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Le rôle des femmes dans la contestation sociale en Israël

 

Le rôle des femmes dans la contestation sociale en Israël

 

par Thérèse Liebmann, docteure en histoire

 

 

 

 

Les femmes jouent un rôle important dans la contestation sociale en Israël, mais comme ailleurs leur action est souvent récupérée et détournée de sa fin.

Benyamin Netanyahou avait déjà été confronté, en 2003, à un mouvement de protestation initié par une femme. Il était alors Ministre des Finances dans le gouvernement Sharon et avait décidé un plan d’austérité (déjà) qui visait essentiellement à démanteler les programmes sociaux de l’État-Providence.

Ainsi Vicky Knafo, mère-célibataire vivant à de Mitzpe Ramon, petite « ville de développement » du Negev, apprenait, fin juin, que son salaire et ses allocations sociales allaient diminuer de moitié pour n’atteindre que 1.25O shekels (245 €). Ne voyant pas comment elle pourrait subvenir aux besoins de ses enfants, elle décida de « monter à Jérusalem et expliquer à Bibi que ce n’est pas possible ».

Ne pouvant se payer un ticket d’autobus, elle partit à pied, bravant le désert et la chaleur du mois de juillet. Au cours des 200 km qu’elle eut à parcourir, elle fut rejointe par une foule, toujours plus nombreuse, de sans-logis et de chômeurs, eux aussi victimes de restrictions budgétaires. À Jérusalem, ils installèrent un village de tentes face au Ministère des Finances.

Dans un premier temps, celui-ci devint pour la télévision et la presse le symbole du malaise social en Israël. Mais au bout de quelques semaines la lassitude gagna les manifestants, les médias et même Vicky : à la veille de Rosh Hashana 2003, elle renonça à la grève de la faim qu’elle avait entamée 16 jours auparavant et retourna bredouille dans sa petite ville reculée du sud israélien. Elle y reprit le travail en usine, six heures par jour et cinq jours par semaine à raison de 18 shekels (3€) de l’heure.

Inégalités et appauvrissement

Le combat solitaire de Vicky Knafo n’a pas empêché la politique gouvernementale israélienne de consolider le néo-libéralisme dans le pays : les inégalités sociales n’ont cessé de se creuser davantage et l’appauvrissement touche de plus en plus les classes moyennes.

Daphné Leef, qui a déclenché le mouvement de contestation sociale de l’été dernier, est d’ailleurs issue de la classe moyenne, « véritable épine dorsale du pays. Et véritable épine dorsale aussi du large mouvement de protestation que le pays connaît depuis la mi-juillet. » C’est ainsi que Henri Wajnblum qualifie cette classe moyenne dans son article « Israël. Une indignation sélective » (1), dans lequel il commente les méfaits du néo-libéralisme sur la situation économique, sociale et politique en Israël.

Le 14 juillet dernier, Daphné planta sa tente au beau milieu du résidentiel boulevard Rothschild de Tel-Aviv pour marquer sa protestation contre les prix exorbitants des loyers dans les villes israéliennes. Elle a pu facilement rallier à sa cause des milliers de familles des classes moyennes citadines. Et aussi « l’Union nationale des étudiants israéliens » et ses adeptes. Dans un deuxième temps, elle mobilisa les familles des classes défavorisées (selon « l’Assurance nationale - Bitouah Leumi - 1 Israélien sur 4 vit sous le seuil de pauvreté).

Si cette jeune femme a pu apparaître comme l’instigatrice de cette action, c’est que la situation était déjà mûre en Israël : les exemples du « printemps arabe » et des « indignés » espagnols ont pu jouer, mais aussi, en Israël même, les grèves des médecins et des enseignants sous-payés ainsi que le boycott du « cottage cheese » dont les prix avaient flambé.

Le 13 août, le mouvement fut rejoint par des dizaines de milliers de « périphériques », ce mot désignant, d’une part, la périphérie géographique - les villes du Nord et du Sud d’Israël - et, d’autre part, les plus démunis qui constituent la « périphérie » sociale, notamment les femmes indigentes et la minorité palestinienne d’Israël.

Dans le discours qu’elle a prononcé le 3 septembre, Daphné Leef a fustigé ce terme de « périphérique » qu’elle trouve condescendant : « Vous êtes mis sur le côté. Vous êtes tenu à distance. Vos besoins sont moins importants et vos demandes sont sans intérêt ». Et de poursuivre : « Cet été, nous avons prouvé qu’il n’y a pas de périphérie, que nous sommes tous au centre, chacun de nous. Nous avons réduit la distance physique entre nous…et nous voulons rester proches les uns des autres. On ne pourra plus manœuvrer pour nous diviser. Et puis vint l’argument sécuritaire. Mais même les missiles (tirés de la Bande de Gaza) n’ont pas réussi à saper notre mouvement de protestation. Au contraire, ils ont montré à quel point il est fort et authentique… Nous avons créé ici un nouveau discours : nous avons remplacé le mot pitié par le mot compassion, le mot charité par le mot justice…Nous avons remplacé le mot consommateur par le mot citoyen… ».

