L’EPOPEE TOUNSI-GRANA - Par Jean Belaïsch
Il n’est pas un seul juif de Tunisie ayant dépassé la cinquantaine qui n’ait entendu parler des oppositions séculaires et inexpiables (tous les mots semblent inadaptés tant ils semblent à la fois excessifs et pas assez expressifs) entre ces deux communautés.
Au contraire, les plus jeunes ne sauront pas de quoi il retourne tant ce conflit s’est estompé avec le départ des juifs de Tunisie.
Mais pour ceux qui ont été bercés par cette différence, le désir persiste d’en mieux comprendre la nature.
C’est à partir de phrases glanées çà et là dans les textes de ce livre et de fragments d’épisodes historiques que j’ai tenté d’en éclairer les facettes. Ce n’est pas du tout le point de vue de l’historien qui sera adopté ici, bien qu’il soit impossible de s’en détacher tout à fait, (et je crains de commettre de lourdes erreurs chronologiques qui seraient impardonnables pour un historien) mais plutôt celui du psychologue ou, si le terme ne paraît pas trop prétentieux, de l’ethnologue volant en rase motte.
Les juifs grâna sont d’origine hispano-portugaise. Ils ont quitté ces pays de haute civilisation lorsqu’ils en ont été chassés par les avides rois et les reines catholiques si heureux de les spolier. Ils avaient aussi bénéficié auparavant de la culture des royaumes arabes d’Espagne et avaient participé à la réviviscence de la science grecque. Ils avaient donc un back ground culturel assez remarquable pour l’époque. En outre, ils avaient conservé une connaissance des langues hispaniques qui leur permettait des échanges faciles avec les pays européens. Qu’ils se soient installés en Algérie ou en Tunisie, ils faisaient souvent partie de l’élite aussi bien dans les domaine de la finance que des connaissances scientifiques de l’époque. De ce fait, ils avaient reçu un accueil favorable des Beys. L’un d’entre eux s’était même préoccupé de les loger à Tunis. Ahmed Saadaoui ( Cahiers de la Méditerranée Vol 67) nous précise qu’ils constituaient la communauté étrangère la plus importante de Tunis au cours du 17ème siècle. Il nous apprend aussi qu’ils étaient domiciliés tout près de la Hara et avaient profité de la forte communauté juive (donc Tounsia) présente dans la capitale pour venir s’installer.
De l’autre côté, les Tounsi (ou Touensa ou twensa) s’étaient depuis des siècles mêlés aux populations locales, avaient gardé une foi profonde et étaient restés attachés à la Torah qu’ils avaient continué à étudier selon la tradition judaïque. Leur niveau de culture religieuse était beaucoup plus élevé qu’on ne le pense et on connaît aujourd’hui plusieurs travaux des rabbins de Tunisie qui faisaient autorité à l’époque.
En somme, les regards des uns et des autres étaient tournés vers des horizons opposés. Les uns vers l’avenir, plus généralement vers l’Europe et les progrès scientifiques, les autres vers le passé biblique qu’ils contribuaient à maintenir vivace et vers le pays où ils étaient nés.
La mixité avec les habitants arabo-berbères, maîtres du pays, poussait les Tounsi vers la pratique d’un commerce local tandis que la vocation européenne de Guerni, les orientait tout naturellement vers un commerce international plus fructueux quoique plus risqué !
Il manquait dans cette description, une allusion à l’étape livournaise des juifs hispano-portugais qui explique que les Guerni étaient désignés indistinctement comme portugais ou livournais. En effet, le Grand Duc de Toscane (Côme -parfois c’est sur un autre prénom qu’on insiste- de Medicis) cherchant à développer sa province, par endroit marécageuse et infestée par la malaria, avait transformé la ville de Livourne en port franc où des vagues d’immigrants souvent juifs étaient venus pour faire fortune ou échapper à un statut d’infériorité. Et bien évidemment, les juifs européens, quelqu’ait été leurs séjours intermédiaires, et certains sans doute étaient venus d’Allemagne et de pays de l’est et du nord, avaient choisi Livourne, beaucoup plus que les juifs « arabes ». Cependant, ceux-ci avaient également participé à l’afflux vers le grand duché. L’histoire de Mardoché Naggiar brillament analysée et décrite par Lucette Valensi, en est un exemple démonstratif. C’est pourquoi aussi on trouve dans les cimetières autour de Livourne, de nombreuses tombes de Bel Aich (écriture la plus simple d’un nom à multiples orthographes) et de multiples autres noms à consonance arabe même si leur origine était très probablement palestinienne.
