La petite fille et les sliz
Au plus loin de ses souvenirs, ses parents allaient souvent en visite chez des amis entre La Marsa et Tunis, les après-midi d'été.
La petite fille s'ennuyait, silencieuse, elle promenait son regard alentour mais rien ne la divertissait.
Un jour, au coeur de Sidi-Bou-Saïd, dans une maison magnifique, -elle devait avoir 6ans-, son ennui disparut à tout jamais lorsqu'elle aperçut ces tableaux.
Non! Pas ceux accrochés très haut, ceux que les petites personnes ne peuvent pas voir,
mais des tableaux de carreaux... Juste à la hauteur de ses yeux!
Alors, la conversation des grandes personnes se transforma en un brouhaha comme celui ouaté des journées de plage dans la chaleur de l'été.
Son regard fut émerveillé quand il plongea dans l'univers coloré des ces carreaux, tous pareils et pourtant si différents les uns des autres.
Elle se mit à rêver de pouvoir, de vouloir les dessiner et les caresser tant leur fraîcheur l'appelait.
Mais aussi, elle se plut à imaginer ceux qui avaient interprété ces décors, tantôt géométriques, tantôt libres dans leurs courbes fleuries.
Elle comprit plus tard que c'était l'essence même de l'Artisanat d'Art.
Les années passèrent loin de cette "terre".
Et, de petite personne, elle devint une grande personne. Elle, devint Moi.
Toujours animée par l'envie irrésistible de remonter dans le temps à l'ombre fraîche de ces voûtes entre ciel et mer.
Le Retour - Les Vacances - Elle... enfin, Je... retrouvais cette fascination de l'enfance
tout aussi présente et grandissante au point de "traquer" tous les motifs rencontrés:
dessins, photographies, récupération de démolition.., -qui m'a permis de constituer un répertoire de plus de 300 motifs originaux-.
Nécessité faisant loi, j'entamais un long processus vers la connaissance de la terre et de cette riche polychromie de lumière.
Elle me fit passer par la rencontre avec des potiers et dans l'apprentissage de leur simplicité, j'ai partagé le contenu de leur couffin de déjeuner: harissa ++ et thé noir à volonté...
Moi, la blonde aux yeux verts, fraîchement débarquée, je fus récompensée par leur amitié et leurs secrets mais j'ai gardé les stigmates de mes intestins un peu déglingués...
et quelques palpitations sans passion!
A force de persévérance, à force de d'aller sur tous les chemins de Nabeul, quel qu'en soit le temps, mon destin a croisé celui d'un brillant ingénieur chimiste, Mokhtar Lahmar, qui accepta de conjuguer nos talents et d'y consacrer plusieurs années de recherche.
Ainsi naquit la société Grain de Sable en 'Terre d'Ifriquiya'...
'Terre d'Ifriquiya'... nom de l'antique Tunisie, où, au XVème siècle, le maître faïencier
andalou, Sidi Kacem el Jallizi développa le carreau émaillé polychrome d'où l'appellation de "azulejo de Espana" ou "jelliz" ou encore "zellige".
D'autres influences vinrent imprégner l'art du jelliz (sliz): ottomane, italienne et tunisienne.
Les nouvelles créations issues de ces influences participèrent à la naissance de l'art "Qallaline".
Les 2 tableaux d'alcôve présentés, L'arbre à l'oiseau et Le vase aux arabesques fleuries
sont d'influence ottomane, reconnaissable par leurs motifs floraux et animaliers (rares)
tout en courbes et arabesques.
Ils ont été réalisés dans la pure tradition ancestrale.
Ce savoir-faire retrouvé permet à notre société Grain de Sable de répondre à toute demande de réédition et ainsi participer à la restauration de patrimoine."
Isabelle Shelly (souvenir de cet été 1960)
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