice, a remis sa démission.

 

Ce spécialiste de la sécurité et du droit à longuement justifié sa décision. Il a évoqué la milice du Hezbollah "qui risque d'imposer sa mainmise sur l'Etat et ses institutions".

 

"Le comportement de ces forces a abouti au démembrement de l'Etat (...) et à la déformation de son identité nationale, tout en mettant en danger son indépendance, son économie, son avenir et ses relations internationales, notamment avec le monde arabe", a précisé M. Rifi, justifiant son choix par "le blocus imposé par le Hezbollah et ses alliés au sein du gouvernement et en dehors de celui-ci, à travers la vacance de la présidence de la République".

 

Ashraf Rifi a terminé en relevant : "Nous avions souhaité que ce gouvernement puisse éviter les conflits, or ils (l’Iran et le Hezbollah) l'ont voulu comme couverture de leur projet destructeur. Je n'accepterai pas de devenir un faux témoin et de couvrir ceux qui tentent de dominer l'Etat et ses institutions".

 

Le ministre démissionnaire a reçu l’appui des autres responsables politiques du 14 mars, notamment du chef des Forces Libanaises, Samir Gagea, et de celui des Phalanges, Samy Gemayel. En revanche, les porte-paroles du 8 mars ont accueilli sa décision par des menaces on ne peut plus directes. Ainsi, le Druze Wi'am Wahhab, fervent partisan de la Syrie et de l’Iran, a averti Rifi sur un réseau social : "Si quelqu'un croit pouvoir renverser la table, il doit savoir que nous renverserons le monde sur sa tête et celle de ses soutiens". Ce à quoi l’intéressé a brièvement répondu à la télévision : "Si vous en êtes capable, faites-le !".

 

A propos de renverser la table, le ministre sortant a affirmé vouloir faire traduire Michel Samaha devant la Cour Pénale Internationale ainsi que d’autres instances étrangères. Samaha est un chrétien, qui fut membre des Phalanges et des Forces Libanaises avant de rejoindre les prosyriens et d’être fait ministre de l’Information, en 2003, au sein du dernier gouvernement de Rafiq Hariri.

 

Le 9 août 2012, il est surpris à son domicile par les FSI en possession de 24 charges explosives que lui avait remises le chef d'état-major syrien, le Général Ali Mamlouk. Il avait l’ordre de procéder à des attentats à caractère communautaire [visant des civils chrétiens et sunnites. Ndlr.] en divers points du Liban.  

 

Après avoir purgé trois ans et demi de prison, toujours en procès, Samaha a été libéré sous caution le 14 janvier dernier par la Cour de cassation militaire au Liban. Son audience reprendra le 23 février, mais pour Rifi, "cette affaire est la preuve de l'hégémonie exclusive du Hezbollah sur le gouvernement paralysé depuis des mois". D’ailleurs, la presse du Hezbollah et du reste du 8 mars ont fait de Michel Samaha un héros national, presque un demi-dieu.

 

Depuis, l’Arabie Saoudite a interdit à ses ressortissants de se rendre au Liban et a demandé à ceux qui s’y trouvaient de quitter notre pays. Riyad a été imité en cela par les Emirats Arabes Unis, qui ont, de plus, réduit leur représentation diplomatique au strict minimum, ainsi que par Bahreïn.  

 

Des députés sunnites, reçus en délégation par l’ambassadeur saoudien à Beyrouth, ont demandé au Roi Salmane de ne pas lâcher le Liban pour qu'il ne soit pas englouti par le projet perse ou qu'il ne devienne un deuxième Irak, une sorte de province rattachée à l'Iran.

 

Cela fait des années que je vous entretiens de ce processus. La réaction saoudienne a mis la majorité des Libanais devant leurs responsabilités, leur rappelant au passage que les chiites ne comptent que pour 33 pour cent de la population. Le gouvernement risque d’imploser, ce qui ferait tomber les masques. Reste que, même s’ils sont embourbés en Syrie, les miliciens du Hezb ont l’avantage de posséder des armes, et ils n’hésiteront pas à s’en servir. Pas contre l’ "ennemi sioniste" mais contre leurs compatriotes libanais. Quant au peuple libanais, il a préféré faire confiance à son armée, elle-même…

 

Si la démission de Rifi nous a permis de regagner un tout petit peu de notre honneur perdu, elle n’a rien résolu pour autant. Nous sommes toujours en pleine guerre civile froide, et dans ces conditions, la coexistence est simplement impossible.

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