Une société civile

Itzik Shmuli, président de l’Union nationale des étudiants israéliens, dit également à la tribune qu’ « une nouvelle génération d’Israéliens veut le changement et la justice sociale » et que « Nous les nouveaux Israéliens, sommes déterminés à poursuivre le combat pour une société plus juste et meilleure, en sachant qu’il sera long et difficile ».

Michel Warshawski s’est fait l’écho de cet état d’esprit dans son article « Birth of an Israeli Civil Society » (2) : « Le 3 septembre marque la naissance d’une société civile israélienne »… « Lorsque les porte-parole (juifs) du mouvement insistaient sur son caractère d’unité, ils parlaient d’unité entre religieux et non-religieux, Mizrahis et Ashkénazis, Juifs et Arabes ».

Mais que restera-t-il de ces manifestations de masse où les participants, paraissant avoir compris que la politique néo-libérale du gouvernement Netanyahou les menait dans une impasse, criaient des slogans comme « justice sociale » et « révolution » ?

La municipalité de Tel-Aviv a ordonné le démantèlement des tentes au plus tard pour le 27 septembre, veille de Rosh Hashana. Netanyahou a fait quelques promesses mais elles n’ont pas été concrétisées. Il a mis en garde contre les menaces terroristes, le différend avec l’Égypte et avec la Turquie et le danger que pourrait constituer la reconnaissance de l’État palestinien par l’ONU.

Quant aux meneurs de la contestation, ils pourront tenir « mille tables de discussions » dans les grandes villes du pays. Cinq tentes symboliques pourraient même être maintenues à Tel-Aviv à cet effet. Les plus démunis et les « périphériques » y seront-ils conviés ?

On peut supposer qu’Itzik Shmuli en sera, lui qui a pris soin de publier son discours, remanié, du 3 septembre dans The Guardian (3). On peut y lire notamment : « La plus grande protestation sociale du pays a été menée par des étudiants … » (sic). « Les « nouveaux Israéliens » incarnent le sionisme… ; ils reconnaissent l’importance de l’économie de marché…mais souhaitent une meilleure répartition des ressources ». Il se réfère à Ben Gurion et à Zabotinsky qui en avaient appelé à la justice sociale en Israël (sic). On est bien loin du discours unificateur de Daphné Leef. Même si elle fait partie de la classe moyenne, elle voulait que son action s’étende à tous les mal lotis « du centre à la périphérie ». Même si elle a pu être considérée comme l’instigatrice de ce mouvement de contestation, son engagement a été récupéré par un homme (Itzik) qui a mis son ego en avant. Uri Avnery a écrit à ce propos : « Itzik a parlé à la tête, Daphné au cœur ».

Une indignation tous azimuts

Comme elle prétendait ne pas vouloir s’engager dans un parti politique, son action sera t-elle reconnue ? Ou tombera t-elle, sinon dans l’oubli, du moins dans l’indifférence, comme ce fut le cas pour Vicky Knafo qui, 8 ans avant elle, avait essayé d’affronter la politique néo-libérale du gouvernement israélien. On avait, à l’époque, attribué son échec au fait qu’elle n’était « qu’ » une Mizrahi (juive originaire d’un pays arabe). Cela ne joue pas en ce qui concerne Daphné. Il y a cependant un point commun entre elles : toutes deux ont mené un combat qui met en avant des valeurs humaines qui transcendent la politique politicienne et que celle-ci préfère esquiver.

Elles sont, en cela, assez proches des mouvements des femmes pacifistes, comme les « Femmes en Noir », Machsom Watch ou New Profile. À ce propos, on a reproché à Daphné de ne pas avoir servi dans l‘armée et d’avoir, à 17 ans, signé une pétition des élèves de son lycée dans laquelle elle condamnait l’occupation et refusait de servir dans les territoires (occupés). Il est vrai qu’elle n’a pas fait spontanément état de cette « tare terrible ». Son « indignation » serait-elle, du moins en ce qui la concerne, moins « sélective » qu’il n’y paraît ?

L’auteure est membre de l’Union des Progressistes juifs de Belgique (UPJB).

Notes

(1) Points Critiques, septembre 2O11
(2) Alternative Information Center, 7 septembre 2011
(3) The Guardian (Guardian.co.uk), 9 september 2011 Source : Points Critiques, octobre 2011, n°319, pp.6-7. Merci à l’auteure de la publication de cet article sur Sisyphe.

Mis en ligne sur Sisyphe, le 22 octobre 2011

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