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Le jour où une élève m'a dit : "Moi, j'aime pas les juifs"

 

 

Le jour où une élève m'a dit : "Moi, j'aime pas les juifs"

 

 

Par Iannis Roder
prof d'histoire-géo

 

 

Iannis Roder est professeur d'histoire-géographie à Saint-Denis. Les réflexions antisémites, il en entend régulièrement dans les salles de classe et s'interroge : comment expliquer un tel phénomène ? Le Nouvel Observateur publie cette semaine un dossier spécial "Antisémitisme : ce qu'on ne veut pas dire" (édition du 5 juillet), où vous pouvez retrouver ce témoignage.

 

 

Je suis d'une génération pour qui l'antisémitisme était mort avec la Shoah. Je n'avais pas pensé qu'il reviendrait d'ailleurs.

"Il n'y avait pas un juif hier dans les tours"

La première fois, c'était en 1998 dans une classe de 5e. Lorsqu'on a abordé le chapitre sur l'islam, une gamine a râlé : "On ne fait que quatre heures sur l’Islam, alors que l'année dernière, on a fait les Hébreux pendant au moins dix heures ! De toute façon, moi j'aime pas les juifs."

 

Je suis tombé des nues. Ce n'était que le début. Au tournant des années 2000, deux évènements ont libéré la parole : le 11 septembre et la seconde Intifada. Je me souviens précisément du 12 septembre 2001. La plupart de mes élèves étaient atterrés, mais l’un d'eux avait déjà une explication "complotiste" : "Il n'y avait pas un juif hier dans les tours, c'est eux qui l'ont fait." Pour une minorité, c'était "bien fait pour les Américains et pour les juifs".

 

Presque toujours, ces propos viennent d'enfants issus de l'immigration et se réclamant de l'Islam. En 2002, un garçon m'a expliqué que "Hitler aurait fait un bon musulman". Cela fait dix ans que je sais que c'est là, latent chez certains. Dès qu'on évoque la Shoah ou qu'ils comprennent qu'un des personnages est juif, ça sort.

 

Par exemple, cette année, Ousmane, 15 ans, alors que je parlais de Léon Blum : "Il est juif, qu'il crève !" Comme ça, direct. Je l'ai envoyé chez le proviseur qui a convoqué sa mère. Elle a pleuré et décidé de le changer d'établissement. Plus tard, des copains d'Ousmane m'ont rapporté ses propos : "Roder, il s'est énervé pour rien, un truc de fou." Il ne voyait pas le mal.

 

Pourquoi nie-t-on cette réalité dramatique ?

 

En salle des profs, quand je soulevais le problème, on me parlait du malaise social et de la politique israélienne, quand on ne me prenait pas pour un réac de droite. Le déni est ce qui m'a le plus choqué.

 

Avant, dans les années 80, au moindre soupçon d'antisémitisme, l'indignation était immédiate. Je me souviens de la manifestation après la profanation du cimetière juif de Carpentras, en 1990, tout le monde était dans la rue. Là, personne, rien.

 

On m'a dit que j'inventais, que je dramatisais, que je manipulais mes élèves pour leur faire dire des horreurs. Au motif qu'elle est au côté des opprimés, la gauche n'a pas voulu voir le problème. Ça a été une claque pour moi, que mes amis politiques ne réagissent pas. Ceux qui s'étaient levés sur Carpentras sont restés assis et muets. Pour eux, ces jeunes sont des victimes sociales et ne peuvent donc pas être antisémites. Comme si l'on ne pouvait être les deux à la fois.

 

Et puis, j'ai l'impression que pour certains, l'idée que des juifs sont victimes est lassante. Du genre : "C'est bon, ils ont déjà la Shoah, de quoi se plaignent-ils encore ?"

 

Avec la minute de silence après la tuerie de Mohamed Merah dans une école juive, les choses ont changé. Combien de jeunes ont refusé de respecter cette cérémonie, au motif qu'on n'en fait "pas autant pour les enfants palestiniens" ?

 

Beaucoup de profs en Seine-Saint-Denis, et plus seulement les profs d'histoire dans le huis clos de leurs classes, ont découvert cet antisémitisme. Désormais, j'ai le sentiment que la communauté scolaire sait, et peut commencer à se demander comment lutter contre ces préjugés.

 

Que faire contre ce fléau ?

 

Ces enfants sont les premiers à dire "le racisme c'est pas bien", mais ils ont une vision communautariste de la société. Pour eux il y a d'un côté les "Français", c'est à dire les blancs et les juifs, et de l'autre, eux. Quand un garçon me dit "les racistes du PSG c'est que des juifs !", il est dans un degré de confusion tel que l'incantation morale n'a aucun poids. Il entend probablement toute la journée que les juifs sont riches, puissants, racistes et tirent sur des enfants palestiniens, alors que Ben Laden et Merah sont des héros.

 

Ces jeunes sont abreuvés d'images, à la fois surinformés et incapables d'analyser ce qu'ils reçoivent. Pour ceux qui ont 500 mots de vocabulaire, les théories du complot, les explications simplistes sont rassurantes.

 

En classe, j'essaye de leur montrer ce qu'il y a derrière les événements. Quand on commence l'histoire du nazisme, il y a toujours des remarques antisémites au début : "Hitler a pas fini le boulot, Hitler est mon cousin, les Juifs ont tous les pouvoirs..."

 

Je les laisse parler, puis je leur explique que le nazisme est une vision raciale du monde, dans laquelle les noirs sont à la limite de l'humanité, et où les Juifs comme les handicapés doivent être éradiqués. Soudain, ils s'identifient aux victimes, ça disqualifie Hitler. On peut casser les préjugés chez certains.

 

Deux jours après l'affaire Merah, un élève m'a dit : "Vous avez vu ce qu'il a fait celui-là ? Il a tiré dans la tête d'une petite fille. C'est un nazi en fait, il a cru qu'il tuait son ennemi."

 

Je me suis dit qu'il avait compris. Ça m'a fait plaisir.

 

Propos recueillis par Isabelle Monnin

Édité par Maxime Bellec

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