Ces prémices historiques de la division étant précisées, il faut reconnaître qu’un facteur local de nature tunisoise est intervenu car en Algérie et même dans le reste de la Tunisie, il n’y a jamais eu de conflit majeur entre ce qu’il est habituel d’appeler les deux communautés.Sans doute, la proximité entre la ville de Tunis et l’Italie, y est-elle pour quelque chose, mais aussi le fait que la fonction de capitale de la ville de Tunis y attirait les hommes les plus actifs et les plus entreprenants.
La division entre grâna et tounsi ( ou twensa pour reprendre à contre cœur une orthographe officielle qui n’a rien à voir avec la phonétique française quotidienne) remonte bien plus haut qu’on ne le pense
généralement puisque c’est en 1747 que les rabbins Abraham Taïeb, dont la réputation a persisté jusqu’à nos jours pour les seconds, et de Isaac Lombroso (ou Lumbroso) pour les premiers ont signé un protocole établissant la session entre les deux communautés. Et singularité intéressante Isaac Lumbroso avait été le disciple du grand rabbin Taïeb.
Il serait passionnant de savoir qui alors s’est senti le plus «gagnant» et qui a peut-être éprouvé un sentiment de frustration plus ou moins amère. Comment un rabbin a-t-il pu être heureux de parachever une division de la communauté des juifs qui vivaient en Tunisie et dont les prières ne différaient que de très peu, si ce n’est parce que les réactions des deux communautés linguistiques ( les uns parlant le judéo-arabe, les autres l’italien) étaient si envenimées qu’il était préférable d’écarter les uns des autres ces deux groupes humains.
Autre hypothèse, les points de vue entre les conservateurs englués dans le passé et les progressistes dynamiques ont paru si éloignés que chacun des deux grands rabbins a pu penser que les uns ne pouvaient qu’être gênés par les autres et que la séparation pourrait apporter une forme de liberté d’action et d’expression utiles à ces deux groupes humains. Le drame a probablement résulté de ce que chacun des deux était assuré d’avoir totalement raison. L’un ne pouvait imaginer que l’on s’oppose aux progrès d’une Science en pleine accélération et que l’on pensait capable de résoudre tous les problèmes de l’humanité, l’autre ne pouvait même pas penser une seule seconde mettre en cause l’intangibilité des dogmes de la religion mosaïque.
Cependant on ne peut pas ne pas s’interroger sur l’interdiction faite aux tounsi par leurs autorités religieuses de ne plus acheter leur viande chez les bouchers guerni. Ici encore deux explications possibles : ces livournais avec leurs prétentions progressistes n’appliquaient peut-être plus la lettre des obligations rituelles. Ou bien il n’était pas question de les laisser bénéficier de revenus d’origine rituelle alors qu’ils étaient déjà favorisés ?
On ne peut expliquer une division aussi profonde sans admettre que les préoccupations les plus nobles comme les plus viles se sont associées pour la pérenniser. L’exemple tout récent donné par les fractions du parti socialiste nous renseigne d’ailleurs sur le caractère irréductible des choix de société. Peut être, pour remonter plus haut, les livournais se sentaient- ils être Isaac (et par le hasard des choses, c’est Isaac Lombroso qui a pris leur sort en main) tandis que les juifs arabes représentaient Ismaël (et par le même hasard des choses, ils étaient représentés par un Abraham, tant ils se pensaient davantage les héritiers du patriarche que ceux qui furent appelés les juifs chrétiens, simplement parce qu’ils venaient de territoires conquis par les chrétiens). Pour pousser plus loin la réflexion, le conflit israélo-arabe n’est-il pas davantage (ou au moins autant) un conflit entre des hommes qui vivaient dans l’immobilité de leur culture depuis 4 à 500 ans sinon plus et des envahisseurs qui culbutaient leur quiétude pour faire entrer leur terre dans l’ère de la civilisation moderne avec ses défis mais aussi ses terribles répercussions surtout pour les plus démunis ? Les ashkenases en Israel ont également fait preuve d’une forme de supériorité dédaigneuse vis-à-vis de ceux qu’ils appelaient les juifs orientaux (alors qu’Israël est plus en orient que le Maghreb) jusqu’à ce qu’ils soient débordés par le nombre et que ces derniers aient su profiter des infrastructures éducatives crées par les juifs venus de l’Europe de l’est. Comparaison on le sait bien n’est pas raison et ce résumé brutal n’a sûrement rien à voir avec la subtile réalité.
