Le plan Lavrov : une sortie de crise satisfaisante (info # 011009/13) [Analyse]
Par Stéphane Juffa ©Metula News Agency
Ce mardi, à Moscou, Sergei Lavrov, le ministre russe des Affaires Etrangères, poursuit ses conversations avec son homologue syrien, Walid Moallem, en vue d’élaborer les détails d’un plan "efficace et concret" destiné à placer les armes chimiques d’al Assad sous supervision internationale.
Lavrov avoue désormais que cette idée "n’est pas uniquement russe mais qu’elle a germé lors de contacts avec les Etats-Unis". Au temps pour la mise en scène de la pseudo-gaffe de John Kerry, qui avait affirmé, lors d’une conférence de presse, que seule cette solution pourrait éviter un conflit !
En effet, on avait brièvement essayé de faire croire que les Russes auraient spontanément repris la proposition de Kerry au vol et l’auraient exploitée. Et que les Syriens, eux aussi surpris, l’auraient accueillie les bras ouverts en l’espace de quelques heures.
Tout ce bluff international cousu de fil blanc pour exprimer que l’initiative avait été mise sur pied la semaine dernière à Saint Pétersbourg, et que Moscou n’a pas vraiment laissé le choix à Damas, sous la menace d’abandonner le régime alaouite seul face aux frappes américaines, au cas où Assad refuserait de coopérer.
Ne laissons pas le suspens planer plus longtemps, et osons affirmer que cette proposition – et peu importe d’où elle vient – est en théorie satisfaisante pour sortir de la crise et éviter la guerre ; ce que tout le monde souhaite à l’Ouest, tant l’opposition du public à un conflit, que ce soit aux Usa ou en France, n’est pas en voie de résorption.
Pour Barack Obama, l’approbation du Congrès est loin d’être acquise, les parlementaires, aussi bien Démocrates que Républicains, se montrant réfractaires face à l’option d’une intervention "pour le prestige", qui n’arrangerait rien, mais aurait plutôt tendance à envenimer la situation.
Or pour le président US, un refus des Chambres aurait des conséquences dramatiques. Il pourrait certes lancer son offensive même en cas de rejet du Congrès, mais ensuite, ses relations avec les représentants et les sénateurs deviendraient pratiquement ingérables jusqu’à la fin de son mandat.
On comprend dès lors que M. Obama accueille avec soulagement cette issue diplomatique lui permettant - c’est une expression israélienne -, de "descendre de l’arbre" sur lequel il avait imprudemment grimpé, sans perdre la face.
Surtout que la proposition Lavrov répond miraculeusement à l’ensemble des étranges conditions que le pensionnaire de la Maison Blanche avait lui-même fixées comme cadre à son aventure militaire en Syrie : pas de boys au sol, pas d’opération illimité dans le temps ; et, principalement, pas de modification de l’équilibre entre les forces gouvernementales et la rébellion, et pas non plus d’actions susceptibles de renverser Béchar al Assad de son trône.
La finalité de l’action envisagée reflétait le besoin de répliquer à l’infraction commise par le régime alaouite contre l’interdiction de faire usage d’armes chimiques provisionnée dans les conventions internationales. Eh bien si Assad accepte de se séparer desdites armes, le but annoncé aura été atteint en faisant l’économie du moindre coup de feu.
Certes, Obama devra abandonner les aspects punitif et didactique de l’intervention qu’il désirait engager. Il devra se résoudre à laisser ces "crimes de guerre abjects", selon la définition qui en fut faite par son administration, impunis.
Dans les discussions avec Lavrov, il est toutefois question de faire trinquer quelques lampistes en obligeant des officiers directement impliqués dans l’attaque au gaz à comparaître devant la justice internationale, mais personne n’est dupe. Celui auquel incombe la responsabilité de ce crime, Béchar al Assad, ne sera pas personnellement inquiété si le plan Lavrov devait être adopté.
Et il sert si bien les intérêts de tout le monde, que le Congrès américain a déjà décidé de reporter le vote qu’il avait prévu jeudi. Ce, même si, pour la façade et pour ne pas alléger la pression sur les négociateurs à Moscou, les responsables yankees continuent à exprimer leurs doutes quant à la volonté réelle de Damas d’abandonner ses armes interdites.
Objectivement, tout vaut mieux qu’une guerre sans objectifs stratégiques définis et ne recelant aucune menace pour la sécurité nationale étasunienne. Un conflit qu’il était interdit de gagner de manière trop flagrante, au risque de faire la courte-échelle à des éléments djihadistes pour s’emparer du pouvoir, et interdit de mener de façon trop molle, pour ne pas être à nouveau la risée de la planète et, en particulier, de l’Iran et de la sphère arabo-musulmane. Bref, une guerre impossible à gérer de manière appropriée pour les soldats de l’Oncle Sam.
Certes aussi, la remise des armes chimiques à des superviseurs internationaux ne résoudra strictement rien au niveau de la guerre civile qui ravage la Syrie. Les "normes internationales" en matière de recours aux armes de destruction massive – que personne ne respecte – auront pour une fois prévalu. Mais c’est pour la défense de ces règles qu’Obama et Hollande voulaient revêtir leurs armures, c’est là que résidait l’erreur initiale, ce n’est donc pas maintenant, à ce stade des évènements, que l’on va changer son fusil d’épaule, cette expression ayant rarement été aussi adéquate pour définir une conjoncture.
