La guerre post-moderniste, par Shmuel Trigano
Dans les atermoiements des puissances occidentales autour d’une intervention en Syrie, il y a plus que la défaillance d’Obama ou le refus massif des opinions publiques : l’influence d’une véritable idéologie que je définis comme le post-modernisme.
Une de ses expressions symptomatiques, couramment invoquée aujourd’hui, ne trompe pas : la « communauté internationale ».
Il faut savoir la décrypter et y lire l’apologie du recul des États et de la souveraineté nationale, au nom de la moralisation de la vie politique, et du recours au tribunal comme arbitre suprême, en somme d’un « gouvernement des juges » à l’international alors que le système mondial est fondé sur des Etats-nations souverains à l’intégrité en principe inviolable excepté, bien sûr, en cas de guerre. Le droit d’ingérence, ou la « responsabilité à protéger », avalisé par le Conseil de sécurité, a mis un terme à ce fonctionnement sans pour autant changer le système.
La façon dont les choses se sont passées aux États-Unis et en Grande-Bretagne, moins en France, illustre parfaitement la crise de cette souveraineté : les chefs d’État ont renoncé au pouvoir régalien que leur confère la constitution de l’Etat-nation démocratique : en matière de sécurité internationale et dans des situations graves, c’est leur privilège, en effet, comme chefs des armées, de prendre les décisions et de décider de l’état d’exception. C’est le fondement de la souveraineté.
Tout le problème, cependant, c’est de savoir si l’on peut encore parler de « guerres » car, pour les postmodernistes, il n’y a plus (ne doit plus y avoir) de « guerres ». Il n’y a que des « différends » que l’on doit régler par la voie de la concertation ou d’opérations de police (de préférence non violentes), « légales » comme si l’on était dans une société nationale.
Du fait de la mondialisation et l’idée qu’il n’y aurait plus de frontières, on ne vivrait déjà plus dans une société d’Etats et de nations mais une « société civile » mondiale, le « village global » de sorte que seules des forces de police et non militaires devraient être à l’œuvre.
C’est ce mythe qui conduit les disciples de cette idéologie à rendre impossible l’identification de l’ennemi. Et s’il s’agit de le frapper, encore faut-il que cela ne soit pas « disproportionné » mais il ne s’agit plus de le vaincre et encore moins de le terrasser.
Les techniques modernes donnent à croire que l’on peut mener une « guerre » sans faire de « victimes » ni se salir les mains, en pratiquant des « frappes chirurgicales ». C’est exactement ce type d’action que le gouvernement de Ehoud Olmert et Tsipi Livni ont lamentablement tenté avec la deuxième guerre du Liban, en 2006, ou Natanyahou avec l’opération « Plomb durci » à Gaza en 2008-2009.
Or c’est justement ce qui ne marche pas car la guerre postmoderniste a donné naissance à un autre type de guerre, en multipliant les théâtres des conflits : la « guerre assymétrique », menée réellement celle-là, avec des armes, en général primaires (des katiouchas préhistoriques), utilisant les civils comme boucliers, frappant uniquement les civils ennemis, une guerre que les généraux postmodernistes ne pourront jamais gagner.
Dans le cas syrien, il y a belle lurette que l’armée syrienne a modifié son organisation pour échapper aux frappes annoncées, dont l’efficacité serait nulle car elles ne feraient qu’étendre et intensifier la guerre.
Par ailleurs, la « communauté internationale » est un leurre. Des fonctionnaires stipendiés, des organisations et des blocs étatiques ne forment pas une communauté. Quant à un droit international transcendant les États, nul ne l’a encore vu à l’œuvre. Ceux qui ont sans cesse ce mot à la bouche, comme les Palestiniens et leurs amis, sont des affabulateurs : ils sont incapables de montrer les traités internationaux sur lesquels ils se fondent dans leur vindicte, ils invoquent un droit qui n’existe encore pas.
Jusqu’à ce jour, la morale postmoderniste n’a pu s’exercer que sur des Etats faibles : la Serbie, la Libye (qui présidait alors le Conseil des droits de l’homme !), le Mali mais ni la Tchétchénie, ni le Tibet, ni l’Egypte du coup militaire comme d’aucuns l’auraient bien voulu. « Selon que vous soyez puissant ou misérable ! »...
Mais la stratégie postmoderniste est inéluctablement catastrophique. La Libye en est un modèle accablant. Aujourd’hui, elle risque d’entrainer plus surement les pays riverains de la Syrie dans des guerres asymétriques, on ne peut plus classiques, à l’instar de celle qui s’y déroule déjà.
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