C’est peut-être même une question que l’on peut se poser (et de grands esprits l’ont fait, mais rapporter le fruit de leurs travaux nous entraînerait trop loin) : pourquoi le lieu du progrès des sciences humaines dont le centre se trouvait au départ en Afrique : El Djem et son amphithéâtre, l’agriculture et les villes romaines florissantes, Saint Augustin né en Tunisie, les mathématiciens et philosophes arabes renommés, s’est-il transporté des rivages méridionaux de la méditerranée –qu’il a déserté et désertifié- pour l’Italie, l’Espagne et le Portugal puis toujours plus haut vers le nord, alors que les conditions climatiques demeuraient les mêmes et aussi favorables qu’aujourd’hui et avant-hier ?
Nous en arrivons au 19ème siècle, les hommes d’origine livournaise (et habitant à Tunis ou ailleurs en Tunisie) qui avaient déjà pignon sur rue avec leur Souk el Grâna accentuent leur avance et leur présence dans le monde moderne, devenant commerçants internationaux, avocats utiles aux précédents, médecins, ingénieurs. Certains d’entre eux même se sont contentés de passer en terre tunisienne ou de laisser sur place des enfants ou des parents, tel le célèbre baron Giacomo di Castelnuovo qui semble avoir cherché à réunir les séparés en faisant construire une synagogue pour les deux communautés.
Tandis que les tounsi continuent à être de petits marchands, des commerçants des produits locaux, des tailleurs, ou des coiffeurs, travaillaient le cuir ou devenaient rabbins, sauf quelques rares « têtes» qui parvenaient à entrer dans la sphère beylicale et contribuaient à faire entrer les impôts dans les caisses des dirigeants du pays.
Le bouleversement
Annoncé par des évènements que seuls quelques initiés pouvaient interpréter, le protectorat français s’étend sur le pays près de 150 ans après le schisme et pour ceux parmi les juifs tunisiens qui avaient le goût de l’entreprise, c’est un espoir qui naît, un rideau qui s’ouvre vers une véritable révolution de leur condition. Un des témoins les plus parlants est leur fuite progressive hors de la Hara (le ghetto de Tunis) où ils avaient été entassés et enfermés depuis si longtemps, vers la ville européenne comme l’avait fait la famille de mon arrière grand père.
Une preuve élégante de ce que le protectorat avait apporté aux juifs de Tunis, est donnée par Guy de Maupassant qui avait écrit, dans son style ciselé où chaque mot compte, à une date nécessairement située entre 1881 date de l’arrivée des français et 1893 –celle de sa mort- : « c’est un des rares points dans le monde où le juif semble chez lui comme dans une patrie, où il est maître presque ostensiblement, où il montre une assurance tranquille bien qu’un peu tremblante encore ».
La Tunisie a, depuis des lustres, été un pays de confrontation entre l’Italie, présente depuis longtemps et la France, qui y fait son entrée en force (note en fin de chapitre). La France a besoin d’asseoir son autorité sur un socle plus vaste que les quelques rares français qui vivent en Tunisie (dans le livre « Tunisie, rêve de partage » on apprend qu’il y avait 700 français contre près du double d’Italiens) et elle trouve sur place une population entière prête à l’accueillir : les juifs de Tunisie. Mais les colonisateurs ne sont pas tous philosémites (certains sont même tout le contraire) et le sort des juifs tounsi va osciller entre avancées et inquiétudes selon les préjugés des représentants de la France. Il est tout de même clair que ceux qui font une totale allégeance à la France et qui s’efforcent de devenir français, sont naturalisés sans rencontrer ces obstacles (quasi-insurmontables) qui seront mis à d’autres périodes de la vie en Tunisie. C’était d’ailleurs le cas quelques années plus tôt avec l’application du décret Crémieu aux juifs de Tunisie qui prouvent leur origine algérienne comme l’avaient fait mon arrière grand père et quelques uns de ses parents ou amis.
