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Le Chabbat de Monsieur Noiret

Le Chabbat de Monsieur Noiret

 

 

Avec la candeur et la franchise qui font le charme des gens du Sud, un sympathique Provençal résume l'essence du Chabbath.

par 

 

Il y a quelques années, nous avions décidé de prendre une semaine repos en louant près d’Avignon une résidence de vacances. Nous nous sommes très vite aperçus que ce genre de location présentait un problème de taille : on ne louait que de samedi à samedi. Il a fallu du temps pour trouver Monsieur Noiret, un sympathique provençal, prêt à décaler pour nous sa semaine. « C’est entendu, nous dit-il avec un inimitable accent chantant, vous arriverez dimanche et repartirez le dimanche suivant. » Nous décidâmes de passer le Chabbat chez des amis à Aix-en-Provence, histoire d’avoir un Minyan [quorum de dix hommes nécessaire pour la prière publique] à proximité et dès la sortie du Chabbat, nous retournions sur place pour profiter pleinement de notre dernier jour de vacances. En me rendant le lendemain chez Monsieur Noiret pour faire nos comptes, il m’accueillit avec un grand sourire : « Dites, j’ai bien vu que vous n’étiez pas à la résidence hier et j’ai bien compris que tout cela était lié à l’observance de votre Chabbat et que c’était aussi pour cela que vous ne vouliez pas arriver et repartir un samedi. Alors, tout cela m’a un peu intrigué et j’ai fait quelques recherches sur Internet pour comprendre. Ainsi, vous ne prenez pas la voiture le samedi, c’est bien ça ? »

– C’est exact.

– Mais ce n’est pas tout : vous ne répondez pas au téléphone, vous ne regardez pas la télévision et vous n’allumez pas la radio ?

– C’est cela.

– Dites, je suppose que vous ne vous connectez pas non plus sur votre ordinateur ?

– En effet.

Le délicieux Monsieur Noiret prit alors 2 minutes de réflexion silencieuse, en me fixant d’un air pensif puis il eut cette phrase dont je prie les lecteurs d’excuser le style un peu… direct :

– Je vais vous dire un truc, Monsieur Klingue (il avait du mal à prononcer correctement mon nom). Le type qui a inventé votre Chabbat, là, c’était pas un c…

– Pardon ?

– Je dis qu’il était loin d’être fada, le blaireau qui a inventé votre Chabbat ! Parce que sans voiture, vous êtes bien forcés de rester à la maison et en vous déconnectant du monde extérieur, vous êtes bien obligés de discuter en famille autour de la table et de vous retrouver. Si vous saviez à quel point c’est exactement ce qui nous manque, à nous autres ! Regardez, aujourd’hui c’est dimanche et c’est le seul jour où je pourrais prendre le temps de parler avec ma fille de 18 ans. Mais elle est dans sa chambre depuis ce matin, branchée sur son ordinateur avec ses maudits écouteurs aux oreilles ! Impossible d’échanger quoi que ce soit et vers 17h00, elle va sortir je ne sais où avec ses copains pour revenir très tard. Sa mère et moi, on sera déjà couchés et demain on reprend le boulot. Ça doit bien faire des années qu’on n’a plus causé, peuchère !

Et voilà comment deux minutes avaient suffit à ce brave Monsieur Noiret pour comprendre l’essence même du Chabbat que certains de nos Juifs ont encore du mal à saisir même après des heures de cours et d’explications savantes !

Dès la fin du XIXe siècle, avec l’apparition du téléphone et des premiers appareils électriques, les Rabbanim se sont penchés sur la question. Ils ont finalement statué que leur utilisation était interdite Chabbat. Quelle merveilleuse intuition rabbinique ! À quoi ressemblerait notre Chabbat s’ils les avaient autorisés ? Sans doute au dimanche de Monsieur Noiret…

La Torah tient à rappeler les consignes du Chabbat avant de décrire l’édification du Tabernacle, afin de nous enseigner que le respect du premier prime sur l’importance de la seconde. Car la sainteté du Temps a priorité sur la sainteté du Lieu et de l’Espace. La conquête de l’espace nous permet de posséder, d’Avoir plus. Celle du temps nous apprend à Être davantage, à nous connaître mieux et à nous construire. Dépossédés de leur pays, les Juifs ont, pendant 18 siècles, perdu leur espace naturel. S’ils ont survécu, c’est parce qu’ils avaient appris à domestiquer le temps, grâce essentiellement au respect du Chabbat.

Quand je pense qu’il n’aura fallu que deux minutes à Monsieur Noiret pour comprendre tout cela…

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