Les civils syriens continueront de mourir mais pas par les armes chimiques, c’est cela la moralité conséquentielle de tout ce raffut. Car les gaz, sarin ou autres, n’ont participé que pour un peu plus d’un pour cent dans le décès des quelques 138 000 Syriens victimes de ces trois dernières années d’affrontements. Chiffre à jour fourni par le bureau de la Ména de Beyrouth, spécialisé dans ce genre de bilans.
Evidemment, la rébellion fait la gueule. Ses chefs évoquent "une manœuvre politique", et comme ils ont raison. Eux qui se voyaient déjà vizirs à la place du vizir, oubliant un peu rapidement sans doute que l’Occident aurait eu beaucoup de mal à les aider à réaliser leurs rêves, tandis que les clips se bousculent sur Youtube, montrant des scènes insupportables de décapitations de curés et d’exécutions sommaires d’enfants des mains de leurs combattants. De ce dilemme également, Lavrov est en train de sauver Obama.
A Jérusalem, si le Président Shimon Pérès met en garde l’opinion, déclarant que les "négociations en vue d’un transfert d’armes seront rudes", parce que le régime syrien n’est "pas fiable", on est plutôt satisfait, aussi, du compromis qui se dessine.
Pour aboutir, il faudra absolument que la remise des armes chimiques d’Assad soit totale, et qu’il ne tente pas d’en exfiltrer au profit de ses alliés du Hezbollah ; il est également évident que leur transfert sous le contrôle d’inspecteurs internationaux ne peut être qu’une étape intermédiaire, et que le régime alaouite doit, dès à présent, donner son accord à leur destruction.
Il sera en outre nécessaire – pour sauvegarder l’honneur des Etats-Unis - que les choses se déroulent prestement. Sergei Lavrov réclamerait à Moallem un inventaire détaillé des stocks de ces armes sous sept jours, suivi d’un début de leur transfert immédiat à l’autorité choisie. C’est jouable, particulièrement avec des Syriens conscients que de nouvelles entourloupes de leur part leur attireraient une réaction militaire plus énergique que prévue des Américains, dont la légitimité internationale à agir se verrait, si la Syrie triche, grandement renforcée.
Avigdor Lieberman, qui se contente, dans l’attente de son procès au pénal, de présider le comité des Affaires Etrangères et de la Défense de la Knesset, considère que l’accord syrien de se départir de ses armes chimiques n’est que de la poudre aux yeux. Il compare cet assentiment à celui qu’avait exprimé l’Iran, au début des négociations avec les 5+1, d’envoyer ses stocks d’uranium enrichi à l’étranger. D’après Lieberman, al Assad utilisera l’offre Lavrov pour gagner du temps, ajoutant que le dictateur syrien était un champion dans ce domaine.
On verra. On jugera sur pièces et dans pas longtemps. Là où Lieberman se trompe à notre sens, est que ces armes ne remplissent pas un rôle critique dans l’arsenal d’Assad, qu’il sortirait gagnant en acceptant le plan Lavrov, et qu’il n’a pas grand-chose à empocher en jouant la montre sur ce dossier.
Si le deal se conclut, les israéliens verraient leur sécurité augmentée en sachant un ennemi instable comme Béchar al Assad privé d’armes chimiques. Cela atténue grandement la létalité d’une première frappe en provenance de Syrie, la seule éventualité dont les Hébreux aient pratiquement à se soucier, leur rapport de force avec le dictateur alaouite penchant nettement en leur faveur.
La destruction de ces armes ne les mettrait cependant pas à l’abri d’un risque chimique ou bactériologique, car l’Iran, qui n’a pas encore rejoint le club des nations possédant l’arme atomique, dispose de réserves étendues de ces toxiques ainsi que des missiles capables de les convoyer.
Parlant de l’Iran, ce serait l’autre profit de Jérusalem si la guerre USA-Assad est évitée. Ici, on n’a jamais caché que, dans l’ordre des priorités internationales, l’intervention de prestige d’Obama n’était pas à sa place. Ce, alors que Téhéran se trouve à deux doigts du point de non-retour dans le processus de confection de sa Bombe.
Binyamin Netanyahu désire que la crise artificielle avec le moyen ennemi – le petit, étant le Hezbollah, et le grand, l’Iran – s’estompe rapidement. Il entend mettre Hassan Rohani, le nouveau président perse, le plus vite possible à l’épreuve des négociateurs du 5+1. Car si, comme on en est convaincu en Israël, l’ "élection" de Rohani n’était destinée qu’à fournir aux ingénieurs de la "république" islamique le temps de terminer leur projet nucléaire, Jérusalem n’a aucunement l’intention de les laisser faire.
La crise syrienne, au goût des décideurs hébreux, était fort malvenue. Il importe maintenant de savoir ce que Khamenei décide de faire par la voix de sa marionnette Rohani interposée. S’il ne s’est pas assagi, c’est-à-dire, s’il n’est pas entièrement persuadé que l’Occident ne le laissera pas faire, il ira de l’avant. Lorsque ce sera clair, on constatera si Barack Obama est capable de se montrer plus cohérent avec les ayatollahs qu’il ne l’a été avec Assad. Et si ce n’est pas le cas, Tsahal interviendra seul. Même si la problématique militaire iranienne est autrement plus complexe que la syrienne. Mais les objectifs d’une telle intervention, au contraire de celle envisagée en Syrie, sont identifiés depuis des années. Une crise se termine probablement, il va falloir s’occuper du plat de résistance.
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