Le petit négoce va certes persister tout comme la pauvreté dans la Hara, mais en même temps le commerce de gros et l’industrie deviennent la cible des tounsi qui se lancent dans la minoterie, la briqueterie, l’industrie pharmaceutique, le journalisme … Et dans ce domaine les leçons à tirer sont passionnantes. Car les journalistes vont explorer toutes les voies. Les uns vont se tourner vers le judéo-arabe. Leurs progrès se feront vers une langue plus élaborée que celle qu’utilisaient quotidiennement les juifs tunisiens qui était un langage parlé –et qu’en général ils ne comprenaient pas l’hébreu- et ils se rapprocheront nécessairement de l’arabe littéraire, les langues européennes ne pouvant leur être d’aucun secours. Démarche qui les éloignera davantage encore des grana et selon Joseph Chetrit (livre de Tunis à Paris) un des sujets majeurs de ces journaux sera le conflit larvé Grana-Tounsi). Mais d’autres journaux écrits en français, plus tardifs, du début du siècle suivant, plus orientés vers la modernité, telle la Justice ne rapprocheront pas davantage les deux parties car c’est vers la France qu’ils souhaitent voir se tourner la population des tounsi. Comme l’écrit Armand Maarek dans le même livre, ils demanderont que les juifs deviennent dépendants de la justice française et que les naturalisations soient rendues plus accessibles. Certes la description que nous faisons est très simplificatrice mais elle contient une bonne part de vérité.
Cependant, les guerni italophones et toujours très proches de l’Italie, restent très en avance.
Ils sont les premiers médecins (selon Bruno Boccara en 1920, à Tunis, huit médecins sur dix étaient des juifs italiens), les premiers avocats et architectes ou promoteurs (et c'est sur les plans du grand père de Bruno Boccara, Guiseppe Attia, qu'a été créé le fameux Théâtre Municipal qui existe toujours. Selon lui la plupart des grands édifices de Tunis de l'époque portaient également sa marque). Ils construisent aussi des hôpitaux et se partagent selon Lionel Levy dont les connaissances dans ce domaine sont inépuisables, entre l’Alliance Israélite Universelle et les collèges italiens ou la maison de l’association Dante Alighieri ; ils sont à la fois économes et pingres, reprochant leur faste démonstratif aux nouveaux riches tounsi qu’ils traitent de haut.
Malheureusement, l’âme humaine est ainsi faite que les donateurs qui aident généreusement les petits déshérités ne le font pas sans morgue comme le raconte avec un brin de virulence madame Tsilla Levy-Zerah dans sa lettre :
« Notamment j’ai été frappée de voir que la bourgeoisie juive qui, sous l’égide de « Nos petits » assurait les repas de midi aux élèves des écoles de l’alliance, manifestait une certaine condescendance à l’égard des enseignantes de l’école, qui bénévolement, aidaient aux services…
J’ai vu cette ségrégation se faire dans ma propre famille : une de mes tantes ayant épousé un tunisien, s’est vu refuser le repas avec les autres membres de la famille car elle était, de par son mariage, devenue de rite tunisien ! »
Et cette prétention « guernia » se manifeste, comme le dit Henri Nataf qui a vécu "en direct" cette opposition et le raconte parfaitement, dans les désirs de ne pas frayer (et encore moins se marier, sauf exceptions, avec les grossiers tounsi) qui tout en admirant la distinction des guerni, leur en veulent de leur attitude prétentieuse.Comme certaines peaux sont plus sensibles que d’autres et probablement quelques affronts plus méchants que d’autres, quelques tounsi prennent des positions granaphobes excessives, déplacées, et on peut le dire, difficilement admissibles. Et elles ont en outre l’effet d’aggraver les dissensions.On doit bien reconnaître que l’idée de séparer le cimetière où se font enterrer les juifs portugais, du cimetière de leurs corréligionnaires tunisiens, est un témoin abasourdissant de cette division de deux classes.
Arrivent la guerre de 39 et la défaite française, la protection italienne sur la communauté livournaise et les lois antijuives de Vichy. Un épisode littéralement incroyable a alors lieu à Tunis. Un conflit demeuré assez mystérieux sépare les dirigeants des deux communautés. Et l’on apprend que les « chefs tounsi » sont allés demander à l’Amiral Esteva homme dit-on très religieux et bourré de scrupules,, Résident général de France en Tunisie et par conséquent représentant de Vichy régime qui, selon toute vraisemblance, ne portait pas les juifs dans son coeur, de trancher leur différent.Il serait normal de se demander quelle mouche avait pu piquer les responsables tounsi. Mais les choses s’éclairent si on se souvient de l’opposition historique entre la France et l’Italie.
Les livournais bénéficiaient alors de la protection agissante de l’Italie comme en témoigne de nombreux textes. Et lorsque les juifs en général, étaient sous la garde des italiens et non des allemands pendant l’occupation ils n’avaient qu’à se louer de leur mansuétude.
