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La société tunisienne n’est ni laïque, ni féministe !

 

La société tunisienne n’est ni laïque, ni féministe !

 

 

Le dynamisme très visible de nombreux militants, associations et commentateurs tunisiens est, hélas, l’arbre progressiste qui cache une forêt conservatrice. La réalité de la Tunisie est profondément religieuse et sexuée. Ces éléments sont des clés essentielles de la situation post-révolutionnaire.

 

La Tunisie est devenue une société majoritairement religieuse

La religiosité visible – il est impossible de sonder les âmes – s’est fortement accrue depuis une vingtaine d’années. La très grande majorité de la société, y compris la fameuse "classe moyenne", a glissé lentement, mais surement dans une pratique islamique plus respectueuse du rite.

Dans les années 1980, seules les personnes âgées et les femmes priaient. Bien peu allaient à la mosquée et les horaires de prière n’étaient guère respectés.
Aujourd’hui, la plupart des Tunisiens prient cinq fois par jour et les mosquées sont pleines aux heures exactes de dévotion.

La montée de la pratique religieuse est aussi visible dans l’habillement : voile pour les femmes, mais aussi shorts très longs pour les hommes. Un chiffre pour juger de cette évolution : en 2004, sur les marchés, environ une femme sur trois était voilée. Désormais, cette proportion atteint deux tiers.

Plus symptomatique encore, à l’instar de la droite chrétienne américaine, la remise en cause des sciences, notamment du darwinisme et du big bang, est devenue monnaie courante. Beaucoup de personnes éduquées, ouvertement laïques, voire marxistes il y a peu, se réfèrent désormais à la lettre exacte du Coran et de la Sunna à tout propos.

Autre exemple du poids religieux dans la vie quotidienne : l’humour tunisien, pourtant corrosif et imaginatif, omet la religion. Sous la dictature, Ben Ali et sa femme étaient la cible de nombreuses histoires. Mais je n’ai jamais entendu, même depuis le 14 janvier 2011, une seule blague anticléricale.

 

La victoire électorale du parti islamique Ennahda n’est que le reflet de l’évolution sociétale

En octobre 2011, Ennahda est arrivé en tête du scrutin, car son discours religieux et conservateur était le plus en phase avec l’opinion majoritaire des Tunisiens. La plupart des Tunisiens considèrent que l’État doit aider, voire forcer, la pratique des prescriptions islamiques. Ainsi, la fermeture forcée des cafés-restaurants durant la journée pendant le mois de Ramadan recueille un large assentiment.

Les nombreux critiques d’Ennahda que j’ai entendus mettent en cause sa compétence, son avidité et, parfois même, son interprétation de l’Islam, rarement le fait que ce soit un parti religieux. Le positionnement du nouveau parti "centriste" Nida Tounes de Beji Caïd Essebsi reprend d’ailleurs cette ligne qui se résume en "Nous sommes d’aussi bons musulmans qu’Ennadha, mais, dans le même temps, nous sommes des technocrates expérimentés capables de ramasser les ordures, d’éviter les coupures d’eau et de remettre l’économie en marche".

Les personnes expliquant ouvertement que la religion ne doit pas intervenir dans le champ politique ne sont vraiment pas légion et s’expriment très peu dans les cercles familiaux.

 

Le statut "évolué" de la femme tunisienne est plus formel que réel

S’il est incontestable que le "Code du Statut Personnel" octroyé par Bourguiba en 1956 permet aux femmes tunisiennes de bénéficier d’une condition bien meilleure que dans la plupart des pays arabes, leur situation véritable mérite beaucoup de nuances.

La Tunisie reste un pays où la ségrégation sexuelle est très forte et, osons le mot, choquante. Dans ce domaine, la situation n’a guère changé en trente ans. À titre d’exemple, on ne voit toujours aucune femme à la terrasse des cafés ou aux enterrements. De même, les hommes sont peu présents aux fêtes de mariage.

À l’intérieur des foyers, les tâches ménagères reposent exclusivement sur les femmes. Bien peu d’hommes, même "progressistes", font régulièrement la vaisselle ou leur lit.

 

La jeunesse ne se différencie guère de ses ainés

Les étudiants, au moins ceux de la classe dite "moyenne", ont légèrement desserré le carcan social et familial qui pesait sur la génération précédente. Ils bénéficient, surtout les garçons, d’un plus grand espace de liberté, y compris sexuelle, à la condition expresse de rester discret.

Toutefois, à l’exclusion de ceux qui émigrent, une fois les études terminées, la norme sociétale les rattrape et ils se coulent presque tous, comme leurs parents, dans un mariage parfaitement conformiste aux rôles totalement sexués.

 

Toutefois, la Tunisie ne ressemble pas à la "Bible Belt" américaine

La demande sociale d’ordre et de morale reste limitée aux champs des prescriptions religieuses, des mœurs et de la délinquance violente. Pour le reste, un individualisme de bon aloi et un mépris de l’espace public dominent. Incivisme et incivilités sont généralisés.

Les rues sont envahies de marchands ambulants et de tas de briques, les constructions sans permis pullulent et la circulation routière est régie par la loi du plus fort. Le stationnement anarchique et envahissant des mobylettes et des voitures devant les mosquées durant les prières est la meilleure démonstration que "l’ordre islamique" est d’une portée très limitée !

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