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La Tunisie inquiète d'une loi qui réhabiliterait les corrompus de l'ère Ben Ali

La Tunisie inquiète d'une loi qui réhabiliterait les corrompus de l'ère Ben Ali

 

 

Le gouvernement tunisien s'apprête à faire voter une loi de "réconciliation économique", censée "tourner la page". L'opposition et nombre d'experts y voient une tentative de réhabiliter le mode de gestion affairiste en cours au temps de Ben Ali.

Le gouvernement tunisien est-il en train de panser les plaies de quatre années d'instabilité avec sa loi sur la "réconciliation économique"? Ou bien, comme le dénoncent l'opposition et plusieurs personnalités de la société civile, s'apprête-t-il à "blanchir" les crimes économiques de l'ère Ben Ali

Le texte, présenté en juillet en Conseil des ministres est actuellement en cours d'examen et devrait être présenté au Parlement "dans les plus brefs délais".  

 

Tourner la page et améliorer le climat des affaires

Pour le président Béji Caïd Essebsi, il s'agit de "tourner la page du passé" et "améliorer le climat des affaires en encourageant les investissements", alors que la Tunisie est en pleine crise, notamment après les attaques terroristes du Bardo et de Sousse qui ont provoqué un effondrement des revenus du tourisme. "Le pays a besoin de tout le monde. Au moins, que celui qui a de l'argent participe" à l'économie tunisienne, argumentait le chef de l'Etat lors de la présentation du texte, faisant allusion aux hommes d'affaires poursuivis ou interdits de voyage en Tunisie depuis le soulèvement de 2011. Pour les autorités la future loi vise à accélérer le processus de la justice transitionnelle dans ses deux volets économique et financier. 

Trois catégories de personnes concernées

La loi sur la "réconciliation économique" concerne trois catégories de personnes, explique à L'Express, Jaouhar Ben Mbarek, professeur de droit public à l'Université de Tunis. "D'abord les fonctionnaires qui ont facilité la corruption ou commis des infractions relatives aux comptes publics. Ils bénéficieraient d'une amnistie pure et simple, qu'ils aient déjà été condamnés ou pas". Selon le président Essebsi, ces employés de l'État n'auraient eu d'autre choix que d'obéir aux ordres "mais n'en ont pas personnellement tiré profit". 

Viennent ensuite les hommes d'affaires, "toute personne ayant "tiré un profit ou pris des pots-de-vin ou en ayant donné", notamment les familles Ben Ali, Trabelsi et Materi, le clan du dictateur Zine el-Abidine Ben Ali, renversé en janvier 2011 par un soulèvement populaire. Les proches de l'ex-dirigeant, en particulier la famille de sa femme, avaient placé l'économie sous coupe réglée. Le système mafieux alors en vigueur bloquait toute possibilité d'ascension sociale si l'on n'était pas introduit dans ce cercle. Une simple déclaration leur permettraient d'être amnistiés, en échange du paiement "d'une somme d'argent égale à la valeur de l'argent public détourné, à laquelle s'ajoute un taux de 3% pour chaque année depuis les faits", selon le projet de loi. 

Enfin les évadés fiscaux pourront rapatrier leurs fonds et seront eux aussi amnistiés, moyennant 5% de la valeur globale des acquis non déclarés.  

Selon un conseiller juridique de la présidence, l'argent ainsi réuni "sera déposé dans un fonds spécial qui à contribuera aux projets de développement régional et d'infrastructure de base".  

Des mesures peu efficaces...

Le projet de loi suscite beaucoup de remous en Tunisie, alors que le parti Nidaa Tounès du président Essebsi, principale composante de la coalition au pouvoir, est accusé par l'opposition de faire la part belle aux proches de l'ancien régime. "Les retombées financières seront pratiquement nulles, assène Jahouar Ben Mbarek. Les fonctionnaires corrompus n'auront pratiquement rien à rembourser. Quant au clan d'affairistes qui entouraient Ben Ali, leurs biens ont déjà été confisqués et nationalisés en 2011. L'impact sera donc symbolique. En outre, le gouvernement envoie un très mauvais signal, en instaurant le principe de l'impunité. Que vont penser ces milliers de diplômés sans emploi en voyant ces fortunes familiales 'récompensées' pour leurs mauvais services."  

"Il est inconcevable de tourner la page tant qu'on n'a pas fait l'audit des mauvaises pratiques, qu'on n'a pas instauré la transparence? C'est un blanc-seing accordé à tous les profiteurs de l'ancien système !, renchérit Mohamed Balghouthi, un consultant en intelligence économique. On est actuellement en train de recapitaliser les banques publiques mises en difficultés en raison de créances douteuses accordées à ce type d'affairistes. Il ne faut pas oublier que les Tunisiens ont fait la révolution en 2011 pour des raisons économiques, mais au moins autant pour la dignité, par rejet du système mafieux."  

... et un mauvais signal

Même s'il partagent le constat d'échec du processus du justice transitionnelle qui justifie, aux yeux des autorités, ce texte, nombre d'observateurs estiment qu'il aurait été préférable de l'amender, estimant qu'à travers ce projet de loi le gouvernement tunisien donne surtout le sentiment de vouloir enterrer les dossiers. 

"Certains paramètres de l'économie tunisienne sont aujourd'hui encore plus dégradés qu'en 2010-2011, l'année du soulèvement, souligne un expert financier tunisien installé en France. L'Etat devrait s'engager à détricoter le système de corruption et de clientélisme qui a gangrené l'économie tunisienne, avant de chercher à passer l'éponge." 

Au delà des considérations morales, la réhabilitation, à travers ce projet de loi, de "l'affairisme rentier" risque d'aggraver les maux de l'économie tunisienne, renchérit l'économiste Nidhal Ben Cheikh. Notamment "en restaurant le mode de gouvernance économique qui avait cours pendant la période 2000-2010 et qui a précipité l'effondrement du pays. Celui-ci est responsable des principaux travers de l'économie tunisienne: fossé entre les régions, crise du secteur touristique, difficultés du secteur bancaire, industrie peu diversifiée et à faible valeur ajoutée..." Résultat, tandis qu'en 2000, la Tunisie et le Maroc avaient les mêmes fondamentaux économiques, le Maroc a dépassé de loin la Tunisie sur plusieurs registres", déplore l'économiste. 

Au regard des transactions en cours entre Nidaa Tounès et son partenaire au gouvernement, la formation islamo-conservatrice Ennahdha, le projet de loi devrait être adopté, même s'il provoque des remous au sein de la base islamiste. Mais, espère Jaouhar Ben Mbarek, une fois validé, "il pourrait bien être retoqué par la Cour constitutionnelle, car il viole le principe de la justice transitionnelle et celui de l'équité fiscale." 

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