Les tunisiens eux, n’avaient jamais eu personne d’autre pour les aider que les autorités françaises (sans oublier néanmoins la position courageuse de Moncef Bey, vis à vis des occupants allemands, puisqu’il avait clamé qu’il considérait les juifs comme des sujets devant bénéficier des mêmes droits que les autres citoyens de son pays). Vichystes ou pas, ils ne connaissaient pas d’autres protecteurs. Et c’est pourquoi ils s’étaient tout naturellement rendus à la Résidence !
Patton, Montgomery et Leclerc –et leurs hommes- libèrent la Tunisie et le 7 mai 1943 la ville de Tunis! Que va-t-il se passer pour les italiens ? Bien entendu, ils vont à leur tour être opprimés comme le raconte Roger Macchi.Les juifs italiens ainsi que les guerni, le seront, un peu ou beaucoup, moins. Quoiqu’il en soit ils ont perdu le devant de la scène. Ils oublient leur langue quasi-maternelle et se francisent progressivement.Et l’opposition grana-tounsi sombre en méditerranée quand tous sont obligés de quitter le pays où ils avaient été si heureux.Heureusement, il n’y a pas eu de morts entre livournais et Tunisiens, même s’ils en sont presque venus aux mains. Juste quelques mariages mixtes qui ont plutôt bien tourné comme nous l’a raconté Henri Slama et comme il en est un exemple par sa vie même.
CONCLUSIONS à l’EMPORTE PIECE
D’une telle histoire qui s’est étirée sur plus de 2 siècles, on peut tenter de tirer quelques leçons générales, au moins pour le plaisir de l’élaboration intellectuelle.
Trois caractères des humains semblent s’être donnés la main pour expliquer cette inexpiable opposition.
D’abord un caractère propre à l’animal et donc profondément inscrit dans le cerveau humain, le désir de délimiter son territoire, d’où la séparation qui est allée jusqu’à faire élever un mur entre les deux cimetières.D’autre part le sens de la hiérarchie et de l’estime de soi. Les Guerni sentaient circuler dans leurs vaisseaux, un sang un peu plus bleu que celui des rétrogrades tounsi… Les guerni aisés avaient en outre un sens de leur grandeur – lié autant à leur aisance qu’à leur culture- et que probablement les bourgeoises ont extériorisé plus que leur mari.Mais sans aucun doute, cette opposition résulte du combat incessant depuis les débuts de l’humanité entre les anciens et les modernes, entre les progressistes et les conservateurs.
Une conférence toute récente a été donnée à la société d’histoire des Juifs de Tunisie par Armand Maarek. Il a montré que lorsque l’Alliance Israélite Universelle a voulu s’installer en Tunisie, les rabbins, responsables de l’éducation des enfants juifs qui se résumait à une étude assez superficielle des textes sacrés, ont craint cette arrivée qui ne pouvait que favoriser l’intrusion du modernisme dans un immobilisme qui leur assurait leur subsistance. Ils ont cependant eu l’intelligence de l’accepter contrairement à beaucoup des communautés dispersées en Méditerranée.
En somme cette histoire locale dans une ville de ce merveilleux petit pays tunisien est un paradigme de ce qui caractérise l’humain toujours tiré entre deux de ses cerveaux, le primitif (mon territoire) et le frontal (mon intelligence et mon désir incessant de savoir et d’appliquer les résultats de ma recherche).
A l’évidence et malheureusement, nous n’avons fait que survoler cette belle histoire et nous avons sûrement, non seulement négligé certains aspects mais probablement rapporté des faits erronés.
Mais c’est une des chances que donne ce livre et ce site que de permettre à ceux qui en savent plus ou qui ont repéré des erreurs que d’ajouter leurs connaissances ou de corriger les fautes pour le plus grand bien des lecteurs qui ont eu le bonheur d’avoir vécu en Tunisie.
On peut espérer qu’ils sauront en profiter et également qu’ils sauront raison garder dans leurs commentaires que nous aimerions tous publier.
Commentaires
d'où l'histoire de Gisèle Halimi ?
j'ignorais le mur du cimetière !!
il y aura toujours ceux qui se rengorgent (et dont, curieusement, mais ceci n'est qu'une "vérification" toute personnelle et nullement académique, ils finissent, avec l'âge, par avoir un cou tel, qu'il ne fait avec la tête qu'un seul bloc ! contrairement à ceux moins arrogants) et les fatalistes qui trouvent bien superficielles ces différences (notamment lorsqu'on est pauvre et que l'on doit penser d'abord au nécessaire).
merci pour cet éclairage : je l'avais ressenti mais je n'avais jamais osé poser de questions.
bien à vous, Michèle Casanova
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