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Le Bouraz par Albert Siméoni ( Bébert)

Le Bouraz par Albert Siméoni ( Bébert)

Que pouvait-il bien y avoir là-bas à la pointe du Bouraz.? Le Bouraz comme on le  nomme encore aujourd'hui.

Jusqu'à un certain âge, je ne pouvais  me permettre de dépasser une certaine frontière que ma chére maman m'avait tracée dans les limites de son porte voix. C'est à dire 50 mètres aux alentours de la maison familiale. J'ai respecté cette directive jusqu'au jour où j'ai eu mon indépendance à 13  ans.

Alors le Bouraz et son phare, ce point lumineux,c'était la grande aventure. J'étais très curieux de le découvrir. Escalader- les 'blocs' tels que mes amis me le rapportaient, attisaient ma grande curiosité. Ces grosses pierres qui protégeaient ce long
bras qui s'avançait d'une centaine de mètres dans le ventre de la mer. L'oil lumineux, dressé comme une béquille, signalait aux navires de toutes sortes, l'entrée du canal de Halque-El-Ooued pour poursuivre leur  route vers  le chenal qui mène à
Tunis. En longeant la voie ferrée du TGM.

Mes compétitions  nautiques, excitèrent mon envie de franchir le pas.  A  l'insu de ma mère. La piscine municipale 4 étoiles, un plan d'eau souvent  balayé par le vent ,été comme hiver, était à proximité des blocs.

 Ces allers-retour, sac au dos, aiguisèrent  mon côté témèraire  pour aller conquérir ce haut lieu que je voyais de loin, debout,  sur ma plage de Goulette Casino.

J'avais une très grande appréhension car la voix de ma mère mariée à ma conscience..me disait.

.' Yè ouldi.! Evite le  danger.!'
Or les blocs étaient un danger.

Je décidais de passer outre  en me soustrayant  à son oil et à ses   paroles incrustées, à l'intérieur de ma tête.

Le mauvais temps sévissait  cet après midi là, quand je quittais vers les 18 heures, mon entraîneur de natation  Mimi Vigano, avec comme secret, dans mes neurones, l'expédition tant attendue; Atteindre le Bouraz.

 Je contournais donc la piscine, bien décidé à affronter aussi bien ma conscience scellée par la voix de ma progéniture qui me disait sans arrêt.

' Yè ouldi..! Evite le danger..!'
Et le vent qui me fouettait le visage.

Je livrais un combat interne, et externe.

Je marchais donc,  mon sac en bandoulière, vers le grand môle.  Une centaine de mètres à parcourir.

La plage de la Jetée, était devant moi. Je  franchissais cette première barrière, non naturelle,  en ciment;  le parapet de protection qui retenait  l'invasion de  sable qui  venait se déposer sur  les artères et ruelles de la ville. Par grand vent.

 Je posais mon pied sur le granuleux. Les premières grosses pierrailles étaient en vue. Et au fond, se dressait majestueux, l'objet de ma convoitise.

Debout comme une vieille  sentinelle.

Je sautais sur les premières pierres bien plus hautes que moi,  tout en évitant le faux pas qui m'aurait mis à mal. L'eau s'engouffrait d'entre les grosses caillasses, pour se retirer L'écume    vite évaporée,   laissait  découvrir de petites poches lacustres, dans lesquels crabes, petits gougeons et  sparlottes barbotaient.

Surpris par mon oil, cette  petite faune marine fuyait,  extrapolant  sans doute à une mauvaise intention de ma part.

Je me baissais, par moment, pour scruter le petit fond marin, pour surprendre de longues brindilles d'algues vertes se mouvant, en ballet,  par le flux et le reflux de l'eau. Elles dansaient sous mes yeux une danse en va et vient, rythmé par le grondement de la mer. Un mouvement dont j'ignorais le pas sous l'écho encastré  de la grande bleue, en effervescence.
J'en oubliais la voix de ma mère;  La mer l'ayant étouffée par le petit spectacle son et lumière qui m'était offert à quelques centimètres de ma vue. Dans ma recherche de la jouissance visuelle et auditive.

Je fis une étrange découverte..Une paire d'amis, agenouillée  et penchée, d'entre les excavations rocheuses, s'échinait à pêcher en laissant leur fil à plomb 'Hamecenter' et 'Asticoté' au bout  couler dans la profondeur méditerranéenne..

