Le Malouf ou la musique Arabo-Andalouse en Tunisie
Expression majeure de la musique classique tunisienne, le Malouf préserve le raffinement d'un héritage pluri-séculaire qui s'est forgé au carrefour des traditions andalouse et ottomane.
Genre lyrique d'origine andalouse propre à certaines régions d'Afrique du Nord, le malouf tente, en Tunisie, de résister tant bien que mal à la chanson arabe moderne, notamment à la déferlante moyen-orientale. Le malouf en Tunisie, né au 13ème siècle, coïncidant avec l'ère hafside, s'est développé au 15ème siècle avec la chute de Grenade et l'arrivée de dizaines de milliers de migrants fuyant la persécution en Andalousie. Ils allaient trouver refuge au Maghreb et y influencer un riche patrimoine, poétique et lyrique déjà existant et dont Ziriab, de retour du Machrek, avait institué les bases dès le 8ème siècle.
L'histoire du malouf tunisien se résume comme étant un patrimoine musical classique qui s'était développé dans les villes à forte concentration d'immigrants andalous, à l'instar de Testour, Tunis, Soleimane, Bizerte,El Kef et Kairouan. Constituant un «bouillon de cultures» arabe, turque et andalouse, il se présente sous deux formes distinctes : «al djed» (de connotation spirituelle, soufie et religieuse) et «al hezl» (de connotation existentielle), et se structure en 13 noubas (genres constituant le corpus principal).
Ces noubas étaient interprétées en Tunisie en 13 maqqam (composition musicale) désignés ainsi par cheikh Mohamed Dhrif (mort en 1374) : al rehaoui, al dill, al reml, al asbahan, al sikka, al mehaier, al mezmoum, al arak, al h'ssein, al noua, rasset al dill, al meya et al asbaïne.
Les origines du malouf (au vu de la similitude d'une bonne partie des textes et de l'architecture de la quasi-totalité des noubas) sont les mêmes, que ce soit en Algérie, où il s'est fortement ancré dans le Constantinois, à un degré relativement moindre en Tunisie, ou beaucoup plus tard en Libye.
Elles remontent à la période andalouse qui a aussi influencé d'autres courants et écoles de musique arabe classique, connus dans le Centre algérien du nom de sanaa ou dans l'Ouest de celui d'al ghernata. Chaque pays lui a, alors, apporté une touche spécifique et un cachet distinctif dans le mode d'interprétation.
le malouf en Tunisie continue de faire l'objet d'une prise en main par les pouvoirs publics pour le maintenir en vie autant que possible à travers notamment le système éducatif, l'organisation d'un festival annuel à Testour (80 km à l'ouest de Tunis), et sa vulgarisation dans les centres culturels du pays. Authentifié, enregistré, et donc préservé, grâce à l'apport de nombreuses personnalités tunisiennes qui en sont devenues les symboles, à l'exemple des regrettés cheikhs Mohamed El Ouafi, Khemais Ternane, Abderrahmane et Salah El Mehdi, et, aujourd'hui, Tahar et Zied Ghersa.
Nouba
Selon al-Tifashi al-Gafsi (XIIIe siècle), la nouba se compose des pièces suivantes : le nashîd (récitatif), l'istihlâl (ouverture), le ‘amal (chant sur un rythme lourd), le muharrak (chant sur un rythme léger), le muwashshah et le zadjal. Si l'on se réfère au cheikh Muhammad al-Dharif (XIVe siècle), les noubas enchaînaient autrefois treize modes musicaux différents : sikah, dhîl, rmal, asbahân, raml al maya, mazmûm, ‘irâq, hsîn, nawâ, rasd al-dhîl, mâya, rasd et asba‘ayn. C'est à Rachid Bey, mélomane, oudiste et violoniste, que l'on doit d'avoir remanié et fixé le répertoire des noubas tunisiennes : il en arrange les différentes parties et y ajoute des pièces instrumentales d'inspiration turque. On lui attribue également la composition de la majeure partie des pièces instrumentales des noubas, à savoir les ouvertures (istiftâh et msaddar) et les intermèdes (tûshiya et fârigha).
De nos jours, la nouba se présente comme une composition musicale construite sur un mode principal dont elle prend le nom et formée d'une suite de pièces vocales et instrumentales exécutées selon un ordre convenu. La structure de la nouba tunisienne met ainsi en évidence divers effets de contraste et de symétrie qui se manifestent entre ses parties ou au sein de chacune d'entre elles. Ainsi, la première partie privilégie les rythme binaires et la seconde les rythmes ternaires. Chaque partie commence sur des rythmes lents pour se terminer sur des rythmes vifs. De même, cette alternance de rythmes lents et allègres peut se reproduire au sein des pièces elles-mêmes.
Les noubas puisent dans les formes poétiques du genre classique (qasideh) ou post-classique (muwashshah et zadjal). Les abyat par lesquels commence la nouba, généralement au nombre de deux, sont en arabe littéral. Les autres parties chantées sont en dialecte tunisien. Les thèmes de prédilection de ces poèmes sont l'amour, la nature, le vin ainsi que d'autres thèmes ayant trait à la vie mondaine. Certains khatm abordent cependant des sujets religieux, prônant la piété et implorant la clémence divine. Les textes des noubas sont anonymes pour la plupart.
Les noubas sont habituellement exécutées par de petites formations musicales comprenant des instruments à cordes dont les principaux sont l'oud tunisien qui diffère du luth oriental par sa forme plus allongée et son nombre de cordes, la rebec à deux cordes en boyau montées sur une caisse monoxyle, le violon introduit dès le XVIIIe siècle et enfin le qanûn. Les orchestres comprennent également un instrument à vent, le ney, et des instruments à percussion : târ, darbouka et nagharas. Les petites formations tendent à disparaître, cédant la place à des orchestres plus massifs comprenant une quinzaine d'instrumentistes et une dizaine de choristes. L'utilisation des instruments à cordes d'origine européenne à côté des instruments traditionnels et la notation de la musique, nécessaire aux grandes formations, ont conféré à l'interprétation du malouf une âme et une dimension nouvelles. Les noubas, pièces maîtresses du patrimoine traditionnel, sont toujours exécutées dans les concerts publics et à l'occasion des fêtes familiales, plus particulièrement en milieu urbain. Des villes ayant connu une concentration de réfugiés andalous (comme Testour ou Soliman) perpétuent cette tradition.
Commentaires
Bonjour, article très intéressant et très instructif sur l'histoire de la musique tunisienne.
Effectuant actuellement des travaux de recherche en ce domaine je suis tombé sur un site dédié à un artiste tunisien reconnu de tous qui a marqué le XXème siècle par son travail : le regretté Boubaker El Mouldi qui nous a quitté il y a moins d'un an.
Violiniste de formation, il a travaillé avec les plus grands et a beaucoup apporté à la musique tunisienne.
Voici le lien vers le site de Boubaker El Mouldi, ça vaut le détour (il y a même Omar Sharif) :
https://boubakerelmouldi.wordpress.com
Bonne lecture
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