 'Bébert'..! Chut ne fais pas de bruit.On pêche.!'.

 Je n'en fis pas, laissant l'énorme vacarme régner à ma place.

Un peu plus loin,  laissant mes investigations vivrent  un moment délicieux, je surprenais un jeune couple enlacé, malgré la grande brise fraîche, entrain de se bécoter, coincé dans un petit abri de fortune sans toit, à ciel ouvert,  ayant comme paroi, les
grandes caillasses. Entre roches et mer.

Pourvu me disais-je que rien ne vienne faire trembler la terre.

Un vieil arabe, pris par  défaut par mon regard inquisiteur de lynx effarouchè,  pantalon baissé, et  mal inspiré, 'mgamez' (agenouille) dans une inconfortable position, en équilibre précaire, une main sur une roche et l'autre tenant sa 'kacachèbiè'
soulageait sans contrainte, dans la cuvette naturelle à fond bleu, sa retenue enfin libérée. Kââd i khra. Sur la tête des poissons. 
 
Je sautais toujours de roche en roche, en prenant soin d'éviter les surfaces glissantes, recouvertes de mousse verte/gluante découvrant ainsi ce qui pouvait être surpris.
.
Et toujours la voix de ma mère..
'..Yè ouldi.! Evite le danger..!'

J'y étais et ne pouvais plus reculer.

J'abordais enfin  l'allée centrale qui m'ouvrait la bonne direction; la voie du phare.

La grande  rumeur des vagues, parvenait à mes oreilles bien tendues. Du côté,  versant droit, je regardais l'étendue de la mer, la grande bleue/ verte rugissante dont les 'béliers rageurs', les vagues, venaient se fracasser comme des rouleaux compresseurs sur les avants postes, les blocs, premiers remparts contre les 'casseuses de flanc'.

Je croisais un navire marchand qui tanguait sous les remous  tandis que d'autres au loin attendaient leur tour pour franchir le canal.
La houle, le faisait battre la mesure comme une note  folle  posée   sur du  papier à  musique,  qui ne tenait  plus en place.

Les  mouettes, ivres, éternelles  compagnes  des navires, avaient du mal à planer au-dessus des flots en pleine bataille.; Un combat inégal, contre le vent, se jouait devant mes yeux.

Je battais à présent le gravier de l'allée centrale qui mène à l'objet de ma convoitise. Le versant gauche était caché à mes yeux par ces grosses pierres posées disgracieusement.

 Quelques pêcheurs téméraires, assis sur le  rebord du môle, ajustaient  tant bien que mal, leurs lignes, redoublant d'effort pour ne pas laisser leurs fils s'entremêler avec ceux du voisin,   et  que le vent essayait de  confondre.

Et toujours la voix de ma mère..

'..Yè ouldi.! Evite le danger..!'

Qui se mêlait aux rugissements de la grande bleue, déchaînée.
 
Je marchais, toujours résolu, contre vent et voix,  à poursuivre ma marche héroïque. Je piétinais depuis un bon moment  le ciment de la voie centrale, les yeux fixés sur la tourelle  posée sur son socle de béton.  La grande cime, le point lumineux, le phare,  n'était plus qu'à quelques mètres.

J'étais enfin sous la tourelle. Je levais les yeux pour découvrir, une longue échelle de coupée en fer,  couleur vert/foncé et le corps de la tour. Une porte, donnant accès à l'entrée au  ventre  du phare, était fermée. Quelques endroits étaient rouilles. Je
venais de faire connaissance avec la grande 'concombre'  d'acier. Notre fierté.

Puis mon regard, fut hypnotisé  par le grand large en perpétuel mouvement. Je m'avançais un peu plus, dépassant de quelques mètres le tronc de fer, pour me pencher par- dessus le môle. Je dominais, à présent,  fièrement, à une hauteur de 5 à 6 mètres, cette grande étendue rageuse et mugissante dont la grosse écume bouillonnante à mes pieds, venait   sans relâche livrer  bataille, au quotidien, tête baissée,  contre le front bétonné   du bras de fer.

 Je reculais..Car la voix de ma mère me disait..

'..Yè ouldi..! Evite le danger..!'

Sa voix  recouvrait le vacarme assourdissant de celle avec qui j'ai ouvert les yeux et qui m'a accompagné durant 45 ans;  La mer.

J'avais relevé le défi et  conquis la tour de fer. Notre phare.

 

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